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Enquête

Comment Zenly a séduit la crème des investisseurs américains

Par Nicolas Rauline

Publié le 28 sept. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La jeune société française a levé 20 millions d'euros, auprès de deux des investisseurs les plus emblématiques outre-Atlantique. Récit des derniers mois où tout s'est accéléré pour cette application de géolocalisation plébiscitée par les ados.

Alexis Bonillo et Antoine Martin, les deux jeunes fondateurs de Zenly, ont peu dormi, ces derniers jours. Mais, au final, rarement des entrepreneurs se seront retrouvés avec autant de moyens pour développer une si jeune société de la French Tech. Leur application n'a que quelques mois, mais elle a déjà convaincu les principaux investisseurs de la Silicon Valley de miser sur elle. Zenly vient de boucler un tour de table de 20 millions d'euros (plus de 22 millions de dollars), auprès de Benchmark Capital, qui a notamment investi, ces dernières années, dans Twitter, Instagram, Snapchat ou Uber, et de Jerry Murdock, le fondateur du fonds Insight Venture Partners (présent aussi dans Twitter ou dans Flipboard).

La société développe sa propre technologie de géolocalisation depuis 2011, mais l'avait mise, à l'origine, au service d'Alert.Us, une application permettant aux parents de voir où se trouvaient leurs enfants. Jugée trop anxiogène, elle a été abandonnée au profit de Zenly, une application sociale pour géolocaliser ses amis et discuter avec eux. Plus la peine de donner l'adresse d'un rendez-vous, il suffit de se laisser guider jusqu'à son contact, sur une carte. Avec un soin extrême apporté au design, à l'« expérience utilisateur », tout ce qui fait le succès, en général, des applications américaines et tout ce qui manque, souvent, aux françaises... Et une dimension « fun » : automatiquement, on est prévenu lorsque l'un de ses amis arrive dans un nouveau pays, par exemple. « Il y avait aussi un défi technique dans ce secteur, sur lequel beaucoup ont buté : être précis dans la localisation, en temps réel, sans consommer trop de batterie », expliquait aux « Echos », en juillet, Antoine Martin, cofondateur de la société.

Depuis, tout s'est accéléré pour les deux jeunes entrepreneurs, qui n'ont pas encore trente ans et ont créé la société peu de temps après la fin de leurs études (à l'EM Lyon pour Alexis Bonillo, à l'Essec pour Antoine Martin). En quelques mois, l'application séduit un million d'utilisateurs, puis un autre million au cours de l'été, pour dépasser aujourd'hui les 2 millions d'actifs. Avec des pics d'utilisation qui ont même surpris les deux fondateurs. L'application est citée par quelques « youtubeurs » connus. Le bouche-à-oreille fonctionne à plein. Et le taux de pénétration est particulièrement élevé en Norvège, par exemple, depuis que des adolescents se sont servis de Zenly pour se retrouver, dans un festival de musique. « Au début, on ne comprenait pas trop ce qui arrivait. Il a fallu faire des recherches pour savoir ce qui se passait dans cette petite ville de Norvège où tout le monde utilisait notre application ! », raconte Alexis Bonillo.

Idem au Weather Festival, début juin au Bourget... L'une des premières décisions de la start-up, en emménageant récemment dans des locaux flambant neufs, porte Saint-Martin à Paris, a d'ailleurs été de placer à l'entrée un écran sur lequel on peut visualiser en direct les utilisateurs actifs de Zenly sur une carte du monde : Europe, Etats-Unis, Asie du Sud-Est... Il y a toujours des utilisateurs de l'application éveillés quelque part dans le monde. « Les visiteurs sont fascinés par cette carte du monde et s'amusent à zoomer sur les villes », glisse Antoine Martin.

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Fin 2015, Zenly avait déjà levé près de 8 millions d'euros, auprès du fonds français IDInvest, de Kima Ventures - le fonds de Xavier Niel - et de quelques « business angels ». « Il y a quelques mois, je disais à tout le monde que c'était une "billion-dollar company" [une licorne, une société valorisée 1 milliard de dollars, NDLR]. En fait, après avoir vu son développement et l'équipe qui est en place, je pense que c'est une future "10 billion-dollar company", qui sera comparable à Facebook ou Snapchat », ose Jean de La Rochebrochard, de Kima Ventures, qui a convaincu Xavier Niel d'investir 3 millions d'euros sur la société, il y a moins d'un an. Un montant inhabituel pour le fonds.

Sur les six premiers mois de cette année, l'équipe travaille le produit. « Nous ne pensions pas lever de nouveau, on se concentrait sur de nouvelles fonctionnalités, sur la manière de travailler avec les festivals », confie Alexis Bonillo. Mais, début juillet, les deux entrepreneurs reçoivent un coup de fil d'un certain... Jerry Murdock. Fondateur d'Insight Venture Partners, il a entendu parler de Zenly par Solomon Hykes, l'entrepreneur franco-américain qui a créé à San Francisco la suite logicielle Docker. Murdock est l'un de ses investisseurs et Hykes a participé au tour de table de Zenly, quelques mois auparavant.

