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IRAN

Des transsexuels iraniens montent sur scène pour (enfin) s’affirmer

Capture d'écran d'une vidéo de la performance de la troupe de Saman Arastou dans un café de Téhéran
Capture d'écran d'une vidéo de la performance de la troupe de Saman Arastou dans un café de Téhéran
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Dans une société conservatrice comme l’Iran, aborder en public la condition des transsexuels reste encore tabou et peut choquer. Pourtant, une troupe de théâtre qui compte des acteurs transsexuels arpente les cafés et les petites scènes de Téhéran pour sensibiliser au difficile quotidien des personnes ayant changé de sexe.

À l’inverse des autres communautés LGBT, les transsexuels sont reconnus par la loi iranienne et ne peuvent donc pas être inquiétés par la justice pour leur seule différence. Les opérations de transformation sont légales. Notre Observateur Saman Arastou est né fille, puis a procédé à une opération de ré-attribution de sexe en 2008. Après une première carrière d’actrice au cinéma, il est désormais metteur en scène de théâtre. Il a écrit la pièce "Vous me connaissez tous", qu’il joue dans des salles de Téhéran avec sa troupe. En parallèle, il organise des performances dans des cafés. Les deux spectacles évoquent les ressentis et la condition des transsexuels.

"Des spectateurs qui avaient une opinion négative sur les transsexuels nous disent qu’ils regrettent et ont changé d’avis"

Dans les années 1980, j’ai réalisé que j’étais différent des autres et j’ai essayé de me comprendre. J’ai vu des psychologues, mais au final j’étais assez seul, personne n’était là pour m’aider. Et je n’avais jamais vu de transsexuel dans ma vie. En 1985, l’ayatollah Khomeini a publié une fatwa qui reconnaissait les transsexuels et autorisait les "opérations de ré-attribution de sexe". Après cette décision, des personnes qui ressentaient le besoin de changer de sexe ont doucement commencé à se rencontrer. Mais s’affirmer a pris du temps. Pour ma part, ce n’est qu’en 2006 que j’ai pu envisager de commencer ma transition. J’ai alors rencontré beaucoup d’autres Iraniens transsexuels et j’ai réalisé que beaucoup vivaient dans la même situation de détresse que moi des années auparavant.

J’ai donc décidé de commencer à informer les gens – des familles, des journalistes, des psychologues, etc. - sur la façon d’aider les transsexuels. Dans mon cas, la plupart des psychologues n’avaient aucune idée de comment s’y prendre. Et je me suis dit que je pourrais le faire à travers mon métier, le théâtre. J’ai réuni un groupe de sept acteurs. L’un est également transsexuel, c’est un homme devenu femme, contrairement à moi.

 

 

"Un soir, une vingtaine de personnes sont venues sur scène et ont déchiré ma robe de mariée"

">La performance que nous menons est basée sur l’histoire de ma vie. Nous commençons comme si c’était une pièce classique, puis je déboule dans le café en criant que je fuis ma famille, que mon frère me poursuit. Celui qui le joue arrive et commence à me frapper, de sorte que les spectateurs ne savent pas si cela fait partie du spectacle ou si c’est vraiment en train de se passer. Mon frère dans la pièce dit qu’il veut que j’épouse un homme en tant que femme, et mes sœurs sont là pour essayer de me mettre du maquillage et de me préparer pour le mariage. À vrai dire, ce qui se passe ensuite dépend de la réaction des spectateurs. Parfois, les gens interfèrent dans la performance, pour empêcher ce mariage forcé, parfois ils ne disent rien, ou alors protestent mais laissent faire.

Nous avons réalisé une douzaine de performances dans différents cafés, et joué environ 80 fois notre pièce dans des théâtres. Les réactions sont franchement très positives : des familles viennent nous voir après le spectacle et nous disent que désormais elles comprennent la situation de leur enfant qui se pose des questions sur son identité de genre. Il y a aussi des spectateurs qui n’avaient pas d’avis, voire une opinion négative sur les transsexuels, qui nous disent qu’ils regrettent d’avoir pensé cela et ont changé d’avis.

