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Analyse

L'ère de la démondialisation

Depuis la crise financière, les échanges mondiaux ne cessent de décevoir. Ils progressent maintenant moins vite que l'activité. Une rupture profonde qui vient à la fois de la Chine et de la stratégie des grandes entreprises.

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Par Jean-Marc Vittori

Publié le 19 sept. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Dans le puzzle de la langueur économique planétaire, voici une pièce essentielle : l'anémie des échanges. Avant la crise financière de 2008, les exportations mondiales progressaient deux fois plus vite que la production. Souvenez-vous, le globe devenait un village... Mais ce rapetissement de la planète, amorcé après la Seconde Guerre mondiale et accéléré à partir des années 1980, est désormais révolu. Depuis cinq ans, le volume des exportations mondiales avance au même rythme que l'activité. Ces derniers temps, il a même été moins vite, contrairement à ce que prédisent avec constance les experts de l'Organisation mondiale du commerce. Le retournement commence à faire des dégâts. Pour la première fois depuis trente ans, un géant du fret maritime a fait faillite - le chinois Hanjin. C'est un signe de plus d'une rupture majeure. La démondialisation a commencé. Pourquoi ?

Au plus fort de la crise financière, les échanges mondiaux s'étaient effondrés de 12 % en 2009. Mais cette chute n'était guère surprenante. Quand tout le monde panique, quand les entreprises ne pensent plus qu'à accumuler du cash, l'export et son financement sont les premiers sacrifiés. Quand la tempête souffle, on se réfugie sous son toit. Comme lors du krach de 1929, avant même que les mesures protectionnistes comme la loi Hawley-Smoot votée en 1930 ne fassent sentir leur morsure. Lors de la Grande Dépression, la fermeture des frontières commerciales décidée par tous les pays avait ensuite plongé les échanges dans une spirale dépressive, entraînant les économies dans le gouffre. Les gouvernants actuels en ont tiré la leçon. Ils ont préservé l'ouverture des frontières, même s'ils ont édifié beaucoup de murets ici et là. La démondialisation n'est pas une décision politique. Elle vient des entrailles de l'économie. Beaucoup d'économistes ont voulu y voir un mouvement cyclique et donc temporaire. Selon eux, c'est la demande trop molle qui entraîne un commerce trop mou. L'asthénie de l'Europe, qui réalise en son sein le tiers des échanges mondiaux, expliquerait une bonne part de l'inflexion. Le ralentissement mondial des investissements, qui se traduisent souvent par des commandes de machines fabriquées en Allemagne ou au Japon, y aurait aussi contribué. Une fois les séquelles de la crise disparues, tout repartira comme avant. Mais les experts qui ont tenté d'évaluer l'impact de ces facteurs conjoncturels en conviennent : ils expliquent au plus la moitié du changement. Et, à y regarder de plus près, le freinage des exportations a commencé avant la crise financière. Il faut donc aller chercher plus loin les causes du mouvement.

A vrai dire, inutile de creuser beaucoup : l'inversion de la courbe de la mondialisation s'explique d'abord par le renversement en cours dans le plus grand pays du monde. Avec sa croissance échevelée depuis les années 1980, la Chine avait joué un rôle central dans l'intensification du trafic mondial. A la fois du côté de l'offre, en devenant l'« usine du monde » avec des centaines de millions de salariés payés une misère, et du côté de la demande, en achetant massivement les matières premières pour alimenter ses usines et ses chantiers. Mais l'ex-empire du Milieu a entamé son grand virage depuis une décennie. Il veut compter sur sa demande intérieure et non plus sur l'export, qui a tiré ses « Trente Glorieuses ». Il bascule aussi des activités agricoles et industrielles vers les services, moins gourmands en importations. Il achète enfin moins d'équipements pour ses usines. Au fond, ce qu'on a appelé « mondialisation » ces deux dernières décennies était surtout le fruit de l'émergence brutale du pays le plus peuplé au monde sur la scène économique mondiale. Aucune autre nation n'aura un tel impact à l'avenir. L'Inde est déjà très orientée sur son marché domestique et l'Afrique restera morcelée. L'irruption de la Chine a amplifié un autre mouvement de fond, venu des entreprises. C'est l'éclatement des chaînes de production, qui a aussi stimulé la mondialisation avant de se calmer. Depuis les années 1990, les géants mondiaux ont réorganisé leurs activités en fabriquant chaque composant de leurs produits là où c'est le moins cher. Mettant à profit non seulement l'émergence de nouveaux producteurs en Chine et dans les pays à l'est de l'Europe, mais aussi les nouvelles facilités offertes par Internet et donc le transfert de masses énormes d'informations instantanément et quasi gratuitement.

Cet éclatement, qui a provoqué une explosion des échanges intra-industriels, s'épuise lui aussi. D'abord parce que les salaires se sont rapprochés. Même entre la Chine et les Etats-Unis ! Ensuite, les pays sont de plus en plus exigeants sur le contenu local de leurs achats - Alstom l'a expérimenté pour ses ventes de trains, y compris aux Etats-Unis. Les entreprises ont aussi découvert que les chaînes étirées sont fragiles. Un seul fabricant qui s'arrête quelque part pour cause d'incendie, de grève ou de tremblement de terre et c'est parfois des dizaines d'usines qu'il faut stopper un peu partout dans le monde. Enfin, les technologies de l'information déployées dans l'industrie vont de plus en plus rentabiliser des séries plus petites et plus proches des lieux de vente.

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La mondialisation a encore des ressorts. Les PME pourraient entrer beaucoup plus vigoureusement dans le jeu en mobilisant toute la palette des outils numérique, de la vente par Internet aux nouveaux moyens de paiement. Et, selon les consultants de McKinsey, les flux mondiaux d'information ont été multipliés par quarante-cinq en une décennie. Mais la mondialisation du tournant du millénaire, avec ses tonnes d'acier, ses salaires infimes et sa frénésie de transport, est désormais un morceau d'histoire.

Les points à retenir

Avant la crise financière de 2008, les exportations mondiales progressaient deux fois plus vite que la production.

Mais, depuis cinq ans, leur volume avance au même rythme que l'activité. Ces derniers temps, il a même été moins vite.

L'inversion de la courbe de la mondialisation s'explique à la fois par les changements à l'oeuvre en Chine et par le mouvement de « relocalisation » d'un certain nombre d'industries.

Editorialiste aux « Echos » Jean-Marc Vittori

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