Le Transsibérien, voyage vers l'autre Russie
Moscou, 13h30, gare Yaroslavsky.
Une voix métallique grésille dans les haut-parleurs : le « Rossiya », à destination de Vladivostok, partira de la voie numéro 2 dans 20 minutes. C'est le légendaire Transsibérien, fierté de la compagnie des chemins de fer russes.
Les provodnitsa, hôtesses en uniforme bleu marine, accueillent les passagers à l'entrée de chaque voiture.
Éloge de la lenteur
Boris Piaterikov est un habitué du train. Près du « tchaïnik », grosse bouilloire pour le thé, ce représentant commercial aux allures de jeune rocker en a long à dire sur ce carburant essentiel à tout voyage en train en Russie, lubrifiant naturel de toute conversation, au même titre que la vodka.
Il savoure le lent roulis du train et dédaigne le SAPSAN, le train rapide qui relie Moscou à St-Pétersbourg en quatre heures . Un vulgaire autobus sur rails, selon lui. Vitesse et train sont incompatibles, il préfère déconnecter, réfléchir sur le temps qui passe et faire le point sur sa vie. « Mais toujours pour des courtes distances, ajoute-t-il. Seuls les étrangers font tout le trajet de Moscou jusqu'à Vladivostok ».
Exotisme glacé
Des étrangers comme Natalie et Dean Smart qui occupent les deux couchettes du bas dans le compartiment voisin de celui de Boris. Ce couple vit par et pour le voyage.
Ils ont choisi exprès un compartiment de quatre couchettes dans l'espoir de faire des rencontres. Leur connaissance du russe se limite à quelques mots, mais « cela ne nous empêche pas de nous comprendre » disent-ils, enthousiastes.
Dean est aussi un mordu d'histoire. Guide du Transsibérien à la main, il rappelle que ce train a permis de coloniser et de développer l'extrême-orient russe, d’unifier le territoire et d'y amener des soldats. Sans quoi cette partie du pays aurait sans doute été annexée par la Chine, le Japon ou la Corée.
Pantoufles et lutte des classes
Relaxer n'est pas un luxe que peut se permettre Angelika Podobina, la provodnitsa de notre wagon. Un mois à la fois, elle fait des allers-retours entre Moscou et Vladivostok. Les horaires de travail sont pénibles : 12 heures par jour, 7 jours sur 7. Angela l'avoue : ce travail est dur pour la vie de famille. Mais elle ne changerait pour rien au monde. Patriote et fière de travailler sur ce train de légende, elle raffole du contact avec les voyageurs.
En la suivant dans les wagons, on voit combien le train abat les barrières sociales entre les voyageurs, malgré ses trois classes, luxe, koupé (4 places) et platskart (3e classe à aire ouverte). Dicté par le pragmatisme, le code vestimentaire est le même pour tous. Le soir, tous les passagers traînent dans les coursives en pyjama et en tapotchkis (pantoufles), le plus souvent court-vêtus en raison de la chaleur extrême qui règne dans le train, hiver comme été.
Et, hiver comme été, à chaque arrêt, tous en profitent pour sortir sur le quai griller une cigarette ou se dégourdir les jambes.
Jean-François Bélanger