Physique

Le rayonnement de Hawking des trous noirs simulé en laboratoire

Deux expériences utilisant des systèmes hydrodynamiques ont mis en évidence un phénomène analogue à la faible radiation émise par les trous noirs, le rayonnement de Hawking.

Trou noir acoustique

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En février 2016, l’annonce de la détection d’ondes gravitationnelles par l’interféromètre géant LIGO inaugurait une nouvelle voie pour étudier les trous noirs. En effet, ces vibrations de l’espace-temps provenaient de la coalescence de deux d'entre eux, offrant un point de vue inédit sur leur dynamique. Mais les ondes gravitationnelles ne sont pas les seules ondes permettant d’étudier ces objets de l’extrême. En 1981, William Unruh, de l’université de Colombie-Britannique, au Canada, a suggéré que des systèmes hydrodynamiques pouvaient reproduire, par analogie, certaines propriétés des trous noirs : c'est ce qu'on appelle les trous noirs acoustiques. Jeff Steinhauer, du Technion en Israël, et une équipe franco-britannique codirigée par Germain Rousseaux, de l’Institut Pprime à Poitiers, et par Renaud Parentani, du Laboratoire de Physique Théorique de Paris-Sud, ont utilisé des dispositifs très différents pour observer l’équivalent du rayonnement de Hawking dans ce contexte.

Les trous noirs figurent parmi les objets les plus étranges de l’Univers. Ces astres sont si compacts qu’ils déforment l’espace-temps autour d’eux au point qu’aucun objet, même filant à la vitesse de la lumière, ne peut s’en échapper. Ils sont ainsi qualifiés de « noir » car aucun rayon lumineux ne peut en sortir et nous parvenir. Cependant, en 1974, Stephen Hawking a montré que les trous noirs devaient quand même émettre un rayonnement lorsque l'on prend en compte des fluctuations d'origine quantique qui existent dans le vide. D'après les calculs de Stephen Hawking, ces fluctuations sont amplifiées au voisinage de l'horizon des événements (la frontière qui délimite la zone de non-retour autour du trou noir). Cette amplification se traduit par l'émission spontanée de paires de photons. Pour chaque paire, l'un des photons tombe dans le trou noir tandis que l'autre s'en échappe. Du point de vue d'un observateur à bonne distance du trou noir, ce dernier émet donc un rayonnement, le « rayonnement de Hawking ».

Ce processus reste pour l'heure purement théorique. En effet, un trou noir de la masse du Soleil émettrait un rayonnement infime, à une température d'environ 60 nanokelvins. Beaucoup trop faible pour envisager une détection. Dès lors, comment vérifier la prédiction de Stephen Hawking ? William Unruh a proposé une solution : utiliser des systèmes hydrodynamiques qui présentent des analogies mathématiques avec les trous noirs. En effet, il existe une correspondance entre la propagation des ondes lumineuses au voisinage d'un trou noir et celles des ondes sonores dans un fluide dont la vitesse d'écoulement franchit celle du son. Plusieurs approches ont été explorées pour créer des écoulements analogues aux « trous noirs » dans des systèmes hydrodynamiques.

Jeff Steinhauer a pourt sa part refroidi un nuage d’atomes de rubidium à quelques nanokelvins pour obtenir un condensat de Bose-Einstein, un état de la matière possédant un comportement quantique collectif. Un laser a mis le condensat, long de 0,1 millimètre, en mouvement de telle sorte qu’une partie de l’écoulement est subsonique et l’autre supersonique. La limite entre les deux régions est l’analogue de l’horizon des événements : une onde dans la région supersonique ne peut pas « remonter le courant » et atteindre la zone subsonique. À très basse température, les fluctuations quantiques associées aux vibrations des atomes dans le condensat subsistent. Des paires de quasiparticules, nommées phonons, sont émises de part et d'autre de l'horizon sonore, en parfaite analogie avec la formation de paires de photons décrite par Hawking. Un phonon est happé dans la région supersonique tandis que l’autre remonte à contre-courant la région subsonique. Mais peut-on vérifier que l'on a bien affaire au mécanisme de Hawking ? L’une des prédictions de Hawking est que la particule et son partenaire sont intriquées, c'est-à-dire que leurs propriétés quantiques sont corrélées. Il devrait en être de même pour les deux phonons qui apparaissent dans le condensat. Les observations de Jeff Steinhauer indiquent que c’est bien le cas, du moins dans une certaine gamme d’énergie.

