C’est “l’une des scènes les plus surréalistes de Soy Nero”, raconte Animal Politico. “Quatre jeunes disputent une partie de volley-ball sur une plage. Deux d’entre eux se trouvent côté américain, les autres côté mexicain. Ils utilisent la barrière métallique qui sépare leurs pays comme filet, tandis qu’une caméra de surveillance épie tous leurs mouvements. La scène se passe à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, entre San Diego et Tijuana pour être exact.”

Nero (Johnny Ortiz), 19 ans, est l’un de ces quatre joueurs. Le héros du film de Rafi Pitts “semble avoir plus d’affinités avec le ballon de volley qu’avec ceux qui jouent avec”, poursuit Animal Politico. Le jeune Mexicain a grandi sans papiers à Los Angeles, en Californie. Expulsé des États-Unis, il multiplie les tentatives pour traverser clandestinement la frontière et regagner “sa” ville. “Avec l’intention de devenir citoyen américain, il va s’enrôler dans l’armée américaine, une procédure censée faciliter la naturalisation”, précise le site d’information.

Nero va devenir ce que l’on appelle aux États-Unis un green card soldier : un étranger qui, normalement déjà titulaire d’une carte de résident permanent, la green card (carte verte), s’enrôle dans l’armée américaine. Le dispositif existe depuis la guerre du Vietnam. Mais en juillet 2002, arguant du nouveau contexte induit par les attentats du 11 septembre, le président George Bush a signé une directive qui permet à ces soldats de bénéficier d’une procédure accélérée de naturalisation.

Une expérience collective

Comme Nero va l’apprendre à ses dépens, “pour plusieurs green card soldiers, le rêve de devenir citoyen américain s’est terriblement mal terminé”, prévient Animal Politico. Cela est déjà le cas depuis quarante ans pour ceux qui ne demandent pas la naturalisation : qu’ils n’accomplissent pas certaines formalités à temps ou qu’ils commettent une incartade voire une bavure, et ils peuvent être sans formalités renvoyés dans leur pays d’origine. Soy Nero illustre l’expérience collective de centaines de militaires, hommes et femmes, de toutes les races et nationalités”, assure Daniel Torres.

Daniel Torres parle en connaissance de cause : consultant militaire sur le tournage du film, il est lui-même un ancien green card soldier qui a tout perdu. Interrogé par le site d’information de Mexico, il dévide son histoire. Né il y a trente ans à Tijuana, Daniel Torres rejoint ses parents à Salt Lake City alors qu’il est encore mineur. Eux ont un visa de travail, lui bénéficie d’un visa de membre de famille dépendant. À 21 ans, en 2007, il décide de s’enrôler dans les marines, à une époque où “l’armée américaine avait un besoin urgent de nouvelles recrues”, se souvient-il. Autant dire que les recruteurs ne se montrent pas très pointilleux : ils ferment les yeux sur le fait qu’il n’est ni citoyen américain ni résident permanent. Mais une fois enrôlé le jeune homme peut en tout cas caresser l’espoir d’être à terme naturalisé.

De retour dans les limbes

Daniel Torres sert en Irak, puis se porte de nouveau volontaire pour partir en Afghanistan. Mais là, c’est le drame : il perd ses papiers. “Mon histoire s’est effondrée”, se souvient-il. Sans document prouvant qu’il serait citoyen américain ou résident permanent, il est arrêté, interrogé et renvoyé de l’armée. Il perd tout le bénéfice de trois ans et cinq mois passés sous les drapeaux : “J’étais de retour dans les limbes, sans papiers, illégal de nouveau”, dit-il. En 2011, sans espoir, il retourne à Tijuana.

Et c’est seulement alors qu’il découvre qu’il n’est pas un cas isolé. Un de ses oncles l’aiguille vers le Centre d’aide aux militaires déportés de Tijuana, qui fournit refuge, assistance légale, aide médicale et soutien à d’autres green card soldiers expulsés des États-Unis. “Beaucoup de ces personnes souffrent de stress post-traumatique, de dépression, de problèmes de drogue ou d’alcoolisme. Et dans la majeure partie des cas ces problèmes résultent de leur passage dans l’armée américaine, s’indigne Daniel Torres. C’est [parce qu’ils ont vu et vécu des choses difficiles sous les drapeaux] qu’ils ont eu ces problèmes et qu’ils ont ensuite été expulsés, et une fois qu’ils ont été expulsés, ils n’obtiennent plus aucune aide du gouvernement américain.”

C’est à tous ces hommes et femmes que Soy Nero tente de donner un visage, une histoire. “Au final, le film ne parle pas seulement d’immigration, mais aussi d’identité”, insiste Animal politico. Comme le résume Rafi Pitts, le réalisateur irano-britannique du film : “Ce qui unit tous les personnages est la même nécessité d’appartenir à quelque chose. Tous sont solitaires, aucun n’a d’appartenance.”