Asmine, 5 ans, a su envoyer des e-mails avant de savoir lire

Asmine, 5 ans, a su envoyer des e-mails avant de savoir lire

L’histoire de cette petite fille nous en dit long sur notre avenir numérique.

Par Alice Maruani
· Publié le · Mis à jour le
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Certains enfants apprennent à lire tout seul, sans que personne ne leur ait montré le b.a.-ba. Des décennies plus tard, leurs parents racontent encore avec des étoiles dans les yeux ce jour où ils ont découvert le miracle .

Sabrina, 36 ans, a une autre histoire d’enfant prodige. Une histoire très XXIe siècle, qui se passe dans un village près de Rennes. Sa fille Asmine, 6 ans, a écrit son premier e-mail il y a un environ un an, alors qu’elle ne savait pas encore lire ni, a fortiori, écrire. Magie d’Internet.

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Adieu papier, colle, stylos à paillettes !

Tout a commencé par une petite crise de jalousie entre sœurs. Sarah, 10 ans, a le droit d’avoir sa propre boîte mail en octobre 2015.

Sabrina « trouvait qu’elle était trop jeune pour avoir un Gmail, mais la famille de son amie [lui] a fait découvrir une solution adaptée ».

La messagerie « Netcourrier », qui se présente comme « européenne » et « respectueuse de la vie privée », propose en effet une configuration spécifique pour les enfants, avec interface colorée et contrôle parental.

Seules les personnes enregistrées dans le carnet d’adresse peuvent échanger avec les enfants. Et chaque enregistrement doit être validé par les parents.

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Pour Sarah, 9 ans, qui a déménagé de Paris en Bretagne il y a peu, c’est l’occasion de communiquer à distance avec sa copine parisienne.

Adieu, lettres écrites à la main sur du papier parfumé Diddl. La nouvelle technologie n’a pas le charme des odeurs ni des ratures, mais elle est infiniment plus rapide.

« Je n’arrivais pas à suivre son besoin »

Asmine a alors 5 ans, mais elle veut faire comme sa grande sœur. Classique. Toutes deux utilisent la tablette familiale pour se connecter à leur boite mail.

Asmine et la tablette
Asmine et la tablette - Alice Maruani/Rue89

Comme elle n’a pas de copines à distance pour raconter ses amourettes de cour d’école, son premier e-mail sera destiné à Cyrille, sa marraine.

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Ce jour-là, sa mère fait la cuisine, et ne peut pas lui accorder toute son attention.

Asmine, en grande section de maternelle, sait déjà lire son prénom, mais pas beaucoup plus. Maman tarde à épeler chaque mot, la petite s’impatiente. Tout ça aurait pu se terminer en crise de nerfs, mais Asmine a une idée.

Elle clique sur l’icône « micro » et dicte son message. Tout simplement. Elle m’explique  :

« J’ai vu un micro, j’ai parlé, et ça se mettait. Ça marchait mieux que maman. »
Dans le premier e-mail d'Asmine, il y a mme des smileys
Dans le premier e-mail d’Asmine, il y a même des smileys - Capture d’écran

Je me dis que tout ça est très « digital native » : vouloir tout, tout de suite, et avoir l’intuition d’une solution technique pour contourner un problème de fond. La mère le dit aussi :

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« Je n’arrivais pas à suivre son besoin, alors elle a tâtonné pour trouver ce truc là. Nous, comme on en a pas l’utilité, on n’y pense pas. Je n’avais jamais utilisé le micro. Mais elle, elle l’a trouvé super vite. »

Se sentir vieux à 25 ans

En écoutant l’histoire, je me dis qu’à 25 ans, je suis déjà une sorte de « digital immigrant ». Le mot est de l’essayiste Marc Prensky : il désigne les parents des digital natives qui vont, par exemple, imprimer leurs e-mails ou appeler quelqu’un pour lui parler d’un site internet.

Je n’imprime pas mes e-mails, mais je suis de la génération SMS. Alors je n’utilise pas la reconnaissance vocale, ni Siri ou tout autre type d’intelligence artificielle à qui je dois parler.

Certes, en partie parce que les IA ne sont pas encore super développées, surtout quand on n’a pas le dernier iPhone, mais aussi parce que je suis déjà trop vieille pour le futur proche.

