Trois bonnes raisons de revoir “Certains l'aiment chaud”

“Personne n'est parfait”, sauf le chef-d'œuvre de Billy Wilder. Le réalisateur a eu l'idée du siècle de tourner un film qui a joué à fond sur la nostalgie de l'époque fastueuse du cinéma. Ce lundi 3 octobre, France 5 rediffuse ce long métrage.

Par Anne Dessuant

Publié le 03 octobre 2016 à 11h30

Mis à jour le 31 mars 2021 à 17h52

Not tonight, Josephine ! était le premier titre choisi par Billy Wilder pour sa nouvelle comédie policière, car Some like it hot avait déjà été utilisé en 1939. Mais, le temps que le scénario s'écrive, que les acteurs soient choisis, que le tournage s'organise, le studio avait réussi à racheter les droits du titre le plus jazzy : Certains l'aiment chaud pouvait être lancé !

Fin des années cinquante : l'Amérique est en pleine dépression, le chômage est en hausse, la guerre froide crée un climat de peur et de suspicion nauséabond... Côté cinéma, l'arme d'attraction massive américaine, ce n'est pas la joie non plus : la télévision prend de plus en plus de place dans les foyers, les grands studios font faillite et les réalisateurs de l'âge d'or sont morts ou trop vieux pour continuer à tourner... Hollywood cherche un deuxième souffle. Dans ce climat morose, Billy Wilder a l'idée du siècle : tourner un film qui jouera à fond sur la nostalgie de l'époque fastueuse du cinéma. Il veut réaliser une comédie mais avec des gangsters, de la prohibition, du whisky frelaté, des belles pépées et... du jazz ! Il tournera donc en noir et blanc soyeux (son chef op', Charles Lang, a tourné avec Frank Borzage, George Cukor, Joseph L. Mankiewicz, Fritz Lang...) et truffera son film de clins d'œil aux chefs-d'œuvre des années 30.

Près de soixante ans plus tard, sa recette est toujours gagnante. Cette histoire de deux musiciens qui sont témoins malgré eux d'un règlement de compte mafieux et sont obligés de se travestir pour intégrer un orchestre de femmes garde toute sa pertinence —a fortiori en plein débat sur la théorie du genre... A part la force de l'histoire, la précision des dialogues et la beauté des standards du jazz, voici trois autres bonnes raisons de revoir ou de découvrir Certains l'aiment chaud.

Des souvenirs croustillants

Revoir aujourd'hui Certains l'aiment chaud c'est aussi se préparer à se plonger dans les souvenirs de Billy Wilder (Conversations avec Billy Wilder de Cameron Crowe, Actes Sud) et de Tony Curtis (Certains l'aiment chaud! et Marilyn, de Tony Curtis et Mark A. Vieira, J'ai Lu). Avec les images du film bien en tête, les anecdotes des deux compères sont encore plus savoureuses.

Surtout celles rapportées par Tony Curtis qui s'est refait le film, presque jour par jour. Conscient de l'importance que Some Like it hot a eu dans sa carrière de jeune acteur, il arrive toujours à se donner le beau rôle ! « Certains l'aiment chaud a joué un rôle crucial dans mon apprentissage du métier d'acteur. Jouer les beaux gosses, fût-ce le plus beau gosse d'Hollywood, ne me suffisait pas. Côtoyer des artistes tels que Jack (Lemmon), Billy et Marilyn m'a ouvert les yeux. » Et on passe sur ses souvenirs de scènes d'amour torrides avec Marilyn !

Lire les souvenirs de Curtis et Wilder, c'est surtout entrer dans les coulisses d'un tournage devenu mythique. Et apprendre des secrets de fabrication. Comme, par exemple, découvrir d'où est venue la réplique finale, le « personne n'est parfait ! » lancé par Osgood, le milliardaire fou amoureux de Jack Lemmon-Jerry quand il découvre que c'est un homme. Depuis, la sentence est passée dans le langage courant et sert à montrer son désintérêt face à une révélation.

Pourtant, cette répartie n'a pas coulé de source : Wilder et Izzy Diamond, son scénariste n'arrivent pas à trouver une chute. Fatigués après une journée de travail harassant, ils repensent à une phrase qu'ils avaient enlevée d'une scène précédente. « Bon, d'accord, a accepté Billy. On intègre cette réplique. Mais provisoirement. Nous avons jusqu'à vendredi pour trouver autre chose. »

Patient, le scénariste, sûr de lui malgré le scepticisme de toute l'équipe, saura trouver les bons arguments pour la garder : « Le public se croit toujours assez intelligent pour voir venir la chute. Les gens adorent anticiper une blague. Dans ce cas précis, tout le monde —même le spectateur le plus débile — a compris que Jerry va devoir enlever sa perruque et avouer qu'il est un homme. Ils s'accrochent à leur siège, parce que, forcément, Osgood va exploser. Bon. Et s'il n'y avait pas d'explosion ? Si, à la place, on avait une réaction sobre ? Nous avons mis tous les ingrédients pour que le public rie. Pas besoin d'en rajouter. » Une magistrale leçon de dialoguiste !

