Lundi politique

Laurence Parisot : «Il n’y a aucune idée nouvelle à droite sur l’approche économique et sociale»

L’ex-présidente du Medef vante la méthode Hollande sur le dialogue social et égratigne Pierre Gattaz. Trouvant dangereuse la radicalité des programmes LR, elle prône un scrutin proportionnel afin de favoriser les alliances.
par Sylvain Mouillard et Amandine Cailhol
publié le 18 septembre 2016 à 18h51

Elue présidente du Medef en 2005, Laurence Parisot, a, pendant huit ans, tenté d'imprimer sa marque et son «ambition humaniste» au sein de la première organisation patronale de France. Jusqu'en 2013, lorsqu'elle a dû céder sa place au très droitier, tendance bulldozer, Pierre Gattaz. Un changement de style radical. Depuis, rangée du Medef, elle a repris du service au sein de l'Ifop, institut de sondage dont elle est vice-présidente et propriétaire, avec sa famille, à 75 %. Elle continue de donner de la voix sur ses sujets de prédilection : entrepreneuriat, parité, diversité. Son terrain de jeu privilégié : Twitter. Elle y cause «état de droit», s'offusque du «fatras intellectuel» autour des questions de religion et défend la cause des femmes sous le hashtag #JamaisSansElles. Rencontre dans son bureau où le street art règne en maître.

Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), «pacte de responsabilité», loi travail : Pierre Gattaz, l’actuel président du Medef, a été bien mieux servi par François Hollande que vous ne l’avez été sous le quinquennat de Sarkozy. Quelle injustice…

(Rires) François Hollande, dans sa politique économique et sociale, a développé une approche social-démocrate qui correspond à ce que j'estime être efficace pour notre pays. Nicolas Sarkozy, quant à lui, était dans une logique beaucoup plus étatique, il estimait que l'efficacité passait par des décisions qui venaient du sommet et devaient, ensuite, s'imposer à l'ensemble du corps social. L'ancien président a réussi un certain nombre de réformes, comme celle des retraites, mais il a échoué dans d'autres domaines, par exemple sur les 35 heures. Si on fait le bilan de la méthode de François Hollande, on voit des mécanismes intéressants et positifs. Je considère le CICE, par exemple, comme très efficace. Il a été très utile à de nombreuses petites et moyennes entreprises qui, probablement, sans lui, auraient déposé le bilan. Il y avait dans l'approche de François Hollande une excellente intention, mais elle a malheureusement été contrée par d'autres facteurs et par des décisions malvenues, comme l'accroissement de la charge fiscale dans des proportions insoutenables en début de mandat.

Quels autres facteurs ?

J’ai déploré des injonctions contradictoires : le CICE a été annoncé en grande pompe, mais les entreprises ont dû attendre un an et demi avant qu’il ne soit mis en place. Voilà qui crée de la désillusion, de l’incompréhension. Le gouvernement a aussi engagé un vrai programme de simplification, mais son exécution a été déviée par d’autres actions qui, au contraire, ont introduit une nouvelle forme de complexité. Quand on lance un choc de simplification et qu’on crée simultanément un compte de pénibilité complètement kafkaïen, alors la bonne idée est détruite !

L’exécutif a tout de même mis 40 milliards d’euros de baisse du coût du travail sur la table. Est-ce que l’erreur, comme le souligne le dernier rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), n’est pas d’avoir tout misé sur l’offre, au détriment de la demande ?

Il ne faut pas choisir de manière dogmatique entre une politique économique favorable à l’investissement et une politique économique favorable à la demande. La bonne décision dépend des caractéristiques majeures de l’état économique d’un pays. En France, ce qui a été très attaqué ces dix dernières années, c’est l’investissement. Ce devait donc être la priorité.

Les patrons de PME ont bien reçu, dites-vous, le CICE. Diront-ils la même chose de la loi travail ?

Il y a du bien et du moins bien dans la loi travail. Mais j’ai bon espoir qu’en donnant plus d’espace au dialogue social au niveau de l’entreprise, ce dispositif améliore leur fonctionnement et leur donne des possibilités d’adaptation inédites. Il faut maintenant le temps que cette culture nouvelle s’installe.

