Pauvreté : "Le droit cède la place au mérite"
L'aide sociale est-elle encore un droit ? Quel sera demain le "juste" droit du pauvre ? Entretien avec la spécialiste Élisa Chelle.

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"Droits des pauvres, pauvre(s) droit(s) ?", c'est ainsi que le professeur Pierre-Henri Imbert intitulait un article publié en 1989 dans la Revue du droit public. Pourtant, conçu dès le XIXe siècle comme un outil de lutte contre la pauvreté, le droit "social" n'a cessé de s'enrichir de textes "conçus délibérément comme des remparts à la pauvreté". Partant, "l'intervention publique relève d'un impératif : la pauvreté est vouée à être rectifiée par un droit protégeant les individus des aléas de l'existence", écrit Élisa Chelle dans Gouverner les pauvres. Politiques sociales et administration du mérite*.
Cette philosophie de l'action publique s'est prolongée jusqu'à nos jours, avec un bémol : si le RMI est voulu peu conditionnel et égalitaire, l'aide octroyée au titre du RSA "activité" est conditionnée à un niveau de ressources. Avec cette aide conçue tout autant comme un outil de lutte contre la pauvreté que comme un moteur de retour vers l'emploi, un tournant s'opère. Les allocataires doivent être des agents actifs et mériter leurs droits. Ils entrent désormais dans un "programme" : celui de l'effort récompensé.
À l'heure où le gouvernement souhaite réformer le RSA "activité", la question se pose de savoir si le droit est encore un levier de la politique publique de lutte contre la pauvreté. Élisa Chelle, enseignante-chercheuse associée à Sciences Po Grenoble et au Centre Jacques Berque (Rabat, Maroc), répond aux questions du Point.fr.
Le Point.fr : La non-pauvreté est-elle un "droit", ou, plutôt, comment se traduit le droit de ne pas être pauvre ?
Élisa Chelle : Il se traduit par une aide financière octroyée par la puissance publique à la suite de la reconnaissance officielle d'une situation de pauvreté. Cette conception évolue. Aujourd'hui, le droit à la solidarité est présenté comme "stigmatisant", alors qu'il y a encore quelques années il était considéré comme une protection.
On parle de 15 % de la population, soit 8,7 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit, pour une personne seule, avec des revenus inférieurs à 976 euros. Quand commence ce droit à la solidarité ? Où place-t-on le curseur de la "pauvreté" ?