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Chasseur de têtes en banlieue

Fondateur d'un cabinet de recrutement unique en son genre, Saïd Hammouche a déjà réussi à placer près de 3500 diplômés issus de la diversité dans des grandes entreprises. Devenu la coqueluche de beaucoup de grands patrons, son cabinet Mozaïk RH s'apprête à signer un accord inédit avec Pôle Emploi.

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Par Stefano Lupieri

Publié le 30 sept. 2016 à 01:01

e ton est posé et affable. Le discours, carré et convaincant. Saïd Hammouche n'est jamais à court d'arguments lorsqu'il s'agit de promouvoir les talents des quartiers. Ce jour-là, le fondateur du cabinet Mozaïk RH tente, depuis le salon des start-up Vivatech, de sensibiliser un recruteur de BNP Paribas, visiblement très intéressé par sa démarche. Son stand lui a été offert par Maurice Lévy, président de Publicis et coorganisateur de cet événement avec Les Échos, tombé sous le charme de cet homme de combat.

Il n'est pas le seul! Parti «sans argent et sans réseau», ce fils d'ouvrier marocain côtoie aujourd'hui le gratin du monde de l'entreprise et de la politique. De Kyril Courboin, président de JP Morgan France, qui a pris la tête de sa Fondation et lui a ouvert son carnet d'adresses, à Emmanuel Macron, devenu un fidèle soutien: l'ex-ministre a organisé pour lui, début 2016, une session de «speed recruiting» à Bercy baptisée «Fiers de nos talents».

Plus de 150 grandes entreprises ont déjà fait appel à ses services. En huit ans, Saïd Hammouche a ainsi placé près de 3500 bac +3 à bac +5 qui n'auraient probablement pas eu accès à ce type de postes sans son entremise. «Aujourd'hui, quand vous sortez des universités de banlieue, vous n'êtes pas dans le radar des grands groupes qui ont tendance à recruter toujours via les mêmes réseaux», regrette-t-il. «Le clonage des élites tue l'innovation», allait-il jusqu'à souligner dans une récente chronique publiée dans L'Express.

Bien décidé à changer la donne, Saïd Hammouche voit grand. Après Lyon en 2012, il va inaugurer cette année trois nouvelles antennes, à Lille, Toulouse et Nantes. Avec pour ambition de porter de 500 à 5000 le nombre de ses recrutements annuels d'ici trois ans. Un objectif qui semble à la mesure de ce père de famille de 44 ans animé par une vraie «force tranquille».

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Archétype des diplômés qu'il promeut, ce natif de Bondy (Seine-Saint-Denis) a dû batailler plus que la moyenne pour mener à bien ses études. «Je suis autonome financièrement depuis l'âge de 16 ans», précise-t-il. Durant son BTS d'action commerciale, il lui arrive d'enquiller ses cours le matin, un travail d'animateur au centre de loisirs de Bondy l'après-midi et de finir la journée derrière le comptoir d'un Quick jusqu'à 22 heures.

Cette indépendance lui donne les coudées franches dans le choix de son orientation. Peu tenté par une carrière purement commerciale, il se réoriente vers les ressources humaines à l'université de Créteil, puis le développement économique et social à Villetaneuse, dont il sort avec un DESS. Embauché par l'Éducation nationale, il réussit le concours de fonctionnaire: le voilà chargé de développer les contrats en alternance. Là, il est aux premières loges pour constater la mauvaise image dont souffrent les diplômés de banlieue auprès des grandes entreprises. «À cette époque, personne n'a encore pris conscience de l'évolution sociologique qui se joue dans les quartiers, observe Saïd Hammouche. La troisième génération d'immigrés n'a plus aucun problème d'intégration, elle a fait des études, s'est émancipée et aspire à vivre comme tout le monde. Elle continue pourtant d'être renvoyée à ses origines.»

La moitié du CAC à son tableau de chasse

C'est avec l'assurance que procure une ceinture noire deuxième dan de judo que l'homme s'attaque au problème. Mais l'absence de «culture du résultat» de son employeur public le freine. Germe alors l'idée de lancer un cabinet de recrutement dédié à ce type de profil, doté d'un modèle de fonctionnement original. D'un côté, une activité «non profit» qui assure une mise à niveau pour «ses» candidats, souvent peu au fait des codes de la grande entreprise. De l'autre, des missions de recrutement classiques, vendues aux employeurs pour faire vivre la structure associative. Car Saïd Hammouche ne veut pas dépendre de fonds publics. Il doit donc proposer un service irréprochable à ses clients pour assurer l'équilibre de l'ensemble. Avec le souci d'éviter le piège de vouloir promouvoir «uniquement les Noirs et les Arabes. Je voulais traiter toutes les formes de discrimination sociale et géographique».

