“Andy Warhol considérait Hergé comme un des plus grands artistes de son temps”

Au Grand Palais, l’exposition consacrée à Hergé le replace dans l’histoire de l’art. Attiré par les œuvres abstraites, admiré par Warhol, le créateur de Tintin a toujours été ouvert à l’avant-garde.

Par Vincent Brunner

Publié le 30 septembre 2016 à 17h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h03

Dès la deuxième salle consacrée à l’exposition, surprise, on découvre des tableaux réalisés par Hergé mais aussi certaines pièces de sa collection d’œuvres abstraites. Tout en inventant son propre art graphique, le dessinateur belge a toujours été influencé par les œuvres contemporaines comme l’explique le commissaire de l’exposition, Jérôme Neutres.

L’œuvre d’Hergé est figurative et pourtant il était passionné par l’art abstrait…Pourquoi vouloir souligner dès le début de l’exposition ce quasi-paradoxe ?

On a voulu montrer qu’Hergé s’inscrivait dans une recherche. Notamment grâce aux œuvres qu’il pouvait collectionner et les tableaux qu’il a lui-même peints. Au fond, il a toujours tendu vers l’abstraction, l’expo est comme une boucle ! A la naissance de Tintin en 1929, avec Tintin au pays des Soviets, on peut le voir dans les planches à l’encre de Chine exposées, son travail est d’une simplicité qui tend vers l’abstraction. II y a même des cases qui sont des monochromes noirs, comme un Malevitch. Il prenait un gros risque graphiquement parlant, quand on compare avec ce qui se faisait à l’époque dans l’illustration et la bande dessinée, genre Zig & Puce.

Quand on voit les premiers dessins d’Hergé, entre nous, à ses débuts, c’était un mauvais dessinateur. Mais justement, il a fait de ce handicap un atout. Comme Django Reinhardt, à qui il manquait deux doigts, a inventé une nouvelle forme de musique, Hergé a inventé une nouvelle forme d’art. Il a toujours été un visionnaire et un avant-gardiste. A la fin de sa vie, il écoutait David Bowie, les Pink Floyd, il collectionnait Lichtenstein ou Warhol. Ça illustre pourquoi aujourd’hui il a toujours du succès : il était très moderne.

“Hergé a toujours été dans un dialogue avec l’art”

Dubuffet, Poliakov, Fontana…Comment avez-vous réalisé la sélection de pièces parmi sa collection ?

On a voulu refléter ce qu’était sa collection, son éclectisme, avec comme point commun dans toutes ces œuvres une contemporanéité, une pureté de style. Acheter à l’époque du Jean-Pierre Raynaud ou du Lucio Fontana, c’était risqué, pas comme aujourd’hui où ces artistes sont à la mode. On a accroché ces œuvres un peu « à l’anglaise », comme si on était chez lui. Hergé vivait avec ses œuvres ! Dans les vitrines, on voit une photo d’Hergé jeune : à l’époque il ne pouvait pas se payer de tableaux, il avait alors des reproductions de Miro, d’Holbein le jeune. Hergé a toujours été dans un dialogue avec l’art. Les lecteurs de Tintin le savent : L’Oreille Cassée débute au musée du Cinquantenaire avec le vol du fétiche arumbaya, une des victimes des 7 boules de cristal est un collectionneur d’art, dans Les Cigares du Pharaon il s’agit d’égyptologie... On trouve souvent dans Tintin ce thème du musée, du patrimoine de l’art. Jusqu’à Tintin et l’Alph Art. Dans cet album qui n’existe que sous la forme d’esquisses et dont tout est exposé sur une cimaise du Grand Palais, Tintin était menacé de mourir, transformé en sculpture compressée de César !

Hergé, Composition sans titre, vers 1960, huile sur toile, 50 x 60 cm, collection particulière.

Hergé, Composition sans titre, vers 1960, huile sur toile, 50 x 60 cm, collection particulière. © Herge?/Moulinsart 2016

Quels étaient les rapports d’Hergé avec Warhol et Lichtenstein ?

Il y avait une admiration réciproque. Lichtenstein adorait Hergé. Au fond, tous les deux poursuivaient la même quête de sobriété : « Less is more », comme disent les Anglo-saxons. Hergé est quelqu’un qui a surtout voyagé dans son imagination, la documentation, et n'a de fait pas eu une grande sociabilité artistique. Il n’a jamais rencontré Lichtenstein. Il a en revanche croisé Andy Warhol. Celui-ci le considérait comme un des plus grands artistes de son temps.

L’exposition comprend sept tableaux d’Hergé. Il a vraiment hésité à un moment de sa carrière entre la BD et la peinture ?

En accueillant Hergé dans les galeries nationales du Grand Palais, on ne voulait pas faire un « parc Tintin » mais vraiment traiter Hergé comme un autre artiste. Certes, Tintin est omniprésent, la plupart des 450 documents originaux exposés ont trait au personnage puisque c’est son chef d’œuvre incontestable. Mais on a tenu à montrer certaines de ses toiles qui ne sont pas mal du tout, d’ailleurs. Je pense que, s’il a hésité, c’est parce qu’il ressentait une certaine frustration, comme d’autres artistes de la bande dessinée, celle d’être relégué au 9e art. C’est pour ça qu’à un moment il a eu la tentation de se frotter à un art dit plus noble que la bande dessinée. En visionnaire, Hergé présageait que, viendrait un temps, dans les années 2000, où les auteurs de BD auraient droit de cité dans les musées. Ce que l’on veut montrer dans cette exposition, c’est qu’il n’y a pas d’art plus noble qu’un autre. Le pinceau ne fait pas le grand peintre ! Hergé a trouvé son medium d’élection avec la bande dessinée, comme, par exemple, Bill Viola avec la vidéo.

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