Les comptes suisses de l’accusateur de Dilma Rousseff

© Dom Smaz / Rio de Janeiro / Archives

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Virulent pourfendeur de l’ex-présidente brésilienne, Eduardo Cunha, homme politique très en vue au Brésil, aurait touché des pots-de-vin, à travers des comptes ouverts à la BSI de Lugano et de Zurich, dans le cadre d’une concession pétrolière au Bénin. Enquête.

 

Federico Franchini 13 septembre 2016

Jusqu’au 6 mai dernier, Eduardo Cunha assumait la charge de président du Congrès des députés du Brésil. Ce membre éminent du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) est considéré comme le grand stratège de la procédure de destitution de Dilma Rousseff, terrassée par le scandale Petrobras, du nom de la société pétrolière publique du Brésil. Cette gigantesque affaire de corruption et blanchiment aura fini par emporter à son tour l’accusateur de la présidente déchue. Visé par douze procédures et accusé d’entrave à la justice, Eduardo Cunha est démis de ses fonctions le 7 mai. Un mois plus tard, le 7 juin, le procureur général du Brésil signe un mandat d’arrêt à son encontre.
En avril 2015 déjà, lorsque le scandale Petrobras alimentait les gros titres au Brésil et dans le monde entier, le nom de Eduardo Cunha figurait parmi les personnalités politiques de très haut niveau impliquées dans l’affaire. Faisant preuve de diligence, la banque suisse Julius Bär signale alors aux autorités helvétiques quatre comptes suspects ouverts dans sa filiale de Genève. Des comptes dont l’ayant droit économique est l’homme fort du PMDB. De là, le procureur fédéral Stefan Lenz, à la tête de la task force Petrobras créée par le Ministère public de la Confédération (MPC), n’a plus qu’à remonter la piste de l’argent.

Le procureur se focalise rapidement sur des comptes suspects ouverts à la BSI, banque tessinoise actuellement sous le coup d’une dissolution décidée par les autorités helvétiques pour ses agissements dans un autre scandale tout aussi retentissant que l’affaire Petrobras: celui du pillage du fameux fonds souverain de Malaisie. De l’un de ces comptes tessinois, la somme de 1,3 million de francs est transférée sur des comptes genevois dont Eduardo Cunha est le titulaire. Le compte ouvert à la BSI appartient, lui, à une société des Îles Seychelles – la Acona Investment Limited – dont l’ayant droit économique est un autre politicien brésilien de renom: José Augusto Rezende Henriques. Membre du MPDB et homme de confiance de Cunha, il est accusé de corruption et blanchiment d’argent et arrêté en septembre 2015.

Pour les enquêteurs, la source de ces versements réside dans la «concession pétrolière» rachetée par Petrobras au Bénin pour 34,5 millions de dollars. Un montant que la société étatique brésilienne avait directement versé en 2011 à la Compagnie béninoise des hydrocarbures, chargée de l’attribution des concessions pétrolières. Selon les documents que La Cité a pu se procurer, de ces 34,5 millions de dollars, 31 millions sont transférés sur un compte, ouvert à la BSI de Zurich, par Lusitania Petroleum, une société basée aux Îles Vierges Britanniques. Or tant la Compagnie béninoise des hydrocarbures que Lusitania Petroleum sont dirigées par le même homme, le Portugais Idalécio de Castro Rodrigues de Oliveira. Ce dernier reçoit sur un autre compte zurichois de la BSI la somme de 17,4 millions en provenance du compte de Lusitania Petroleum. De ce même compte, 10 millions de dollars partent en direction du compte déjà évoqué de Acona Investment Limited, toujours auprès de BSI. D’où un versement de 1,3 million est à son tour effectué, rappelons-le, en faveur des comptes genevois que Cunha détenait à la Julius Bär. Quant à la concession béninoise, elle se révélera... dépourvue de pétrole.

Le MPC ouvre une procédure pénale pour blanchiment d’argent et corruption passive et bloque les comptes suisses de Cunha, comme le confirme à La Cité une porte-parole du MPC, qui ajoute: «Eduardo Cunha est un citoyen brésilien, il ne peut pas être extradé en Suisse et, pour cette raison, le MPC, en collaboration avec l’Office fédéral de justice, a transféré la procédure aux autorités judiciaires brésiliennes pour que le dossier puisse être étudié et jugé par elles.» Dans cette affaire, un banquier de Zurich semble avoir joué un rôle prépondérant. Son nom apparaît à plusieurs reprises, lors de transferts bancaires cités dans l’opération béninoise ainsi que dans la création d’Acona Investment, la société des Seychelles appartenant à José Augusto Rezende Henriques. Au total, selon les archives des Panama Papers, ce banquier assume la fonction d’intermédiaire financier d’une trentaine de sociétés enregistrées par l’étude Mossack & Fonseca. Certaines sont impliquées dans le scandale Petrobras.
Au Brésil, un important témoin entendu dans cette affaire a récemment indiqué aux autorités judiciaires de son pays le nom d’une mystérieuse société off-shore où Cunha aurait caché ses pots-de vins: Penbur Holding… Dans le document de fondation de cette société, que La Cité a également pu se procurer, la signature de deux hommes de paille de Mossack & Fonseca campe au-dessous du logo de la banque BSI. Le champ censé identifier le bénéficiaire final est, lui, laissé vide…

La FINMA, gendarme du marché financier suisse, avait confirmé en mai dernier l’implication de la BSI dans le scandale Petrobras. L’autorité de vigilance avait «blâmé le comportement fautif de la banque dans cette affaire». Contactée à ce sujet, la BSI affirme «avoir répondu à toutes les requêtes formulées par les autorités et clarifié sa position». Mais au-delà des déclarations de circonstance, le modus operandi de cet établissement et de ses collaborateurs s’apparente à un comportement frauduleux, dont les techniques semblent utilisées pour cacher des crimes graves, comme le blanchiment et la corruption. C’est ce qui découle de la lecture de l’accord conclu en mars 2015 entre le fisc des États-Unis et la BSI, qui écope, pour solde de tout compte, d’une amende de 211 millions de dollars. Ce document décrit comment l’institut luganais aidait les citoyens américains à échapper au fisc au moyen de sociétés panaméennes munies d’actions au porteur, une manière très efficace de dissimuler les bénéficiaires économiques de ces entreprises.
Le MPC, qui a mis en place une équipe entièrement dévolue à cette affaire, a bloqué 800 millions de francs dans une vingtaine de banques. Il a également saisi un terrain à Mont-sur-Rolle. Pour sa part, la FINMA a ouvert une procédure contre six banques (La Cité de juin 2016). Parmi les instituts ciblés, la banque tessinoise PKB figure dans le volet concernant l’entrepreneur brésilien Marcelo Odebrecht, condamné à 19 ans de prison pour avoir versé plusieurs millions de pots-de-vin à des dirigeants de Petrobras. Pour blanchir tout cet argent, il aurait utilisé un système astucieux où PKB servait de pivot central. Odebrecht aurait ainsi constitué des sociétés off-shore grâce aux comptes ouverts dans cet établissement, d’où ont transité 180 millions de dollars, une coquette somme qui a fini par garnir les comptes de trois dirigeants de Petrobras, un scandale dont on n’a pas encore mesuré toute l’étendue.

 
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