Le jeune entrepreneur profite du lancement, quelque temps auparavant par Claude Bébéar, de la Charte de la diversité à laquelle vont très vite souscrire quelques dizaines d'entreprises (3567 l'ont signée depuis). «Au départ, toutes n'étaient pas forcément convaincues mais, par ce geste, elles sortaient du déni, admettant que leur processus de recrutement pouvait être discriminant et qu'il fallait y introduire expressément de la diversité», indique-t-il. Opérationnel en 2008, Mozaïk RH n'a du coup aucun mal à trouver, dès son lancement, ses premiers clients. Des entreprises prestigieuses: SFR, Gaz de France, le Crédit Mutuel ou Barclays. Le cabinet répond à leurs besoins en stagiaires, alternants, CDD ou CDI en diffusant leurs offres dans les 3000 points relais qu'il s'est créés dans les associations de quartier, les bureaux d'insertion, les agences de Pôle Emploi, les facs et autres clubs sportifs. Les postulants sont tous reçus et évalués et viennent, à minima, enrichir sa base de données, mise à jour avec soin.

Autre coup de chance, Saïd Hammouche est repéré et sélectionné comme «fellow» par l'ONG d'entrepreneurs sociaux Ashoka, qui lui attribue une bourse de 150000 euros sur trois ans. «Je n'ai pas hésité à tout dépenser tout de suite en recrutant deux personnes pour la formation de nos candidats. Ce qui nous a permis d'afficher d'emblée de bons taux de recrutement et de fidéliser ainsi nos clients», souligne-t-il. Dès 2012, Mozaïk RH affiche à son tableau de chasse la moitié du CAC 40.

Il reste certes toujours l'autre moitié à convaincre, mais la phase d'évangélisation est bien avancée. «Les freins viennent surtout de certains managers, encore prisonniers de leurs stéréotypes», regrette-t-il. Signe encourageant, beaucoup de grands groupes cherchent désormais à recruter ce type de candidats, non plus pour des questions d'éthique, mais parce qu'ils sont convaincus de leur valeur. «Plus que d'autres, ces jeunes diplômés ont eu à se surpasser pour en arriver là. Ils peuvent donc nous faire profiter de cette force», assure Catherine Woronoff-Argaud, responsable de la politique de diversité et de mixité de la SNCF. Même son de cloche du côté de son homologue chez Accenture, Khalid Lahraoui: «Nos managers sont souvent bluffés par leur motivation. Avec eux, en cas d'échec, il n'y a pas seulement un plan B. Tant qu'ils n'ont pas épuisé toutes les lettres de l'alphabet, ils n'abandonnent pas.» Une détermination appréciée. «Leur énergie contraste avec l'attitude de certains diplômés classiques qui ont tendance à être blasés avant d'avoir commencé», observe Kyril Courboin.

Paradoxalement, lorsqu'on les interroge, les candidats promus par Mozaïk RH ne se considèrent pas, majoritairement, victimes de discrimination. «Elle agit certainement mais on a du mal à l'évaluer», précise Scharazed, diplômée d'une école de commerce. Bac +5 en aménagement et urbanisme, Laura avoue tout de même en avoir déjà souffert. «Lors d'un récent entretien, j'ai tout de suite senti que mon accent tunisien était rédhibitoire.» Le manque le plus criant, cependant, c'est l'absence de réseau qui alerte, renseigne, aiguille, voire... coopte. Certains manquent aussi de confiance en eux, ce qui peut les amener à s'autocensurer. D'où l'importance de l'accompagnement assuré par Mozaïk RH. En alternance, puis en CDD, chez Radio France, Sylvie, d'origine vietnamienne, a bénéficié de six séances de coaching personnel. «Déterminant pour apprendre à m'affirmer», se félicite-t-elle.

