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Enquête

Italie, le « péril vieux »

Par Olivier Tosseri

Publié le 5 oct. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Depuis vingt ans, le taux de fécondité n'en finit plus de dégringoler en Italie, devenue l'une des nations les plus âgées au monde. Les spécialistes, inquiets de ce « suicide démographique », appellent à une prise de conscience de la population et de la classe politique.

Un monde sans Italiens ? Quelle horreur... » Ce cri du coeur, le politologue américain Ben Wattenberg l'a poussé en 1997, dans le quotidien « USA Today », alors que l'Italie venait d'enregistrer le taux de fécondité le plus faible de son histoire -1,19 enfant par femme, bien loin des 2,1 indispensables au renouvellement des générations. Vingt ans après, la péninsule n'est toujours pas sortie de son long hiver démographique. En 2015, les naissances sont tombées sous le seuil psychologique des 500.000 (à peine 400.000, si l'on prend en compte les enfants nés de deux parents italiens). Le taux de fécondité reste l'un des plus bas du monde avec 1,37 enfant par femme, soit 8 naissances pour 1.000 habitants, contre 10 naissances pour 1.000 dans l'Union européenne. Pour la première fois depuis 1919, la population a diminué dans la Botte, l'année dernière, avec une hausse de 10 % de la mortalité en 2015 par rapport à 2014.

« C'est une démographie de temps de guerre, souligne la démographe Letizia Mencarini de l'université Bocconi de Milan. C'est même pire, car un conflit est limité à quelques années, alors que cette tendance à la baisse s'inscrit durablement dans le temps. Et lorsque la structure d'une population change, les conséquences sont visibles sur plusieurs décennies. » La chute spectaculaire des naissances est intervenue au cours des deux dernières décennies, produisant des classes creuses. Les femmes en âge de procréer sont aujourd'hui beaucoup moins nombreuses qu'il y a vingt, trente ou quarante ans. Elles représentaient 47,3 % de l'ensemble de la population féminine en 2003 et ne sont plus que 43 % en 2015. Environ un quart des Italiennes n'ont pas d'enfant; un autre quart n'en a qu'un seul. De quoi engendrer une véritable spirale de la dénatalité. Plus qu'un hiver, certains évoquent désormais un « suicide démographique » : 2 % des femmes et 4 % des hommes âgés entre 18 et 40 ans déclarent ne pas vouloir fonder une famille.

Un « bonus bébé » de 80 euros

Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer ce phénomène. La précarité économique des couples due à la crise et au chômage de masse des jeunes, un marché du travail qui empêche encore trop souvent de concilier vie professionnelle et vie familiale et, surtout, une absence d'aide de la part de l'Etat. Il destine 70 % de ses dépenses sociales à la préservation du système des retraites et, paradoxe pour le pays de la « famiglia », moitié moins que ses partenaires européens pour la soutenir. Le « bonus bébé » de 80 euros par mois introduit par Matteo Renzi ressemble plus à une aumône qu'à une véritable allocation familiale. A cela s'ajoute le manque criant de structures, puisque moins de la moitié des communes offrent un service de crèches publiques. Près de 80 % des enfants entre 0 et 2 ans sont ainsi confiés aux soins d'amis ou, le plus souvent, des grands-parents. Autant de raisons qui pousseraient les futurs parents à attendre avant de se décider à mettre au monde un unique « bambino » qui se fait de plus en plus rare. En moyenne, les Italiennes ont leur premier enfant à 31,6 ans contre 28 ans pour les Françaises...

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« Les raisons socio-économiques sont importantes, mais trop simplistes, estime l'économiste Alfonso Giordano, qui enseigne à l'université Luiss de Rome. La démographie est plus complexe. Dans l'Italie pauvre d'avant-guerre, les fratries étaient plus nombreuses alors que le nombre d'enfants a commencé à décroître à partir de 1965, lorsque le pays entrait dans une phase de bien-être et d'opulence. La natalité dans l'Italie catholique est plus faible que celle de la France laïque, et l'Allemagne, épargnée par la crise, n'a qu'un taux de fécondité de 1,44 enfant par femme. »

S'il est difficile d'identifier les causes profondes du déclin démographique de l'Italie, on peut d'ores et déjà en constater les conséquences. La première est un vieillissement de sa population (60 millions d'habitants) plus accentué que sur le reste du continent. La part de ceux qui ont plus de 80 ans a bondi de 150 % ces vingt dernières années et 21,4 % des Italiens ont plus de 65 ans, contre une moyenne européenne de 18,4 %. Ils seront 26,5 % en 2030. Un bouleversement démographique qui a fait voler en éclats le pacte intergénérationnel. Pour 100 personnes en âge de travailler aujourd'hui, plus de 33 sont à la retraite. Sur chaque jeune Italien pèse ainsi le fardeau de 250.000 euros de dette liée au financement du système des retraites. Sa génération, bien moins nombreuse que celle des baby-boomeurs, doit donc payer toujours plus de cotisations pour assurer aux précédentes un niveau de pension dont elle ne bénéficiera pas. « C'est une véritable injustice qui peut faire naître des tensions, prévient Alfonso Giordano. Mais il n'y a pas que le futur problème des retraites ou de l'explosion des dépenses de santé. Chercher actuellement la croissance économique avec une population vieillissante est un contresens. Avoir une "fenêtre démographique" [la tranche de la population active, NDLR] large et bien proportionnée par rapport aux tranches inactives [les enfants et les personnes âgées] facilite considérablement le développement économique. » Un développement notamment entravé par un exode de plus en plus massif des forces vives du pays. Sur les 100.000 Italiens, pour la plupart diplômés, qui sont partis à l'étranger en 2014, près de la moitié étaient de jeunes femmes de moins de 40 ans. Si le gouvernement s'inquiète à juste titre de la fragilité financière des banques de la péninsule, il devrait donc aussi se préoccuper du manque de capital humain, tout autant indispensable à la croissance italienne.