Vous évoquez des retards, des problèmes de mise en œuvre. Mais ces blocages ne sont-ils pas aussi imputables à l’attitude de certains représentants du Medef, Pierre Gattaz en tête, pour qui le gouvernement n’en fait jamais assez ?

Le dialogue social est fondamental. Quand on s’y consacre pleinement, il permet d’avancer, de construire. C’est la philosophie de François Hollande, et il est vrai que ce n’est pas celle de Pierre Gattaz. J’estime que le Medef n’y consacre pas assez de temps et d’énergie. C’est dommage. S’il en avait été autrement, on aurait pu préparer une réforme du marché du travail dans de meilleures conditions. Je regrette aussi le manque de créativité. Il serait urgent maintenant d’élaborer une assurance chômage européenne. Or ce volet n’a pas encore été abordé en France.

Les marges d’amélioration sont énormes : ce printemps, Pierre Gattaz a comparé la CGT à des «voyous»…

Je n'ai jamais aimé l'expression «patron voyou», je déteste tout autant l'expression «cégétiste voyou». Dans une société française anxieuse, en proie aux doutes, et générant quotidiennement ses propres clivages, la responsabilité première de ceux qui ont la possibilité d'agir, c'est de jeter des passerelles. Et non pas de couper les ponts.

En 2007, vous aviez publié Besoin d’air pour insuffler vos idées en amont de la présidentielle. Comment allez-vous peser dans la prochaine campagne ?

J’ai en effet l’intention de m’exprimer. J’attends néanmoins que la primaire de la droite soit passée pour dire les choses avec plus de force. Pour l’heure, je constate qu’il n’y a aucune idée nouvelle à droite sur l’approche économique et sociale. Plusieurs candidats à la primaire disent qu’il faut agir vite, fort et de manière autoritaire. Or je suis convaincue que c’est une approche erronée et dangereuse. En dehors de cet affichage, il n’y a rien de nouveau. Il faut aussi voir ce qui va se passer dans l’autre camp. La gauche n’est pas morte et peut tout à fait se reconstituer d’ici le début de l’année prochaine. L’intensité des débats entre les frondeurs, Manuel Valls, Emmanuel Macron et François Hollande peut faire émerger quelque chose de nouveau et d’intéressant. Je regarderai aussi de ce côté-là.

Et le centre ?

François Bayrou m’invite à l’université de rentrée du Modem, j’y vais volontiers, mais cela ne veut pas dire que je m’engage à ses côtés. Je crois que le centre a un véritable poids politique. Beaucoup de Français appellent de leurs vœux une majorité qui combine centre-droit et centre-gauche. Mais le centre ne peut pas se constituer en force électorale à cause de notre mode de scrutin.

Allez-vous participer à la primaire de la droite et du centre ?

Non, je ne crois pas que je voterai, car je n’aime pas cette façon de désigner les candidats qui les amène à des expressions tout à fait détestables, des positionnements démagogiques, simplistes. Cela rend le débat médiocre.

Peut-être est-ce aussi dû au faible renouvellement du personnel politique…

Notre système politique s’asphyxie. Les Français ne se désintéressent pas de la politique, ils en sont dégoûtés. La primaire y participe. Regardez le débat sur le burkini au cours de l’été. Pour certains élus, il s’agissait seulement de montrer qu’ils partaient en guerre contre un prétendu islamisme rampant. Cette affaire est devenue délirante et a contribué à une grande confusion des esprits. Plus personne ne comprend ce qu’est la laïcité, les libertés individuelles, la tolérance.

La gauche au pouvoir depuis 2012 n’a-t-elle pas également une responsabilité dans cette évolution ?

J’ai un grand regret. Le 11 janvier 2015, nous étions tous unis derrière des principes évidents. Mais nous n’avons pas su en tirer un élan favorable au rassemblement des Français. Le président de la République, le Premier ministre, mais aussi les leaders de l’opposition, y ont une part de responsabilité. Et probablement plus encore les partis politiques. Ce sont de petites machines électorales à bout de souffle. Leur dérive effrayante vers des positions chaque jour plus extrémistes donne une fausse légitimité aux idées du Front national.

Emmanuel Macron et son «ni gauche, ni droite» représente-t-il une voie d’avenir ou risque-t-il de renforcer la dépolitisation des Français ?