Le temps joue pour les protégés de Saïd Hammouche, car les techniques de recrutement évoluent. «Dans nos métiers, on donne de plus en plus la priorité au potentiel du candidat, autrement dit sa curiosité, son engagement et sa capacité à traiter une information, au détriment de ses seuls diplômes», note Khalid Lahraoui. De quoi leur ouvrir un boulevard. Et assurer la croissance de Mozaïk RH, dont le savoir-faire dans son domaine est unanimement reconnu par tous ses clients. «Ils vont même au-delà des objectifs de performance que nous leur avons fixés», relève Catherine Woronoff-Argaud.

Opération séduction auprès des PME

Ces succès ne montent pas à la tête de l'ancien «équipier» du Quick de Bondy. Aujourd'hui aux commandes d'une structure de 30 collaborateurs, tous aussi engagés que lui, l'homme cherche juste à donner une nouvelle impulsion. Il multiplie pour cela les initiatives. En essaimant en province. Mais aussi en diversifiant ses cibles. Depuis peu, il creuse un nouveau sillon auprès des ETI, des PME, voire des TPE. Même si pour beaucoup d'entre elles la diversité n'est pas un sujet, elles ont toutes besoin de recruter. Pour se créer un nouveau réservoir d'embauches, Mozaïk RH leur propose ses services gratuitement. Et pour financer ce type d'action, Saïd Hammouche compte sur son nouveau bras armé: la Fondation. «Nous espérons lever d'ici la fin de l'année 3 millions d'euros sur une période de trois ans», précise-t-il. De Sodexo à Lagardère, en passant par Engie ou la Caisse des dépôts, ses dîners de levées de fonds affichent complet.

Mais l'ancien fonctionnaire vise aussi des circuits plus institutionnels. Voilà déjà plusieurs années qu'il travaille au corps les dirigeants de Pôle Emploi pour les inciter à lui déléguer des missions. Le dossier a fait un pas de géant cette année, avec l'inscription dans la loi Égalité et citoyenneté d'un amendement, porté par le député PS Daniel Goldberg, qui va dans ce sens et a été adopté par l'Assemblée avant la pause estivale. Dans la foulée, Saïd Hammouche doit signer début octobre une convention de partenariat nationale avec la ministre Myriam El Khomri, qui agréera MozaïK RH et autorisera, de fait, les agences locales de Pôle Emploi à faire appel à ses services. Un nouveau champ de développement à la mesure de ses ambitions. «Nous ne voulons pas seulement développer les embauches pour nos candidats, mais bien provoquer un vrai changement systémique en supprimant toute forme de discrimination dans le recrutement», insiste-t-il. Pour lui, l'enjeu va bien au-delà du seul emploi. La sensation de rejet vécue par les jeunes de banlieue a favorisé, chez certains, un repli identitaire. «La France a du mal à assumer son multiculturalisme, regrette ce fils d'immigré. C'est pourtant une force d'où peuvent émerger de très belles valeurs. Pour débloquer la situation, il faut redonner de l'espoir, recréer des dynamiques de groupe, proposer des contre-exemples. À défaut, d'autres viennent vendre leurs projets de société extrémistes.»

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Comme beaucoup d'entrepreneurs sociaux, Saïd Hammouche ne sera pleinement satisfait que lorsque Mozaïk RH n'aura plus de raisons d'être. Il a, malheureusement, encore quelques belles années d'activité devant lui.

Le «pschitt» du CV anonyme

Instauré par la loi sur l'Égalité des chances du 31 mars 2006, le CV anonyme devait devenir un instrument décisif contre les discriminations à l'embauche. Faute de décrets d'applications, seuls quelques groupes (Axa, La Poste, Free, AccorHotels...) sur les 34000 entreprises de plus de 50 salariés concernées, l'ont utilisé. Un rapport remis l'an dernier par un groupe de travail sur le sujet a jugé la mesure «inefficace» et «coûteuse», sonnant son glas. Le gouvernement a repris le flambeau en avril dernier avec une campagne de sensibilisation de quelque 2000 affiches «Les compétences d'abord», déployées pendant quinze jours. Surtout, une opération de testing à la discrimination, avec l'envoi de CV fictifs à une cinquantaine d'entreprises de plus de 1000 salariés, a été engagée. Reste que l'État n'est pas exempt de reproche. Selon une étude de l'université Paris-Est, pour un poste de responsable administratif dans une collectivité locale, par exemple, un candidat issu des quartiers a un taux d'accès à un entretien d'embauche de 14 points inférieur à celui d'un prétendant domicilié à une adresse neutre.

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