Le New-Yorkais les invite à Aspen, dans le Colorado, où sont réunis le week-end suivant des entrepreneurs, des investisseurs... Les deux Français arrivent en tee-shirt à la réunion du très feutré Aspen Institute, un oeil sur la finale de l'Euro de football, qui s'achève sur la défaite de l'équipe de France. Ils se retrouvent à « pitcher » Zenly à l'ancien cycliste Lance Armstrong, à l'ancien patron de CNN et biographe de Steve Jobs Walter Isaacson... Le lendemain, ils enchaînent les rendez-vous avec des ingénieurs, parlent technique. On les teste sur la solidité de l'application. Avant de les laisser partir vers San Francisco, où ils doivent revoir Peter Fenton, rencontré quelques jours avant à Paris, Murdock leur tend un chèque. « J'aurais aimé investir davantage, leur dit-il. Mais, si je le fais, Benchmark n'entrera pas. »

En Californie, les fondateurs de Zenly voient défiler tous les « partners » de Benchmark Capital, dont le fameux Peter Fenton, l'un des VC (« venture capital ») les plus célèbres de la Valley, passé d'Accel à Benchmark il y a neuf ans. Bombardés de questions, toujours en plein « jetlag », ils leur expliquent comment les Millennials sont les premiers utilisateurs de l'application. Décomplexés par rapport à la géolocalisation et à la vie privée, les moins de 25 ans n'hésitent pas à partager leur position géographique avec leurs proches... là où, il y a quelques années, les utilisateurs s'insurgeaient des mêmes fonctionnalités, dans Facebook ou Latitude, un service lancé par Google et fermé peu de temps après. « Récemment, lors d'un test produit, comme on en fait souvent dans nos locaux, on a fait tester l'application à un jeune de dix-huit ans. En cinq minutes, il avait envoyé 80 invitations à ses potes pour utiliser Zenly », raconte Alexis Bonillo.

Le baptême du feu est passé. Juste avant de reprendre l'avion pour la France, les deux entrepreneurs repartent avec une proposition ferme, à plus de 20 millions. Une semaine plus tard, ils doivent partir en vacances. Jour et nuit, ils sont audités. Le deal est finalement bouclé dans les temps, juste avant de faire les valises. « Entre le premier e-mail et le versement des fonds, vingt-neuf jours se sont écoulés », s'amuse Alexis Bonillo, qui, à son retour de vacances, s'envole de nouveau pour les Etats-Unis.

Changement d'ambiance : cette fois, il s'agit de faire connaître Zenly sur les campus américains. « Comme l'ont fait Facebook ou Tinder », explique le jeune homme. Il y va au culot, écrit à quelques universités pour savoir s'il peut louer une chambre sur leur campus. Ca marche : il passe une semaine à Ucla, en colocation avec un étudiant koweïtien, puis quelques jours à USC et à Stanford. Il y multiplie les rendez-vous, avec des développeurs d'applications, des entrepreneurs, des étudiants... Il vise les fraternités, ces réseaux si puissants outre-Atlantique, persuadé qu'il faut convaincre des leaders d'opinion, va voir les matchs de football américain - les événements sportifs, comme les festivals, sont identifiés comme d'importants relais de croissance. Et se retrouve même à montrer l'application à l'équipe d'athlétisme d'Ucla, lui qui a pratiqué le saut à la perche plus jeune, à une époque où il affrontait Renaud Lavillenie. « Il y a quelques mois, on avait un master en Millennials, maintenant on a un Ph. D », plaisante-t-il.

Il en revient avec des idées, une base d'utilisateurs qui grandit aux Etats-Unis et la conviction qu'il doit s'installer à San Francisco : pour se développer aux Etats-Unis, il devient incontournable pour au moins un des fondateurs de franchir l'Atlantique. « On gardera l'équipe technique à Paris. Elle est d'un super niveau, on ne trouvera pas mieux là-bas. Et puis, entre le statut de jeune entreprise innovante, le crédit d'impôt recherche, on dispose ici de bonnes conditions pour les start-up. »

Le siège aussi, pour le moment, reste en France. Les fonds américains n'ont pas soulevé la question. Avec les Etats-Unis, Zenly veut s'implanter dans dix à quinze marchés clefs. Certains sont déjà identifiés : l'Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, l'Indonésie, la Turquie, le Vietnam... Mais les deux fondateurs gardent la tête sur les épaules. « Nous sommes ambitieux. Il ne faudra pas lésiner sur les moyens si l'on veut créer une société mondiale, mais on n'embauchera jamais des milliers de personnes. On se rapproche davantage d'une société comme WhatsApp, qui fonctionne avec quelques dizaines d'ingénieurs », ajoute Alexis Bonillo. WhatsApp ? La société a été rachetée près de 22 milliards de dollars par Facebook. Zenly n'en est pas encore là, mais commence à attirer les regards...

Nicolas Rauline

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