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Billet de blog 12 septembre 2016

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Pépère n'est pas Tonton

Le discours de François Hollande, jeudi dernier à la Salle Wagram, se voulait le signal d’une «reconquête» pour le dernier carré de grognards rassemblés autour d’un Président isolé, moqué, vilipendé, mais qui croit en son destin et surtout à sa chance, malgré tout.

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Réduit à la défense d’une rhétorique vide, à sept mois de la fin de son mandat, il a tenté une anaphore subliminale en valorisant son meilleur ennemi, Nicolas Sarkozy : « Moi Président, je suis l’ultime rempart de la démocratie contre ceux qui veulent la détruire ; Moi Président, je suis le protecteur du « vivre ensemble » contre tous ceux , fondamentalistes islamistes ou droite et extrême droite, qui veulent lui substituer le communautarisme ou la République blanche et chrétienne ; Moi Président, je défends, comme jadis De Gaulle, une certaine idée de la France contre l’identité heureuse ou malheureuse»… Mais si cette logorrhée hors-sol, si loin des préoccupations concrètes des Français et si près des joutes politiciennes, a satisfait les fidèles, elle sonnait étrangement creux, contredite par la pratique concrète d’une gouvernance au jour le jour. Comme si un discours de circonstances pouvait remplacer quatre ans de reniements, d’abandon, de déloyauté, d’infidélité à un électorat trahi  dans ses aspirations à la justice, à l’égalité, à la fraternité et aux libertés. 

Comme si une causerie auto justificative, applaudie par un quarteron de dévots dépendants professionnellement du pouvoir, pouvait remplacer dans l’imaginaire de la gauche réelle, morale et sociale, le sentiment d’écoeurement devant cette comédie du pouvoir tristement illustrée par le procès Cahuzac, archétype du cynisme en politique.

Tout le fond de sauce du discours de Wagram reposait sur le même présupposé : Oui, c’est vrai, je suis un représentant du vieux monde, mais je reste le moins pire que vous pouvez trouver sur le marché. Donc, même si je ne vous plais pas, face au diable ressorti de sa boîte, vous serez obligé de voter pour moi. Cet argument en forme de chantage au pire, résume la pensée d’une caste issue des amours de la Promotion Voltaire de l’ENA et de l’UNEF des années 80. Tels des rentiers de la politique, ils se croient propriétaires à vie de nos voix.

Aussitôt le discours terminé, les thuriféraires ont annoncé la résurrection à Wagram d’un François Hollande remportant une nouvelle bataille du même nom ! Le summum de cette opération de communication était atteint le lendemain, avec la « Une » hallucinante de Libération : « Pépère se réveille »… Le même journal qui avait accompagné trente ans plus tôt les prémisses de la campagne de François Mitterrand. La « Tontonmania », expression née du chanteur Renaud, battait alors son plein. Mais les Français ne se ressemblent pas et Pépère n’est pas Tonton. A l’époque, la cohabitation avait construit une image de gauche de François Mitterrand, qui s’appuyait sur les mobilisations sociales pour assumer un rôle de vieux sage protecteur. Il avait à son actif un bilan impressionnant : abrogation de la peine de mort, de la Cour de Sureté de l’Etat et des tribunaux d’exception, création des radios libres, nationalisations, cinquième semaine de congés payés,  retraite à soixante ans, dépénalisation de l’homosexualité… même si l’on était deux ans après 1983, la « parenthèse » de la rigueur, qui avait inauguré l’adaptation du parti socialiste à la mondialisation.

Dans les deux ans de la cohabitation qui lui avait été imposée, Mitterrand avait  notamment soutenu la jeunesse en lutte pour l’abrogation du projet de loi Devaquet  et condamné les  violences policières, cautionnées par Jacques Chirac et Charles Pasqua, qui avaient notamment débouché sur la mort de Malik Oussekine… Aujourd’hui, le contraste n’en est que plus saisissant : le pouvoir socialiste fait donner la police contre les jeunes et les salariés qui s’élèvent contre la loi Travail, il installe l’état d’urgence et a tenté un copié - collé du programme de l’extrême droite, avec la déchéance de nationalité. Voilà pourquoi le discours de Wagram raisonne à contre temps.

