Faut-il aller voter à la primaire de droite si l’on est de gauche ?

Dans les isoloirs de la primaire, y'aura-t-il des électeurs de gauche ? ©AFP - Thierry Thorel / Citizenside
Dans les isoloirs de la primaire, y'aura-t-il des électeurs de gauche ? ©AFP - Thierry Thorel / Citizenside
Dans les isoloirs de la primaire, y'aura-t-il des électeurs de gauche ? ©AFP - Thierry Thorel / Citizenside
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Dilemme : légitimer la primaire du camp d'en face ou renforcer le candidat "le moins pire" ?

C’est une question qui monte avec la tournure que prend le débat public ces dernières semaines : gaulois, schengen, identité.

La primaire de droite n’a pas encore eu lieu, mais elle a déjà imposé son agenda et ses thèmes. Et ça ne fait que commencer. Alors, face à cela, l’électeur de gauche peut légitimement s’interroger : y aller ou pas ? C’est un cas de conscience inédit, puisque ces primaires à droite sont pour la première fois "ouvertes".

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Il y a le sentiment diffus que le président de la République de 2017 sera en fait élu... en 2016. Le 27 novembre précisément, au soir du deuxième tour de la primaire. Dans cette théorie, jusqu’ici corroborée par les sondages, le vainqueur à droite se retrouverait face à Marine Le Pen et l’emporterait.

L’idée la plus répandue est que des électeurs de gauche iraient voter Juppé, dans le but d’éviter Nicolas Sarkozy. "Paye-toi Sarko pour deux euros", comme le traduit trivialement un député Les Républicains cité par Médiapart (article payant). L'Institut IFOP anticipe la participation de 10 à 15 % d'électeurs marqués à gauche. D’ailleurs, un compte assez actif s’est constitué sur les réseaux sociaux, "La gauche avec Juppé" (par parenthèse, pour information, mais ça n’a rien à voir, un collectif La droite avec Macron vient de se monter, sous la houlette de l’ancien ministre RPR Renaud Dutreil).

La gauche avec Juppé donc. Mais le raisonnement inverse peut aussi se tenir : l’électeur qui veut vraiment la victoire finale de la gauche, ce doux utopiste, n’a-t-il pas intérêt à ce que Nicolas Sarkozy gagne la primaire, tant il sera ensuite un puissant repoussoir, voire un unificateur des gauches contre lui ? Quitte à pratiquer le billard à deux bandes, pourquoi ne pas en ajouter une troisième ?

Alors comme le disent souvent les candidats : "n’allons pas trop loin dans la politique-fiction" . On voit tout de même mal des cohortes de communistes, d'écologistes, de socialistes dans les rangs de cette primaire de novembre. Plusieurs obstacles s’y opposent. D’abord, tous les votants devront signer une charte sur l'honneur : "Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France". Il faudra aussi payer deux euros, faire la queue - parfois longue - au milieu de tout ce que votre circonscription compte d'électeurs de droite.

Par ailleurs, c’est un raisonnement qui est aisé pour les électeurs urbains : facile de se fondre dans la masse… Dans les bureaux de vote ruraux, où l’on se connaît de près ou de loin, il sera plus compliqué pour les électeurs de gauche d’aller s’afficher dans un scrutin de l'autre camp.

Enfin, participer à la primaire, c’est légitimer son vainqueur, quel qu’il soit : le nombre de votants sera brandi comme un trophée, et donnera forcément une dynamique au candidat de droite. D'autant plus que la primaire de gauche, en janvier, risque comparativement de moins mobiliser.

Une fois cela dit, ce qui est intéressant, c’est l'existence-même de ce débat. Que nous dit-il ? D’abord qu’il existe désormais un embryon de front républicain avant l’heure. Au fond, plutôt que de le subir, mieux vaut le choisir. Au risque d’ailleurs de donner du crédit à la dénonciation de l’UMPS.

La question en dit long aussi sur ce qu’est devenu le climat politique : c'est de plus en plus un vote contre, un vote d'évitement, pour le "moins pire". Nul doute qu'en novembre, dans certains isoloirs, des électeurs de gauche se sentiront revivre une fameuse journée de mai 2002, quand ils avaient dû voter à droite, face au FN. Écoutez cette archive de François Hollande, qui décrit bien ce sentiment pour le moins douloureux, juste après le 21 avril 2002 :

François Hollande : mettre un bulletin Chirac - Billet politique

18 sec

(François Hollande en avril 2002, devant des proches, à la sortie d'un bureau national du PS). 14 ans plus tard, on s’oriente vers le même phénomène. En mode préventif cette fois-ci, des électeurs de gauche voteront à droite. Le vote républicain, dans les deux sens du terme, dès avant le premier tour. Comme une version ultime du vote utile.

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