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Décryptage

«Douleur», «stress», «cris stridents» : l'élevage de lapins angora pointé du doigt

L'association One Voice révèle ce jeudi les résultats d'une enquête menée durant plusieurs mois dans des élevages français et exhorte le gouvernement à interdire ces pratiques.
par Virginie Ballet
publié le 15 septembre 2016 à 16h03

Des bêtes «exploitées», empoignées «comme des poupées de chiffon», dont les «besoins comportementaux sont niés»… Le bien-être animal dans les élevages français est de nouveau mis en question ce jeudi. Cette fois, ce sont les conditions de vie des lapins angora, élevés pour leurs poils destinés à l'industrie textile, qui sont pointées du doigt, dans une enquête de One Voice.

Créée en 1995 et basée à Strasbourg, l'association s'est infiltrée dans plusieurs élevages français pour mettre au jour les méthodes employées pour «recueillir» les poils des petits lagomorphes. Le résultat, accablant, est accompagné d'une pétition déjà signée par près de 5 000 personnes et adressée au ministère de l'Agriculture. La missive réclame l'interdiction pure et simple de l'élevage de lapins angora sur le territoire français, au motif que celui-ci ne «respecte pas les normes minimales de bien-être et que l'épilation, telle qu'elle y est pratiquée, constitue un acte de cruauté avérée.» Une plainte a également été déposée contre l'un de ces élevages.

Comment a procédé l’association ?

One Voice, qui se définit comme une association «lanceuse d'alerte», explique en préambule de son enquête avoir investigué un semestre durant, entre janvier et juillet 2016, dans six élevages français, sans les nommer ni révéler leur localisation exacte, à la différence d'autres associations comme L214, à l'origine, notamment, des récentes révélations sur différents abattoirs français. «Nous ne voulons pas désigner un élevage plutôt qu'un autre, nous voulons dénoncer un système dans son ensemble et obtenir l'interdiction de l'élevage et du commerce de l'angora», a indiqué la présidente de One Voice, Muriel Arnal, à l'AFP.

Concrètement, ce sont trois membres de One Voice qui ont infiltré cette poignée d'établissements de différentes tailles (de quelques dizaines de lapins à plusieurs centaines), soit en s'y faisant embaucher, soit par d'autres moyens détournés, que One Voice préfère ne pas révéler pour ne pas compromettre ses travaux à venir. L'un de ces «inspecteurs» associatifs, interrogé sous le pseudonyme de Patrick par le Parisien, explique avoir potassé «ces dossiers pendant des mois pour identifier les élevages, leurs besoins, les portes d'entrées par lesquelles se faufiler.» Equipés de caméras cachées, les membres de One Voice peaufinent ensuite leur couverture pour ne pas être découverts. Quoique vegan, le dénommé Patrick explique par exemple avoir ingurgité des civets et autres pâtés de lapin pour ne pas éveiller les soupçons.

Quelle est la réalité des conditions d’élevage ? 

Confinés individuellement dans des clapiers de petite taille (à l'exception des mères et de leurs petits), les animaux, pourtant sociables et joueurs, n'en sont extraits que pour être épilés, et ce dès l'âge de deux mois. Pour ce faire, ils sont soit maintenus tête en bas entre les genoux de l'éleveur, ou, dans l'immense majorité des cas, attachés par les pattes à une table en bois, ce qui, souligne One Voice, génère indéniablement «stress», «douleurs» et «cris stridents», chez des animaux qui, quand ils se portent bien, sont pourtant extrêmement silencieux. Retournés sur le dos (une position qui entraîne chez cet animal de proie un réflexe de survie semblable à une paralysie de panique), les lapins sont également épilés à la main au niveau des parties génitales. Leur peau y est si fine qu'elle est parfois «arrachée», insiste l'association dans son rapport.

L'un des éleveurs, enregistré à son insu, explique ainsi : «Les femelles sont un peu plus fragiles que les mâles au niveau de la peau. Il arrive que ça déchire. Il y en a des fois, tiens, pouf, il y a un bout de peau qui vient avec. Quand ça commence, j'ai vu des fois je lui aurais arraché tout, j'étais obligé de finir aux ciseaux parce que toute la peau venait, alors là tu passes du temps. J'ai vu des fois passer deux heures sur un lapin qui se déchirait de partout. Des fois tu te dis, il faut mieux lui foutre un coup sur la tête, celui-là.»

Chaque lapin est ainsi épilé tous les cent jours. Pourtant sensibles aux chocs thermiques, ils sont ensuite remis tels quels dans leurs clapiers, sans protection contre les aléas climatiques.

Côté alimentation, les membres de One Voice n'ont pu observer de carence («Il faut bien manger pour avoir un beau poil», ironise le rapport). Néanmoins, la plupart des élevages incriminés donnent aux bêtes un fourrage à base de luserne concentrée, le lagodendron, censé faciliter l'épilation. Pour s'assurer que les lapins l'ingurgitent, un jeûne leur est imposé. Or, leur système digestif nécessite qu'ils grignotent très régulièrement. One Voice pointe du doigt une certaine «souplesse» en termes de réglementation et de contrôles.

Attention, certaines images peuvent heurter

Est-ce la première enquête de ce type ?

L'association américaine pour le bien-être animal PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) avait dénoncé dès 2013 les conditions d'élevage des lapins angoras en Chine, d'où vient 90% de la production mondiale, vidéos choc à l'appui. Dans la foulée de ces révélations, plus de 35 enseignes (dont TopShop, H&M ou encore Marks and Spencer), s'étaient engagées à ne plus commercialiser de vêtements ou accessoires à base d'angora.

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