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Le 14 juillet, Nice a été la cible de la deuxième attaque terroriste de masse en France en moins d’un an : 86 personnes ont été tuées sur la promenade des Anglais par un camion délibérément lancé dans la foule. Quatre-vingt-six personnes arrachées à la vie un soir de fête.

Pas plus que les 130 victimes des attentats du 13 novembre à Paris, ces disparus ne doivent s’effacer de notre univers. Nous refusant à les réduire à un chiffre et à un statut anonyme, celui de « victimes », nous avons voulu leur donner un visage, raconter qui ils étaient, leur rendre leur vie, à travers ceux qui les connaissaient et les aimaient. Les installer dans notre souvenir. Nous l’avions fait pour les attentats de Paris, il nous a paru de notre devoir de le faire aussi pour celui de Nice. Les journalistes du Monde se sont rassemblés pour écrire ces portraits, que nous publierons quotidiennement jusqu’au dernier.

Certaines familles n’ont pas souhaité dans l’immédiat participer à ce mémorial. Nous avons respecté leur volonté, mais cet espace leur reste ouvert si elles viennent à changer d’avis.

La rédaction.

Christiane Fabry, 67 ans

Christiane Fabry, « le pilier de la famille », pour sa fille, rayonnait sur sa petite tribu installée à Puget-sur-Argens (Var) depuis 1978. Les liens étaient forts, quotidiens avec ses deux enfants, Caroline et Bruno, issus d’un premier mariage, leurs conjoints et les petits-enfants, André et Léo. « Nous étions toujours ensemble, on partait en vacances ensemble… Il n’y avait pas une journée sans qu’on s’appelle ou qu’on se voie, témoigne sa fille, Caroline Villani. On s’est beaucoup soutenues : j’étais à ses côtés lors du divorce difficile avec mon père ; elle était là et m’a accueillie chez elle quand j’ai eu des difficultés financières. » « Je n’avais pas, avec elle, une relation de belle-fille à belle-mère mais des rapports amicaux, de confiance, confirme Olfa Villani, épouse de son fils Bruno, lui aussi assassiné le 14 juillet. Nous discutions de tout, elle était de très bon conseil et nous prenions les décisions ensemble. »

Femme énergique, rieuse, coquette, très jeune d’allure avec ses mèches blondes joliment rebelles, Christiane était retraitée après avoir été assistante maternelle. Elle a toujours été entourée d’enfants « et en a gardé 33 en tout, calcule sa fille Caroline, qui sont aujourd’hui parents à leur tour et qu’elle revoyait de temps en temps ». Sa maison lui ressemble, toute simple, aux couleurs pimpantes, décorée d’objets et de dessins qu’elle créait elle-même. Dans le jardinet, grenouilles et tortues rigolardes, en plâtre, sourient au visiteur. Et il y a son mûrier, celui qu’elle a planté en 2005 lorsque, avec son compagnon, ils ont acheté la maison.

Elle formait, avec Hugues, de presque dix-neuf ans son cadet, « un couple fusionnel », confie Caroline. Ils s’étaient rencontrés en 1999, dans une soirée sur la plage organisée par des collègues de travail, et Hugues avait invité Christiane à danser. « Comme ils avaient une grande différence d’âge, qu’il avait à peine cinq ans de plus que moi, elle a mis trois mois à me l’avouer ! » se souvient sa fille. « Ils avaient le projet de se marier ou de se pacser, ajoute-t-elle. Ils sont morts main dans la main sur la promenade des Anglais et d’une certaine manière, heureusement que l’un n’a pas survécu à l’autre. Ils sont ensemble. »

Christiane Fabry était en quête de spiritualité, elle n’avait pas peur de la mort, croyait en l’au-delà. Pas au paradis ni à l’enfer, mais à la réincarnation. « Moi aussi j’y crois, et cela me réconforte de me dire qu’elle est donc quelque part », assure sa fille.

Isabelle Rey-Lefebvre

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