Pour Patrick Buisson, François Fillon incarne la vraie droite conservatrice. Ici l'essayiste en septembre 2016.

Patrick Buisson, en septembre 2016.

Bruno Klein/Divergence pour L'Express

Son nom est synonyme de scandale. De scandales, plutôt. Patrick Buisson sent le soufre. Son passé de ­directeur de Minute, il y a trente ans. ­L'affaire des sondages de l'Elysée, pour laquelle il est mis en examen, de même que plusieurs anciens collaborateurs de Nicolas Sarkozy, et dont les derniers rebondissements montrent qu'elle est loin d'être terminée.

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Et puis l'esclandre lorsque Le Point et Le Canard enchaîné révèlent, en février 2014, qu'il a enregistré le ­président à son insu quand il travaillait à l'Elysée. La défense de Buisson bafouille, la condamnation par le tribunal de grande instance de Paris ne tarde pas: il doit verser 20 000 euros à ­Nicolas Sarkozy et à Carla Bruni pour atteinte à la vie privée et aussi parce qu'il a agi sans le "consentement" de l'ex-chef de l'Etat, "ce qui constitue un trouble manifestement ­illicite". L'ancien conseiller ne manquera pas de remarquer que seule l'épouse encaissera son chèque, pas l'époux.

livre patrick buisson

"La Cause du peuple", ou l'histoire interdite de la présidence Sarkozy (éditions Perrin).

© / Perrin

En septembre 2014 tombe une sentence ô combien plus sensible à ses yeux et à ses oreilles qu'une condamnation de justice. Au 20 Heures de France 2, Nicolas Sarkozy est interrogé à son sujet: "Vous savez, dans ma vie, j'en ai connu des trahisons, dans tous les plans, mais, comme celle-là, rarement..." Il marque un long silence. "Rarement." Sur le moment, Patrick Buisson vacille. Il se tait. Il se préserve. Il se réserve. Plus tard, il dira: "J'admets la rupture, mais pourquoi la défroque de l'ignominie?" Il interprétera son exclusion de manière uniquement politique: "Sarkozy sait que la présence de Marine Le Pen au second tour de la prochaine présidentielle est acquise, on jette donc la ligne Buisson aux poubelles de l'histoire. Mon utilité devient nulle."

"Je ne suis pas Valérie Trierweiler"

Depuis que le quinquennat 2007-2012 s'est achevé, plusieurs éditeurs le sollicitent, notamment Albin Michel, la maison où il a déjà publié plusieurs ouvrages depuis vingt ans. Il a refusé de s'exprimer oralement, il va le faire longuement, dans un livre. L'écriture lui prend plus d'un an. Très vite, il dépose le titre, La Cause du peuple, bien content d'adresser, lui le tenant d'une droite sans complexe, un pied de nez aux maoïstes. Il s'entoure d'un maximum de garanties pour garder le plus longtemps secret le contenu de son ouvrage. Du réviseur au photographe, chacun signe un contrat de confidentialité. Le livre paraît finalement aux éditions Perrin, avec ce sous-titre: L'histoire interdite de la présidence Sarkozy.

En se lançant dans l'aventure, il a une obsession: "Je ne suis pas Valérie Trierweiler." De fait, la ressemblance entre les deux n'est pas frappante. Il réfute l'accusation du règlement de comptes ou du grand déballage. L'étendue de sa culture politique, qui affleure à chaque page ou presque, l'acuité de ses analyses, aussi contestées qu'elles aient pu l'être, l'incitent à se situer à un autre niveau que celui de "la chronique malveillante". Pendant qu'il travaille, il veille à respecter les équilibres entre anecdotes et réflexions. Il n'ignore pas que seules les premières retiendront l'attention dans un premier temps, il veut croire que les secondes finiront par obliger la droite à s'interroger sur sa stratégie et sur son idéologie. Alors, il insiste pour souligner qu'il ne dévoile rien qui puisse nourrir la chronique judiciaire - sans doute ce silence d'aujourd'hui vaut-il aussi avertissement pour demain, au cas où Nicolas Sarkozy lui chercherait noise. La première réaction de l'ancien président, le 26 septembre sur Europe 1, est d'une grande sobriété: "Ça ne m'intéresse nullement."