Qui peut encore croire François Hollande tant son bilan, ses actes et ses décisions contrastent avec ses paroles, celles de la campagne de 2012, comme celles de la salle Wagram ? L’état d’exception, ce n’est pas la droite qui l’a instauré, mais le discours du 16 novembre 2015. La stigmatisation des musulmans, ce n’est pas seulement la droite qui l’assume mais le Premier ministre, tous les jours de la semaine, avec l’affaire du Burkini ou la chasse aux Roms ; La guerre de civilisations , ce n’est pas seulement la droite sarkozyste qui la promeut, mais le Premier ministre .

Les va-t-en-guerre sont dans les deux camps, nous entrainant dans des aventures, dénoncées aussi bien par Hubert Védrine que par Dominique de Villepin, mais totalement assumées par François  Hollande et ses amis.

Si au royaume des aveugles les borgnes sont rois, François Hollande est bien le roi de l’hypocrisie politique. Il a oublié volontairement la question du chômage, qui devait pourtant être le critère de sa décision d’entrer en campagne.

Tel un magicien, le président candidat place perfidement la question identitaire au centre des enjeux, tout en se servant de Nicolas Sarkozy, son adversaire préféré, pour mieux faire disparaître la question sociale.

Les 400 salariés d’Alsthom, promis à pointer à Pôle Emploi, apprécieront, alors que, à l’instar de ceux de Florange, il y a trois ans, ils se trouvent soumis à la logique des actionnaires mais, cette fois-ci, dans une entreprise où l’Etat est encore actionnaire.

Quant aux écologistes, ils auront noté que pour le champion de la synthèse molle, l’Accord de Paris sur le climat exonère le gouvernement pour tous ses méfaits, de Notre-Dame-des-landes aux Boues rouges de Marseille, de sa politique nucléariste à la mort de Rémy Fraisse.

Pour comprendre ce que vaut la posture nouvelle de François Hollande en dernier rempart de la démocratie, mieux vaut lire « le livre des trahisons », sous la direction de Laurent Sutter  (PUF , août 2016), utile recension des avanies subies sous les gouvernements Hollande depuis 2012.

Le Président essaie de nous refaire le coup de « Au secours la droite revient ». Mais le peuple de gauche constate amèrement que la droite gouverne déjà à l’Elysée et à Matignon… et que la présidence Hollande ne fait que s’inscrire dans la continuité de la présidence de son frère ennemi .
N’est pas De Gaulle ou Mitterrand qui veut. Manifestement, François Hollande n’est pas taillé pour enfiler leur costume. Nous ne voulons pas d’un nouveau match  Sarkozy/ Hollande, courant derrière Marine Le Pen. Il est vrai que cette élection présidentielle en prend le chemin, faute d’une gauche écologiste capable de s’unir autour d’un seul candidat, faute surtout, comme le dit Edwy Plenel, d’incarner un « nous », celui de la société, de ses mouvements.

Il nous reste à espérer que 2017, comme le fut 1969, soit le signal d’une vraie recomposition, qui prenne en compte nos causes communes, l’héritage de Nuit Debout , des cortèges contre la Loi Travail, des zadistes de Notre-Dame-des-landes et d’ailleurs, le drame des réfugiés et des sans papiers, des salariés et des précaires, les aspirations du peuple de l’écologie et de tous ses innovateurs qui représentent l’avenir de la société… A cette condition, la déroute ou l’empêchement de François Hollande auront au moins servi à quelque chose  et Wagram n’aura été qu’un un Waterloo de la pensée présidentielle dans l’histoire de ce triste quinquennat.

Le 12/09/2016.

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