Un casting parfait

Aujourd'hui, personne n'imaginerait d'autres acteurs à la place de Tony Curtis, Jack Lemmon et Marilyn Monroe. Pourtant ce ne furent que des seconds choix... Les producteurs voulaient absolument une vedette. Ils pensaient à Frank Sinatra mais Wilder est tout de suite méfiant : « Je ne vais pas prendre Sinatra. Il poserait trop de problème. Il faudra qu'il s'habille en femme tous les jours et je ne le vois pas faire ça. » Quand l'acteur lui pose un lapin à leur premier rendez vous, son sort est réglé : Sinatra ne fera pas partie du casting !

Mais le fait de devoir être travesti pendant une bonne partie du tournage n'est pas facile à accepter pour la plupart des acteurs de l'époque. Tony Curtis rapporte les propos de Jack Lemmon quand on lui propose le rôle de Jerry/Daphné : « Oh mon Dieu... Déguisé en femme, et tout ça... Hé! mais attends un peu... Avec Billy Wilder ça ne peut pas être de mauvais goût ! »

Tony Curtis lui, assure n'avoir pas hésité à interpréter Joe/Joséphine. A l'époque, il est vrai, il n'était pas encore très connu et ne mettait donc pas sa carrière en grand danger. « Le projet était tellement extraordinaire que j'ai commencé à avoir peur. J'envisageais ma Joséphine comme un mélange de Dolorès Costello, la sublime actrice du cinéma muet, de l'élégante Grace Kelly et, last but not least, de ma mère! » Et quand il joue le faux milliardaire qui invite Marilyn sur son yatch, il imite le jeu stylé de Cary Grant.

Pour le rôle féminin principal, Sugar, la joueuse d'ukulélé, Billy Wilder envisage Mitzi Gaynor qui rencontrait un petit succès à l'époque. Heureusement, Marilyn Monroe, qui a eu vent du projet, réclame le rôle ! Mais Wilder l'a déjà —difficilement— dirigée dans sept ans de réflexion, et s'est juré de ne plus jamais retravailler avec cette actrice trop capricieuse... Il pense alors à Elizabeth Taylor, Audrey Hepburn... Mais les producteurs, les frères Mirish, tiennent à la star Marilyn. Malgré un tournage très « chaotique », le réalisateur reconnaîtra : « Quand on parvenait à la faire venir au studio et qu'elle était dans un bon jour, elle était formidable. Elle avait une qualité que personne d'autre, à part Greta Garbo, n'a jamais eue à l'écran. Elle était une sorte d'image réelle, au-delà de la simple photographie. Sur l'écran, elle donnait l'impression qu'on pouvait la toucher du doigt. »

Pour les second rôles et les personnages de mafieux, Billy Wilder veut rendre hommage à l'âge d'or d'Hollywood : il engage George Raft, la star des années 30 (c'est lui le gangster qui, dans Scarface de Hawks, lance toujours une pièce en l'air en signe de nervosité). Billy Wilder veut aussi Edgar G. Robinson mais celui-ci refuse le rôle, à cause, justement de Raft avec qui il ne veut plus jouer. Sur le tournage de L'Entraîneuse fatale (Raoul Walsh, 1941) les deux acteurs en étaient venus à se battre !

Le "Poupoupidou" si érotique de Marilyn

Quand Marilyn chante I Wanna be loved by you, elle est moulée dans une robe quasi transparente dessinée, comme tous ses costumes, par Orry-Kelly —qui sera le seul à remporter un Oscar car, cette année-là, la concurrence, avec le Ben-Hur de William Wyler sera trop forte : les cinq autres nominés de Certains l'aiment chaud repartiront bredouilles.

La scène du cabaret fut filmée à la fin du tournage, et Marilyn, alors enceinte, était très pulpeuse et la robe devenait presque indécente ! Le chef opérateur fit son possible pour atténuer ce qui aurait pu être censuré : avec un halo de lumière blanche, il concentre les regards sur le visage de l'actrice ! Mais sa façon de prononcer « Poupoupidou » en regardant le spectateur droit dans les yeux est d'une sensualité quasi pornographique et aucun artifice n'arrivera à l'interdire !

on aime passionnément Certains l'aiment chaud, de Billy Wilder. Lundi 3 octobre à 20h55 sur France 5.

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