« Moins de jeunes, cela veut dire une société plus conservatrice, moins ouverte à l'innovation et moins adaptée aux évolutions technologiques, poursuit Alfonso Giordano. Les jeunes rencontrent en outre de véritables barrières qui entravent leur entrée sur le marché du travail, placées par leurs aînés, qui ont des comportements corporatistes. Sur les 5.000 personnalités répertoriées dans le "Who's Who" italien, seuls 2,5 % ont moins de 35 ans. Lorsqu'une seule génération est au pouvoir, comme c'est le cas, on peut considérer que l'on vit dans une gérontocratie. » Le tout juste quadragénaire Matteo Renzi et certains de ses ministres trentenaires font figure d'exceptions dans un monde politique où les têtes chenues sont la norme. Situation identique concernant la machine bureaucratique. Sur les 3,2 millions de fonctionnaires transalpins, seulement 100.000 ont moins de 30 ans. Ils sont 8,4 % à avoir moins de 34 ans, contre 22,9 % en Allemagne et 26,7 % en France. Le monde du travail, enfin, ne déroge pas à la règle. 23 % des dirigeants d'entreprises familiales - les deux tiers du tissu industriel italien - ont plus de 70 ans et leurs PME-PMI affichent souvent de moins bons résultats que celles dont le leader est plus jeune.

Plus qu'un pays vieillissant, « l'Italie est un pays mourant », résume crûment Beatrice Lorenzin, la ministre italienne de la Santé. Elle a décidé d'organiser le 22 septembre dernier un « Fertility Day » pour redonner à la nation la plus âgée du monde après le Japon une seconde jeunesse. « N'attendez pas trop pour faire des enfants »,« La beauté n'a pas d'âge. La fertilité, si » et « La procréation est un devoir au regard de la nation » ont été quelques-uns des slogans d'une campagne gouvernementale jugée maladroite. Elle a suscité la polémique, certains y voyant une manière de renvoyer les femmes à leur rôle traditionnel ou de les culpabiliser au lieu de mettre en lumière les manquements des services publics.

« Au-delà des maladresses de la campagne de sensibilisation, c'est un véritable sujet de société qui a été trop longtemps occulté, constate Beatrice Ermini, gynécologue romaine spécialisée dans les techniques de procréation assistée. Le nombre de couples ayant recours à la fécondation assistée a augmenté de plus de 19 % ces six dernières années. Les modes de vie sédentaires, l'alimentation, la hausse de la consommation de tabac et d'alcool ont augmenté les troubles de la fertilité aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Pour ces dernières, lorsque toutes les conditions sont enfin réunies pour avoir un enfant, il est souvent trop tard ou très difficile de tomber enceinte. »

La fin de la « mamma »

Un symbole de l'Italie est ainsi en train de disparaître : la « mamma ». Et l'apport de l'immigration, s'il est nécessaire pour enrayer cette tendance, s'avère insuffisant. Car si la fécondité des femmes étrangères est plus importante lorsqu'elles arrivent, elles adoptent rapidement le comportement des Italiennes. « Les couples voudraient des enfants mais ne peuvent pas, insiste la démographe Letizia Mencarini. Ils mettent plus de temps qu'ailleurs à avoir un deuxième enfant ou alors renoncent. Il faut une véritable politique familiale, qui n'a jamais été sérieusement engagée par aucun gouvernement, à la différence de la France, modèle en la matière. Mais le temps des démographes n'est pas celui des politiciens et il faudrait des dizaines d'années pour obtenir des résultats. »

En l'occurrence, les responsables politiques sont plus soucieux d'assurer ceux des urnes, avec un électeur dont l'âge moyen est supérieur à cinquante ans et qui verrait d'un oeil sévère une baisse des dépenses liées au système de retraite pour financer celles destinées aux familles. A long terme, donner plus d'autonomie aux jeunes qui vivent trop longtemps aux crochets de leurs parents, renforcer la présence des femmes sur le marché du travail et instaurer une fiscalité favorable aux couples, constituent les grandes lignes d'un plan national pour la famille. Il faudrait pour cela que la population et la classe dirigeante prennent conscience de la situation et ne voient pas dans ces mesures des dépenses supplémentaires, mais un investissement indispensable pour garantir l'avenir d'un pays dont l'économie dépend aux deux tiers de la demande intérieure. Jamais peut-être les mots d'Alcide de Gasperi, le premier président du Conseil italien au sortir de la guerre, n'avaient sonné aussi juste : « Un homme politique pense à la prochaine élection, un homme d'Etat à la prochaine génération. »

Les points à retenir

Pour la première fois depuis 1919, la population a diminué dans la péninsule l'an dernier.

Avec 8 naissances pour 1.000 habitants, le taux de fécondité italien est l'un des plus bas du monde.

Plus d'un quart des Italiens auront plus de 80 ans en 2030. Un vieillissement qui a fait voler en éclats le pacte intergénérationnel.

Les causes ? La précarité économique des jeunes couples, l'absence d'aides de l'Etat et le manque de crèches publiques notamment.

Correspondant à Rome Olivier Tosseri

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