Une des meilleures réactions du public que j’aie pu voir, c’est un soir où une vingtaine de personnes sont venues sur scène et ont déchiré ma robe de mariée pour empêcher mon union forcée ! Ou une autre fois, un spectateur est venu et a déchiré ma robe de femme que mon frère m’avait forcé à mettre par-dessus mes habits.

Les Iraniens n’ont pas une bonne image des transsexuels et ce n’est pas leur faute. D’une part, nous transsexuels ne savons pas comment nous devons informer les gens sur nous-mêmes. D’autre part, et c’est le problème principal, les transsexuels ne bénéficient d’aucune couverture médiatique, ni de la part de la télé d’État ni d’aucun média. Personne ne parle de nous.

"Devenu un homme, j’ai dû porter des vêtements de femmes pendant encore un an"

Les transsexuels sont confrontés à de nombreux problèmes légaux, car il n’y a pas assez de lois en Iran. Par exemple, il m’a fallu un an entre 2008 et 2009 pour obtenir ma carte d’identité : ma carte d’identité de femme n’avait plus de sens, mais le temps d’en avoir une nouvelle, j’étais obligé de continuer à porter des vêtements de femme malgré mon opération… et les gens se moquaient de moi.

D‘autres problèmes se posent : pour demander un emploi, on doit prouver qu’on a fait son service militaire ou qu’on a été exempté, ce qui est écrit sur un dossier officiel. Mais pour les transsexuels exemptés, souvent l’armée ne sait pas quoi écrire. Et ils peuvent alors se retrouver avec la mention de "maladie mentale" ou de "problèmes d’hormones" sur leur dossier. Cela pose ensuite des problèmes pour se faire embaucher, puisque l’employeur va penser que vous avez un véritable trouble…

"Une opération de ré-attribution de sexe coûte 10 000 euros; seuls 600 euros sont pris en charge"

Par ailleurs, des adolescents sont renvoyés de leur école. La plupart sont des garçons qui veulent devenir des filles. On leur demande pourquoi ils sont comme ça, pourquoi leur voix est féminine, pourquoi ils restent dans la salle de classe lors des récréations…

Dans la série des difficultés quotidiennes pour les transsexuels, je mentionne encore le manque de spécialistes des opérations de ré-attribution de sexe en Iran. Et le prix de ces opérations : pour la faire avec un bon chirurgien, c’est l’équivalent de 10 000 euros, et seuls 600 euros sont pris en charge.

Être transsexuel, c’est aussi s’exposer au regard désobligeant des autres. Quand un homme voulant devenir une femme commence sa thérapie, les hormones font pousser sa poitrine. Il prend une allure féminine et commence à subir des harcèlements, notamment sur les lieux de travail. Il y a tellement peu d’informations sur nous que beaucoup de gens pensent encore que nous sommes homosexuels ou bisexuels.

Tout ce que nous demandons, c’est que la société nous connaisse et nous accepte.

Aucune statistique officielle n’existe en Iran sur le nombre de transsexuels et d’opérations de ré-attribution de sexe. Mais selon la BBC, l’Iran connaîtrait plus d’opérations que la Thaïlande, un des pays les plus en avance sur l’intégration des transsexuels (un troisième sexe y est reconnu, 2 % de la population est transsexuelle).

Un chirurgien iranien avait affirmé en 2014 en qu’il avait procédé à plus de 1 300 opérations de ré-attribution pour des hommes et 500 opérations sur des femmes. Par ailleurs, de plus en plus d’artistes iraniens ont évoqué les transsexuels dans leurs œuvres, notamment au cinéma, avec des films comme "Une femme iranienne" en 2011.

Cet article a été écrit en collaboration avec Bahar Azadi, chercheuse iranienne en sciences sociales.

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