Signe ultime de mon obsolescence prochaine : je trouve ridicule de parler à une machine et j’ai par exemple du mal à utiliser les oreillettes dans la rue. Fatalement, je mettrai plus de temps à prendre le tournant du tout vocal qu’Asmine. Car oui, beaucoup d’experts pensent que le smartphone du futur sera une simple oreillette.

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Apprendre à coder plus facilement

Au CP cette année, Asmine sait lire les e-mails qu’on lui envoie. Elle trouve quand même le micro plus pratique que de tout taper à la main.

En un an, elle en a envoyé huit, quand elle voyait sa sœur le faire. « Mais c’est pas mieux que le téléphone, c’est pareil. C’est pour dire bonjour. » En gros, Asmine utilise les e-mails comme on textote.

Du haut de ses six ans, l’e-mail, dont l’interface ressemble au logiciel Adibou, est pour elle un jeu de plus sur l’iPad. Centre de la vie numérique familial (équivalent du salon-téléviseur d’autrefois) la tablette comporte un espace réservé aux enfants, avec une dizaine d’applications éducatives et de livres numériques.

L'espace des enfants sur la tablette, sorte de
L’espace des enfants sur la tablette, sorte de « salle de jeux » - Alice Maruani/Rue89

Pendant que j’interviewe Sabrina, Asmine est absorbée par Winky Think, un jeu de logique. Sa mère commente : « Même moi je n’arrive pas à le faire. »

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Elle est persuadée que ce genre de jeux permettra à sa fille d’apprendre à coder plus facilement :

« Elle, je pense vraiment que ça va être une geek, plus que sa grande sœur, qui s’en fiche un peu. »

Elle me raconte aussi que Sarah révise ses tables de multiplication avec une appli. Et que sa petite sœur y fait un peu de calcul aussi.

YouTube c’est comme la télé

Mais c’est la mère qui garde la clé : le mot de passe. Les filles essayent régulièrement de hacker la tablette. Auprès de moi, elles se vantent en ricanant : « Un jour on l’a même trouvé ! » Sabrina nie.

Le temps que ses enfants passent devant l’écran est limité, et minuté – « comme ça, ça évite les disputes ». La tablette, c’est pour le week-end, et pas plus de deux heures. Comme la télévision, « notamment Arte Junior en replay ». La semaine, c’est Barbie et Playmobil : « La réalité existe encore. Et puis, c’est bien de s’ennuyer aussi. »

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Une vraie image d’Epinal de la famille du nouveau millénaire : le numérique, OK, mais encadré et apaisé.

Sabrina n’a pas lu Serge Tisseron – héraut de l’éducation au numérique, connu pour sa règle du « 3-6-9-12 » – mais elle sait qu’il mieux vaut accompagner les enfants dans leur découverte des écrans.

« Snapchat, je comprends pas trop »

La jeune femme, cadre dans un service bancaire de traitement de données, n’est pas vraiment geek, mais le numérique l’intéresse. Elle veut « rester à la page » pour ne pas être dépassée, notamment par ses filles. Ça la motive.

Alors elle s’informe des nouveautés sur Internet, lit beaucoup de blogs. Elle est aussi abonnée à la newsletter de la « Souris grise », un guide des applications pour enfants.

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« Je ne me sens pas déconnectée, parce que je suis dans une démarche d’amélioration permanente. Même si bon, Snapchat, je comprends pas trop par exemple. »

Perte de contrôle

Pour le moment, tout est sous contrôle. Même si Sabrina s’inquiète un peu de ce que les filles regardent sur YouTube quand elle n’est pas derrière leur dos.

« Je leur dis que je peux vérifier dans l’historique si elles regardent des bêtises mais je n’ai pas trouvé de contrôle parental sur la tablette. »

Mais quand la plus grande aura un smartphone – c’est prévu pour l’entrée au lycée – ce sera différent. Il y aura Facebook, Snapchat, et sûrement beaucoup d’autres réseaux sociaux pas encore lancés aujourd’hui.

« Et là, le problème c’est que les gosses font ce qu’ils veulent. Les téléphones sont comme des ordinateurs. »

Et, comme quand j’étais ado, Sarah et Asmine découvriront des techniques pour cacher ce qu’elles y trament à leurs parents, fatalement dépassés.

Alice Maruani
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