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DESINTOX

Valérie Pécresse cumule les chiffres bidon sur les migrants de Calais

La présidente de la région Ile-de-France affirme que seuls 5% des demandeurs d'asile obtiendront le statut de réfugiés. C'est n'importe quoi.
par Cédric Mathiot
publié le 15 septembre 2016 à 12h36

INTOX. La droite a décidé d'en faire des tonnes sur la volonté du gouvernement de régler le problème de la jungle de Calais en disséminant des «mini calais» dans toutes la France (en fait, des centres d'accueil, n'ayant précisément rien à voir avec la jungle). Interviewée mercredi par Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV et RMC, Valérie Pécresse en a profité pour décrire le futur (sombre) de ces migrants appelés, selon elle, à se transformer quasiment tous en clandestins : «On sait très bien que dans les demandeurs d'asile, nous allons avoir une extraordinaire majorité, 95%, qui vont être déboutés. Et sur ces déboutés du droit d'asile, il y a en a 1% qui rentreront chez eux !»

DESINTOX. Il y aura donc 95% de déboutés parmi les migrants de Calais ? Valérie Pécresse semble ignorer que le taux de protection moyen des demandeurs d'asile en France (c'est à dire le taux de demandeurs obtenant le statut de réfugiés ou la protection subsidiaire) est, selon l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), de 28%, et qu'il atteint même 36% en tenant compte des appels devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Ce qui laisse donc 64% de déboutés... loin des 95% qu'elle évoque.

Mais surtout, Valérie Pécresse ignore aussi que le taux de protection concernant les migrants de Calais – dont il est question dans l'interview – est bien supérieur à cette moyenne nationale. Ainsi, depuis fin 2014, 4200 migrants ont entamé une procédure d'asile auprès de la préfecture de Calais. Pour un taux de protection de 60%, qui atteint les 70% avec la CNDA. Soit un taux de déboutés de 30%... Trois fois moins que ce que dit Pécresse. Ce qui s'explique, affirme Pascal Brice, directeur général de l'Ofpra, par la nationalité des personnes présentes à Calais : «On trouve beaucoup de Soudanais, Erythréens ou Afghans, qui ont des taux de protection très importants en raison de la situation qui prévaut dans les pays qu'ils ont fui.»

Cela ne veut pas dire que 70% de l'ensemble des migrants de la jungle de Calais (entre 7000 et 10 000 selon les estimations) obtiendront l'asile, pour la bonne raison que tous ne le demanderont pas. L'Ofpra estime avoir remporté depuis deux ans une importante bataille en convainquant les habitants de la jungle de demander l'asile, mais chiffrait récemment à environ 50% le ratio de migrants entamant une démarche. Ce pourcentage augmente sensiblement quand on se focalise sur la population ayant accepté de se rendre dans les centres d'accueil et d'orientation (CAO). L'Ofpra, citant les chiffre du ministère de l'Intérieur, estime que jusqu'à présent, 80% des migrants de Calais ayant accepté d'entrer dans les CAO ont entamé une procédure d'asile.

Il est évidemment trop tôt pour faire le pari du pourcentage de migrants de Calais qui obtiendront l'asile en France, mais au vu des chiffres ci-dessus, l'estimation de Pécresse apparaît bien peu sérieuse.

Le pourcentage de déboutés expulsés et le mythe du 1%

Quand au second chiffre de Valérie Pécresse concernant le nombre de déboutés expulsés, il est tout aussi farfelu, même s'il vient de la publication par le Figaro, en avril 2015, d'une version de travail d'un rapport de la Cour des comptes. Ce rapport, consacré à la politique de l'asile en France, citait effectivement 1% de déboutés reconduits à la frontière :

Le pourcentage de 1% avait à l'époque été abondamment repris par les médias et responsables politiques. Sauf qu'une lecture un peu attentive du passage permettait de voir que les magistrats s'étaient emmêlés les crayons dans leur règle de trois.

Désintox s'en était à l'époque amusé :

La Cour des comptes ne s'est jamais justifiée de ce 1%, arguant que le rapport qui avait fuité n'était qu'un relevé provisoire d'observations, établi avant la phase d'échanges contradictoires avec le ministère de l'Intérieur, et n'avait donc aucune valeur. Le rapport définitif, révélé quelques mois plus tard, a d'ailleurs corrigé cette erreur de calcul manifeste, évoquant lui 96% des déboutés restant sur le territoire, soit 4% d'expulsés. Ce qui reste très faible. Mais il n'a plus jamais été question de 1%.

Même corrigée à 4%, cette estimation de la Cour des comptes a été vivement critiquée par le ministère de l'Intérieur qui l'a jugé fausse, évoquant un «raisonnement simpliste» ne tenant pas compte des retours volontaires des déboutés de l'asile (que le ministère chiffrait à environ 1500 par an). Au total, le ministère de l'Intérieur, qui avait répondu aux questions de Désintox, avait estimé à environ 10% la part de déboutés effectivement renvoyés dans leur pays (pour moitié via une obligation de quitter le territoire, pour moitié par un retour volontaire). Un taux qui se situe au milieu de la fourchette (très large) des estimations souvent très pifométriques réalisées sur le sujet.

La certitude, c'est que le chiffre de 1% de Pécresse, lui, n'a strictement aucune valeur, ne figurant donc même pas dans le rapport définitif de la Cour des comptes.

Pour aller plus loin :

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