Rémy Garnier sur l'affaire Cahuzac : «Le fisc savait depuis 2008 et n'a jamais enquêté»

  • Rémy Garnier, hier, à Agen. Rémy Garnier, hier, à Agen.
    Rémy Garnier, hier, à Agen. Photo DDM, J.Sch.
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Propos recueillis par Jérôme Schrepf

Omniprésent pendant les débats du procès de l'ancien ministre du Budget, Rémy Garnier, l'inspecteur des impôts qui révélait à sa hiérarchie dès 2008 l'existence d'un compte Cahuzac en Suisse, s'exprime sur l'affaire.

Le rendez-vous avait été fixé hier en fin de matinée à Agen. Rémy Garnier, désormais retraité du Trésor public, voulait d'abord participer à la manifestation organisée dans les rues de la préfecture lot-et-garonnaise contre la loi travail : «Un baroud d'honneur, il y avait peu de participants». Lui qu'on a présenté comme le faux nez de son avocat Michel Gonelle, longtemps adversaire préféré de Jérôme Cahuzac à Villeneuve-sur-Lot, est un citoyen engagé. A gauche.

Mémoire et enregistrement

Inspecteur des impôts à Agen placardisé par sa hiérarchie pour ses manières intransigeantes et trop pointilleuses, Rémy Garnier recueille la confidence d'un collègue villeneuvois sur l'existence d'un compte en Suisse du député Cahuzac. Désœuvré, au fond de son placard, celui que ses collègues surnomment «Colombo» fouille, ouvre le dossier «Cahuzac» sur le logiciel Adonis du Trésor public, relève des «anomalies» et rédige un mémoire, datant de juin 2008, destiné à argumenter sa défense face à une hiérarchie qui l'oppresse et le harcèle et transmis au tribunal administratif. Au tribunal administratif mais aussi à toute la chaîne de commandement de l'administration fiscale, ministre inclus, à l'époque Eric Woerth. Dans ce mémoire, figurent noir sur blanc les anomalies relevées par Rémy Garnier et les infos glanées sur la situation fiscale du maire de Villeneuve-sur-Lot redevenu député. Dont le fameux compte en Suisse, dont Rémy Garnier a acquis la conviction de son existence après son enquête et la confirmation de l'existence d'un enregistrement détenu par Michel Gonelle, son avocat, dans lequel Jérôme Cahuzac évoque ce fameux compte chez «UBS, pas la plus planquée des banques suisses».

C'est donc un interlocuteur concerné que nous retrouvons hier, à l'heure où, à Paris, le procès Cahuzac se termine.

Vous avez suivi l'audience ?

Oui, en tant que citoyen d'abord, ça m'a beaucoup intéressé. Et puis aussi parce que j'ai joué un rôle dans cette affaire évidemment.

Ce procès, c'est une réhabilitation pour vous ?

J'ai été réhabilité dès les aveux de Jérôme Cahuzac le 2 avril 2013. C'était la preuve que j'avais raison. Et puis j'ai pu m'exprimer pendant plus de deux heures devant la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Cahuzac. Mais avant ça, quand Médiapart sort l'affaire, j'ai été traité de tous les noms. Le Canard enchaîné, L'Obs, le JDD, des journaux et des personnalités qui ont pignon sur rue m'ont qualifié de balance déréglée, d'ermite paranoïaque, de délateur, de corbeau.

Vous êtes moins sévère envers Jérôme Cahuzac, presque indulgent…

Indulgent non, certainement pas ! Mais je trouve que c'est un immense gâchis de la part d'un homme aussi brillant que lui. Jamais Villeneuve n'a eu un homme politique d'une telle envergure. Mais il a joué et il a perdu.

Qu'avez-vous pensé des réquisitions du parquet qui réclame 3 ans de prison ferme à son encontre et 5 ans d'inéligibilité ?

Les peines demandées sont dures mais l'argumentation l'est encore plus. La procureur parle de trahison de la part de Jérôme Cahuzac envers ses amis politiques, le Président, ses électeurs, mais surtout il a ridiculisé la France aux yeux du monde en lui donnant l'image d'une République bananière. Il a aussi fait perdre tout espoir en la politique à de nombreux électeurs. Pour autant je ne suis pas partisan de la prison ferme. Ça va rapporter quoi à la société de mettre Cahuzac et son ex-femme en prison ? Ça va coûter cher, car ils seront en quartier VIP, c'est tout. En revanche l'inéligibilité de 5 ans qui a été demandée me paraît pleinement méritée. Surtout je les aurais frappés au portefeuille, en infligeant les amendes maximums à 1 million d'euros. Pour le reste, il a déjà payé par sa déchéance morale. Tout a volé en éclats chez eux, famille comme carrière.

