Libé des historiens

L’histoire, matériel de récup politique

Les candidats à la primaire de la droite Nicolas Sarkozy et François Fillon truffent leurs discours de références qui ne laissent pas de place au débat et ne servent qu’à exalter le sentiment patriotique.
par Pap Ndiaye, historien, spécialiste de l’Amérique du Nord (Sciences-Po Paris)
publié le 5 octobre 2016 à 20h21

La vision de l’histoire de France qu’esquissent Nicolas Sarkozy et François Fillon à longueur de discours ne doit pas être prise à la légère, comme s’il ne s’agissait que de propos de campagne sans conséquence, ce fameux «gros rouge qui tache» dont l’ancien président est familier et qu’il sert tous les jours avec générosité. La place importante tenue par l’histoire dans leurs propos mérite d’être prise au sérieux et analysée. Voilà des hommes qui prétendent aux plus hautes fonctions, et dont on attend qu’ils développent leur manière de se représenter l’histoire, leur manière de donner un sens à leur candidature. Le général de Gaulle et François Mitterrand ne faisaient pas autre chose, eux qui inscrivaient leurs mandats dans l’histoire longue du redressement national ou de la construction européenne.

A lire le «Libé» des historiens du jeudi 6 octobre 2016

Depuis la IIIe République, l'histoire est une discipline valorisée par le pouvoir politique, qui y trouve une inspiration et une légitimité. Nombreux sont les politiques à écrire - faire écrire le plus souvent - un livre d'histoire valorisant, par exemple une biographie qui invite en toute modestie à comparer l'auteur et le sujet.

Les discours des chefs de la droite «décomplexée», truffés de références historiques, ont ceci d’original qu’ils portent sur le contenu et la méthode. Ce sont des discours autoritaires dans la forme et dans le fond, qui ont moins pour objet de proposer leur vision de l’histoire que d’imposer la bonne manière, la seule manière, de faire et d’enseigner l’histoire. Le contenu, c’est une histoire nationaliste, édifiante, visant à mettre en valeur les grandes figures et les héros, une histoire qui doit tourner le dos à la repentance, à l’autoflagellation, aux approches critiques ou simplement nuancées. Il s’agit pour eux, une bonne fois pour toutes, de tirer un trait sur les demandes particulières, par exemple celles issues des mémoires blessées, pour imposer une histoire patriotique dont nous devons êtres fiers : c’est le fameux «récit national», auquel Nicolas Sarkozy avait tenté de donner forme institutionnelle en 2009 avec sa Maison de l’histoire de France, lancée en même temps que les débats sur l’identité nationale.

La méthode, c’est une histoire qui ne soit pas «source d’interrogations», une histoire sans problème, un récit national qui ne soit pas trop embarrassé de porosités et d’échanges avec le reste du monde, aux antipodes de l’histoire-monde, de l’histoire transnationale, bref de tout ce qui anime la recherche historique contemporaine. De préférence aux débats sur les sources, les interprétations, les représentations de l’histoire, que les historiens ont tant de plaisir à partager avec le public des Rendez-Vous de l’histoire de Blois, il faut une histoire au service d’un projet politique, de préférence emplie d’émotion.

En général, les politiques n'ont cure des travaux de recherches en sciences humaines et sociales, et très rares sont aujourd'hui celles et ceux qui ont une culture historique. Ces travaux peuvent même être suspects : on se souvient des propos stupéfiants de Manuel Valls, selon lequel «expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser». Du côté de la droite dure et de l'extrême droite, on partage certainement le point de vue du Premier ministre, mais on y ajoute une batterie d'essayistes bien connus pour leurs ouvrages où une histoire nationale édifiante occupe une place centrale, avec un appel à revenir à l'histoire telle qu'elle était supposément enseignée jadis. La vie politique française tourne ainsi comme un yo-yo fou, entre un passé mythifié et un présent obscur.

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