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Industrie

Le vrai scandale Alstom? La gestion de ses dirigeants et actionnaires

LE COUP DE GUEULE DE CHALLENGES Le plan de sauvetage de l’usine de Belfort, très contesté, n’est que la suite logique de vingt ans d’erreurs stratégiques des dirigeants et actionnaires d’Alstom. Qui ont transformé un conglomérat puissant en acteur fragile du ferroviaire.

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Alstom

Le vrai scandale Alstom? La quinzaine d'années d'errements stratégiques des dirigeants et actionnaires, qui a plongé le groupe en seconde division.

(c) Sipa

C’est ce qu’on appelle un bel unanimisme bêlant. Le plan de sauvetage de l’usine Alstom de Belfort vient de provoquer un de ces tollés dont l’aréopage politico-médiatique français a le secret. L’Etat achète des TGV pour les mettre sur des lignes Intercités? Scandale chez les commentateurs. Oh, la belle impéritie de l’Etat, décidément aussi peu inspiré qu’impécunieux. Oh, le beau scandale qui voit l’Etat, pitoyable rebouteux, essayer de sauver une usine de près de 140 ans d’histoire. Oh, l’infâme idée de faire rouler des trains à 200 km/h sur des lignes classiques quand ils peuvent dépasser les 300 - ce qui n’avait choqué personne quand Alstom a vendu cet été des TGV à l’américain Amtrak, qui ne les fera pas non plus rouler à pleine vitesse.

Bien sûr, la solution retenue par l’Etat est loin d’être idéale. Le plan, élaboré dans l’urgence, fleure bon la décision pré-électorale et le rafistolage de circonstance, même si quiconque a déjà pris un train Intercités sait que l’investissement dans de nouvelles machines était plus qu’urgent. Mais où se situe le vrai scandale? Plus que dans la précipitation d’un gouvernement aux abois, celui-ci réside plutôt dans les errements stratégiques de plusieurs générations de dirigeants et d'actionnaires du groupe, qui ont transformé un conglomérat puissant en industriel focalisé sur le seul transport ferroviaire. Un nain au milieu des géants chinois, des GE, Siemens et autres Hitachi.

Alcatel pompe la trésorerie d'Alstom

Pour comprendre pourquoi, un flash-back s’impose. En 1998, le conglomérat Alcatel-Alsthom, patiemment bâti sur plus de cent ans d’histoire, est démantelé dans l’allégresse générale par Serge Tchuruk. La partie télécoms, Alcatel, se sépare de la partie industrielle (trains, turbines), qui sera désormais un Alstom indépendant, dirigé par Pierre Bilger. Au passage, Tchuruk, désormais patron d’Alcatel, en profite pour piocher sans vergogne dans la trésorerie d’Alstom via un superdividende. Et force son ex-filiale à reprendre Cegelec, filiale d’Alcatel, pour 1,6 milliard d’euros. C’est le péché originel, la tare qui poursuivra Alstom toute son existence: vidé de son cash, le nouveau groupe n’a pas les reins assez solides pour encaisser une crise majeure.

Or celle-ci est au coin de la rue. Elle se déclare dès 1999, lors du rachat des activités d’énergie du groupe helvético-suédois ABB. C’est la deuxième erreur stratégique majeure du groupe. D’abord parce que l’acquisition plombe les comptes d’Alstom qui n’en avaient pas besoin. Ensuite, parce que les turbines d’ABB se révèlent défaillantes, ce qui contraint le groupe français à passer plusieurs milliards de provisions successives. Et comme si une décision catastrophique ne suffisait pas, Alstom en ajoute une autre: la même année, le groupe vend à GE son activité de turbines à gaz de Belfort. Celle-là même qui cartonne aujourd’hui au sein du groupe américain…

2005: Alstom sauvé par... l'Etat

Ajoutez la faillite du croisiériste Renaissance Cruises, dont les achats de paquebots étaient garantis par les Chantiers de l’Atlantique, filiale d’Alstom, et vous obtenez un cocktail pas loin d’être fatal pour un groupe affaibli. Patrick Kron, appelé en pompier fin 2002 pour remplacer Pierre Bilger, commence à vendre les bijoux de famille. L’ultra-rentable filiale transmission et distribution (T&D) est vendue à Areva (elle sera rachetée en 2010, au prix fort, par Alstom et Schneider). Les turbines industrielles sont cédées à l’allemand Siemens. Insuffisant: en 2004, Alstom, au bord du gouffre, est contraint de frapper à la porte de l’Etat.

C’est bien la puissance publique, si vivement attaquée aujourd’hui, qui va sauver le groupe français. En 2004, deux ministres de l’Economie successifs, Francis Mer puis un certain Nicolas Sarkozy, décident la nationalisation partielle du groupe (21,5% du capital), qu’ils imposent à Bruxelles à l’issue d’une bataille homérique face à la commission Monti. La contrepartie de l’accord avec la Commission, c’est une grande braderie qui continue. La branche Power Conversion d’Alstom est cédée en 2005 à Barclays Private Equity. En 2006, c’est au tour des chantiers navals de quitter le giron d’Alstom. Les Chantiers de l’Atlantique sont cédés au norvégien Aker Yard. Dix ans plus tard, les deux entités sont en pleine forme: Power Conversion, devenue Converteam, a été rachetée par GE en 2011, qui n'en demandait pas tant. Quant aux chantiers de l'Atlantique (STX France), ils croulent sous les commandes, même si leur propriétaire coréen, en difficulté, les a mis en vente.

Bouygues laisse le groupe en jachère

Alstom, recentré sur l’énergie et le ferroviaire, maigrit à vue d’œil. D’autant que l’Etat et Anne Lauvergeon refusent la fusion avec Areva réclamée par Patrick Kron. Bouygues, qui avait repris le ticket de l’Etat avec l’idée de fusionner Alstom avec le groupe nucléaire, laisse sa participation en jachère, ne consentant pas les investissements nécessaires au développement du groupe. En 2014, c’est le coup de grâce: Alstom annonce la revente de son activité énergie à General Electric, devenant un « pure-player » du ferroviaire.

Pouvait-on faire autrement ? Le débat reste ouvert. Mais le résultat de cette cure d’amaigrissement forcé est éloquent: quinze années d’un démantèlement quasi-permanent mené par ses dirigeants ont fait passer un fleuron français du statut de conglomérat industriel à celui d’industriel de seconde division. Alstom réalise 6,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires… soit moins que le résultat net de Siemens (7,4 milliards d’euros, pour 75,6 milliards d’euros de ventes)!

3,2 milliards d'euros pour les actionnaires

L’ironie de l’histoire est de voir revenir l’Etat à la rescousse du groupe, douze ans après le premier sauvetage, et de ne récolter que goudron et plumes. Alstom avait pourtant largement les moyens de reconvertir et de moderniser le site historique de Belfort. Lors de la vente d’Alstom Power à GE, le groupe a touché 9,7 milliards d’euros du géant américain. Il avait consacré le tiers de cette somme (3,2 milliards d’euros) en décembre 2015, à un massif rachat d’actions, annulées dans la foulée pour récompenser les actionnaires. Une fraction, même minime, de ces 3,2 milliards aurait suffi à reconvertir le site historique de Belfort vers des activités plus porteuses que les TGV. Et donc à éviter l’intervention de l’Etat, aussi coûteuse que critiquée. Et si c’était cela, le vrai scandale Alstom?

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