Mon compte Facebook a été bloqué, please RT

Par Olivier Tesquet

Publié le 28 septembre 2016 à 16h38

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h33

Ça deviendrait presque un marronnier plus encombrant que le prix de l’immobilier des francs-maçons de L’Express : la modération à la truelle des grandes plateformes numériques. Ici, le récit de violences policières subies par un enseignant-chercheur de la Sorbonne brièvement censuré par Facebook ; là, le compte Twitter d’un journaliste turc menacé de blocage sur pression du clan Erdogan (le réseau social a finalement débouté la requête). Avant ça, les comptes Facebook de spécialistes du djihad tels David Thomson, régulièrement suspendus parce qu’ils ont eu le malheur de partager du contenu “contraire aux standards de la communauté” ; l’inique censure de l’iconique “fillette au napalm” publiée par un grand journal norvégien ; ou la page de cette utilisatrice, bannie 24 heures pour avoir tenté d’élaborer un guide de la survie post-attentats. Et puis la routine parasite et exaspérante de Zuckerberg, qui le pousse à traquer sans relâche chaque apparition de l’Origine du monde. Reprenez votre souffle.

A chaque manifestation de cette Inquisition en hoodie, les Torquemada de la Silicon Valley - Facebook en tête - se gardent bien de justifier leur décision, s’abritant derrière des conditions d’utilisation nébuleuses (que personne ne lit). Un lien disparaît arbitrairement ? Il peut être ressuscité. Mais comme pour toute action divine, ne comptez pas sur une explication rationnelle. Pour une victoire au forceps de la liberté d’expression, combien de comptes Twitter euthanasiés sans autre forme de procès ?

Si les algorithmes des GAFA sont une tambouille dont ils protègent coûte que coûte la recette, leurs critères de modération - le terme en lui-même n’est-il pas trop tempéré ? - sont tout aussi opaques. Votre compte Facebook est envoyé en cellule de dégrisement pour quelques jours ? Impossible de savoir s’il est passé sous les fourches caudines d’une procédure de signalement trop sensible, d’un ingénieur zélé ou d'une décision de justice envoyée en LRAR. Et le contexte n’aide pas à y voir plus clair. Depuis de longs mois, effrayés par la banalisation des discours de haine et par la dissémination de la propagande djihadiste, les pouvoirs publics de France et d’ailleurs (mais surtout de France) mettent la pression sur les plateformes pour qu’elles fassent le ménage. Avant même que quiconque ait souillé la moquette. Dès lors, rien de surprenant à voir Facebook, Google et consorts plancher sur des procédures de modération automatisées :

“D’abord développée pour identifier et retirer des contenus qui enfreignent le droit d’auteur sur les plateformes vidéo, cette technologie cherche une empreinte digitale que chaque entreprise de l’Internet assigne à un contenu. Cela permet de retirer rapidement tous les contenus portant cette empreinte.”

Collez donc un QR code sur ces fesses de Botero. Le problème est réglé. Pour le reste, faites comme Facebook : sous-traitez la modération auprès de travailleurs philippins sous-payés. Alors que les cadors du web se drapent dans leur sens moral et ne cessent de se réclamer du Premier amendement de la constitution américaine, érigeant la liberté au frontispice de leur homepage, force est de constater qu'ils utilisent l'éponge magique plus souvent qu'à leur tour. Et automatiser un processus qui réclame un doigté aussi subtil que la loi de 1881 ne fera qu'amplifier le problème. Dans les médias, on les entend régulièrement se plaindre - à juste titre - de devoir endosser l’uniforme d’auxiliaire de police ou de justice (le cas du droit à l’oubli en est le parfait exemple). Alors pourquoi se borner à jouer les shérifs à la gâchette facile ?

Mise à jour du 30 septembre, 11h : A la suite des éclairants commentaires du "dino du web" Benjamin Bayart jeudi soir sur Twitter (à dérouler ici), je me permet d'apporter un premier élément de réponse à la question en chute du billet : parce que ça les arrange.

Photo Flickr CC BY 2.0 leapkye

Boîtes noires, le blog d'Olivier Tesquet
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