D'ailleurs il garde des soutiens localement…

Quand j'entends à Villeneuve des gens qui regrettent Jérôme Cahuzac, qui prétendent qu'ils voteraient pour lui s'il revenait et qu'il serait réélu, je suis atterré : ils n'ont rien compris, c'est la négation de tout sens civique.

Qu'est-ce qui vous a surpris dans les débats au cours du procès ?

J'étais curieux de connaître le montant. Moi je soupçonnais l'existence d'un compte alors qu'au final il y en a plusieurs. 3,5 millions d'euros ont été soustraits au fisc. Mais ça, ce n'est que le reliquat. Ils ont dissimulé beaucoup plus. J'ai surtout été surpris de l'ampleur de la fraude du côté de l'ex-Mme Cahuzac.

L'explication «Rocard», selon laquelle le compte en Suisse a été ouvert en 1991 pour financer la campagne présidentielle de Michel Rocard en 1995, vous y croyez ?

C'est une piste qui me paraît plausible mais que Jérôme Cahuzac avance sans apporter de preuve. Ce qui ruine donc sa crédibilité. Pour autant, j'avais émis l'hypothèse de versements par des laboratoires pharmaceutiques du fait des fonctions occupées par Jérôme Cahuzac lorsqu'il était au cabinet du ministre de la Santé Claude Evin. Il avait la mainmise sur les autorisations de mise sur le marché, le prix des médicaments et la hauteur du remboursement par la Sécu. L'activité de sa société Cahuzac Conseil est intéressante à ce sujet. Il y a ce qui est visible et ce qui ne l'est pas. Personne n'a jamais creusé de ce côté. Surtout, il ne touche presque pas au compte ouvert en 1991, pour la campagne de Rocard dit-il. Même s'il finit par faire faire une procuration à sa femme dessus. C'est bourré de paradoxes et de contradictions.

Pourtant, le fisc savait, au moins depuis vos recherches en juin 2008, qu'il y avait une potentielle «affaire Cahuzac» ?

Ça m'a même valu un avertissement signifié par arrêté ministériel d'Eric Woerth en décembre 2008 car on prétendait que j'avais outrepassé mes droits. La justice administrative a depuis dit que j'avais fait mon travail en essayant de vérifier des informations portées à ma connaissance. Je m'attendais d'ailleurs, après avoir rédigé ce mémoire et ouvert le dossier Cahuzac, à être convoqué pour qu'on me demande de m'expliquer sur ce que j'avais trouvé. Ça n'est jamais arrivé. Personne ne m'a jamais demandé de comptes sur mes soupçons. L'administration fiscale n'a jamais fait son autocritique. Elle est pourtant la première fautive dans cette affaire. Le fisc était alerté depuis 2008 et n'a jamais enquêté.

Le procès est terminé, le jugement sera rendu le 8 décembre. Cette histoire est finie pour vous ?

Celle-là oui mais je réclame l'indemnisation pour préjudice de carrière à l'État, car j'ai été placardisé et je n'ai pas eu l'avancement que j'aurais dû avoir. J'attends une audience devant la cour d'appel administrative pour qu'elle fixe, ou non, cette indemnité et la reconstitution de ma carrière. On peut me croire cupide mais il ne s'agit pas de ça : je veux la vérité, c'est tout. Je suis prêt à me faire couper la tête pour ça, j'irai jusqu'au bout.

Finalement, vous avez deux trajectoires parallèles, Jérôme Cahuzac et vous. Et deux carrières brisées…

Nos deux destins ne peuvent être comparés, et ce n'est pas de la fausse modestie. En revanche, j'espère avoir une trajectoire en sens inverse de la sienne. Il était au sommet et risque la prison. Moi j'ai commencé par toucher le fond et j'espère aujourd'hui la réhabilitation complète. Mais je trouve qu'il a tendance à s'apitoyer sur son sort. Il a joué, il a perdu. Je lui dois quand même tous mes emmerdes…

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