Le «ni gauche ni droite» a un lointain passé inquiétant et il n'a pas de sens culturellement ni institutionnellement. Tant que nous aurons un mode de scrutin majoritaire à deux tours, un clivage s'installera inévitablement pour permettre une victoire au second tour, et ce sera celle d'un camp. Il est temps de réfléchir à l'inverse, à un scrutin proportionnel qui favorise les alliances électorales comme on le voit dans l'Allemagne d'Angela Merkel depuis des années. Toutefois, même si je ne partage pas son approche «ni gauche ni droite», la percée spectaculaire d'Emmanuel Macron est remarquable (lire notre article). Il bouscule les lignes. Manuel Valls est aussi dans cette logique-là, il est capable de briser des tabous.

Avec, souvent, la tentation de l’homme providentiel…

Cette idée selon laquelle un homme seul pourrait tout faire, ça ne va pas. Les Français aspirent à des équipes mixtes. Tous les staffs de campagne, à part celui de Cécile Duflot, sont masculins. Face à l’ampleur des problèmes, il faut raisonner par équipes, diverses en âge, sexes, origines, cultures. Il est aussi condamnable d’avoir une équipe quasiment sans femme que majoritairement constituée d’énarques. Il faut le dire et protester. Tant qu’ils continueront à agir ainsi, les hommes politiques susciteront le dégoût.

La campagne 2017 vous inquiète-t-elle ?

Enormément. Je suis inquiète car l’histoire nous a montré à quel point, notamment en situation économique fragile, un pays peut vite basculer vers quelque chose d’extrémiste. Or je suis frappée, aujourd’hui, d’entendre certains égrener comme des banalités des idées très dangereuses.

A qui pensez-vous ?

Je suis très étonnée de la place accordée à Eric Zemmour, pourtant capable de propos racistes. C’est aussi le champion de la misogynie. Certains hommes politiques promeuvent également des thèmes comme la fermeture des frontières, la définition fixiste de l’identité française, un antagonisme avec l’islam… L’installation de ces thématiques peut favoriser l’élection de Marine Le Pen, et c’est une négligence grave de l’oublier.

Les propositions d’un Nicolas Sarkozy, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, ne sont pas si éloignées de celles de l’extrême droite…

A cause du terrorisme sur notre territoire, nous sommes obligés de prendre des mesures auxquelles nous n’aurions pas pensé il y a cinq ou dix ans. Mais cela doit se faire dans le respect des principes liés à l’Etat de droit. Je me suis félicitée que François Hollande instaure l’état d’urgence le soir du 13 Novembre. Mais ce temps est aujourd’hui quasi révolu. Nous devons en sortir. Lorsque Nicolas Sarkozy propose la création d’un parquet national antiterroriste, c’est une bonne idée. Mais je ne vois pas comment on peut, comme il le propose, enfermer quelqu’un qui n’a pas commis d’actes répréhensibles, ou expulser une personne de nationalité française. En revanche, j’aimerais que l’Education nationale dispose de moyens accrus. Car c’est là que se joue d’abord l’intégration.

Une photo, un objet

C'est un totem qui vient d'une des plus grandes tribus indiennes de la côte Pacifique du Canada, les Haïdas. Je suis très attachée à cet objet. Pour sa beauté. Parce qu'il représente des figures animalières et des figures humaines, montrant ainsi l'absence de frontière entre les deux. Parce qu'il s'agit d'un talk stick qui permet de prendre la parole, de dire : «J'existe, dans ma dignité, dans ma lignée, et j'ai le droit de m'exprimer, et voici ce que je pense.» Il montre l'exemple au moment où trop de Français n'ont pas droit à la parole.

Les premières fois du prochain président

Le premier voyage à l’étranger ?

A Bruxelles, devant le Parlement européen.

Le premier déplacement en France ?

A Saint-Denis (au nord de Paris). C’est un lieu où s’est toujours jouée l’histoire de France et où elle se joue encore à travers les questions d’immigration, d’intégration, de sport et d’implantation aujourd’hui massive de grandes entreprises.

La première décision ?

Un plan de dix actions pour l’intégration.

Le premier grand discours ?

Sur la laïcité.

La première personne reçue ?

Le dernier prix Nobel de médecine.

Pour aller plus loin :

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