Si Buisson évoque Carla Bruni, c'est parce qu'elle a, selon lui, occupé une place qui dépasse largement la sphère privée: "Elle a eu un rôle politique considérable, et un rôle sur Nicolas Sarkozy, car l'intime a privatisé la fonction." Il a repris son texte à moult reprises. "Parfois, forcément, j'euphémise, mais je suis obligé de dire les choses", explique-t-il dans un néologisme digne des Tontons flingueurs. Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre? Il n'y a pas de grand président pour un conseiller qui l'a vu de si près, brut de décoffrage, avant de connaître la répudiation. Les 464 pages écrites par celui qui a grandement contribué à la construction du président Sarkozy conduisent à une déconstruction de sa personne, de sa méthode et de son corpus idéologique. Quelles que soient les arrière-pensées de l'auteur, et elles ne manquent pas, le résultat est dévastateur.

"Si j'ai tout enregistré, c'est donc que ce que je dis est vrai"

Même devant ses amis, Nicolas Sarkozy n'évoque quasiment jamais le nom de Patrick Buisson. Avant la trêve estivale, alors que certains de ses collaborateurs se disputent la paternité d'un de ses discours, il observe: "Je travaille de plus en plus seul, je fais de moins en moins confiance." "A cause de l'affaire Buisson?" lui demande-t-on. "Notamment." Puis il se montre mutique - c'est si rare chez lui. Depuis la rupture de ses relations avec son ancien conseiller, il a néanmoins pris soin de rencontrer l'avocat de Buisson. Et même, révèle L'Opinion le 8 octobre 2014, Georges Buisson, qui a longtemps eu le projet d'écrire un ouvrage terrible sur son père. Pendant l'été 2016, l'un des fidèles de l'ancien chef de l'Etat, Pierre Charon, tente une approche directe auprès de Buisson. Un livre? Quel livre?

Que Patrick Buisson fût un conseiller au rôle déterminant entre 2005 et 2012, personne ne peut le nier. Mais quel crédit apporter à l'homme au dictaphone? Il sait qu'il est voué aux gémonies depuis la révélation de ses enregistrements. "Comment croire ce qu'un homme qui vous a enregistré à son insu peut raconter?" Cette question, que tout le monde va se poser, il se la pose également. Pour retourner l'argument: "Si j'ai tout enregistré, c'est donc que ce que je dis est vrai." Mais la pirouette ne suffira pas face à la tempête. Alors il a décidé, en guise de prologue à son ouvrage, de traiter la question, "avant d'aller plus loin". 11 pages consacrées à un plaidoyer pro domo: "Le fait d'enregistrer certaines réunions importantes était pour moi la garantie de pouvoir disposer d'un verbatim fidèle et d'accomplir mon travail en fournissant les arguments et les éléments de langage les plus appropriés. [...] Et, s'il y avait bien réfléchi, Nicolas Sarkozy aurait eu d'autant moins de raisons de s'en formaliser que, de notre collaboration, je n'avais pas tiré la matière d'un ouvrage à chaud, comme il en alla d'un grand nombre de ses conseillers et de ses ministres dans l'année qui suivit sa défaite."

Il lui reste des batailles judiciaires à mener. Celle qui l'oppose à Christiane Taubira, par exemple. L'ancienne garde des Sceaux devait être entendue, le 24 août, par un juge d'instruction et risquait une mise en examen: il y a trois ans, Buisson a déposé plainte pour prise illégale d'intérêts, la ministre de la Justice de l'époque étant demeurée au comité de parrainage d'Anticor, partie civile dans l'affaire des sondages de l'Elysée. La date a fuité, Taubira a obtenu un report - et Le Canard Enchaîné a fait écho d'une phrase de l'ex-ministre de la Justice, "Je peux devenir très méchante", laissée à la libre interprétation de l'exécutif actuel...

En revanche, Patrick Buisson ne sera pas de la prochaine bataille politique. Il n'ira pas voter à la primaire de la droite. Pour la première fois depuis longtemps, il ne voit pas très bien qui va gagner. Nicolas Sarkozy, servi par la noirceur de l'actualité, mais dont le crédit est atteint? Alain Juppé, aidé par son ascétisme, mais dont le projet paraît décalé de l'attente de l'électorat de droite? L'élection présidentielle elle-même lui semble indéchiffrable, dans un système démocratique ballotté. Et donc plus propice que jamais aux coups de tonnerre, dont le premier éclate maintenant, avec la parution de ce livre que L'Express a lu dans son intégralité.

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