Avec un tout autre dispositif, et suivant la voie tracée par les expériences précédentes de Germain Rousseaux, à Nice, et celles du groupe de Silke Weinfurtner, à Vancouver, l'équipe franco-britannique a utilisé un autre système analogue : un écoulement d’eau turbulent dans un canal de sept mètres de long. Dans ce cas, le courant joue le rôle de l’espace-temps et les fluctuations de la surface de l'eau celui des ondes lumineuses. Un obstacle placé au fond du canal accélère le flot pour bloquer les ondes. Celles-ci remontent le courant mais ne peuvent pas se propager en amont de l'obstacle. De ce point de vue, ce dispositif est l’analogue d’un trou blanc, l'hypothétique contraire d’un trou noir, c’est-à-dire une région de l’espace où rien ne peut pénétrer. Quel est alors l’analogue du rayonnement de Hawking ? Les ondes qui remontent le courant jusqu’à l’obstacle donnent naissance à deux ondes qui repartent vers l’aval. L'une d'entre elle, la principale, transporte l'essentiel de l'énergie de l'onde incidente. L'autre, en revanche, a une amplitude très faible et possède la propriété étonnante de transporter une énergie négative. Ces deux ondes sont corrélées entre elles et constituent l'analogue des paires formées par l'effet Hawking. En filmant les variations de la hauteur d’eau à la surface du canal, les chercheurs ont mesuré les propriétés de ces ondes et ont montré qu’elles présentent bien des corrélations analogues aux paires de Hawking.

Dans cette dernière expérience, l’amplitude de l'onde d'énergie négative est liée à la variation de vitesse au niveau de l’obstacle (plus précisément au gradient de vitesse). Mais une variation trop grande masquerait les effets intéressants en générant des perturbations parasites. Pour trouver le bon compromis, l'équipe française a dû faire de « l’ingénierie analogue de l’espace-temps » en calculant précisément la forme que l’obstacle devait avoir.

Ces deux résultats sont une percée importante dans l’étude des systèmes analogues des trous noirs. Toutefois, précise Renaud Parentani, les prédictions théoriques ne sont pas en parfait accord avec les données observationnelles recueillies. Il convient donc de raffiner ces prédictions et de planifier de nouvelles expériences. Germain Rousseaux ajoute qu’une des prochaines étapes serait d'associer l’analogue d’un trou noir et celui d’un trou blanc. En astrophysique, ces deux objets sont reliés par un hypothétique trou de ver. Son analogue hydrodynamique, qui reste à explorer, pourrait jeter un nouvel éclairage sur ces mystérieuses solutions de la relativité générale.

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Sean Bailly

Sean Bailly est rédacteur et responsable des actualités à Pour la Science.

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Références

J. Steinhauer, Observation of quantum Hawking radiation and its entanglement in an analogue black hole, Nature Physics, 3868 (2016).

L.-P. Euvé, F. Michel, R. Parentani, T. Philbin and G. Rousseaux, Observation of noise correlated by the Hawking effect in a water tank, Physical Review Letters, vol. 117, n° 12, 121301, septembre 2016. (prépublication sur arXiv)

R. Parentani, Les prédictions de Stephen Hawking, Dossier Pour la Science, n° 75, avril-juin 2012.

R. Parentani, Les trous noirs acoustiques, Dossier Pour la Science, n° 38, janvier-avril 2003.

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