Grâce à Internet, j’ai retrouvé l’homme qui a sauvé mes parents en 1944

Grâce à Internet, j’ai retrouvé l’homme qui a sauvé mes parents en 1944

70 ans après que ses parents survécurent à la bataille de Budapest, l’auteur est parti à la recherche du mystérieux docteur français qui les sauva.

Par John Temple
· Publié le · Mis à jour le
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Tout a commencé par une question à laquelle mes parents n’avaient jamais pu répondre en 70 ans.

Qu’était-il arrivé au médecin français qu’ils avaient recueilli durant le siège de Budapest par les Russes ? C’était un prisonnier de guerre évadé. Eux essayaient seulement de s’en sortir. Ensemble, ils se cachèrent dans une cave, sous les bottes des soldats allemands qui avaient établi leur base dans la maison.

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L’intégralité de cet article écrit par John Temple est disponible sur Ulyces, notre partenaire. Ulyces est un magazine qui publie des enquêtes, des grands reportages et des interviews exclusives (vous pouvez les acheter à l’unité ou vous abonner).

«  Grâce à Internet, j’ai retrouvé l’homme qui a sauvé mes parents durant la Seconde Guerre mondiale  » a été traduit de l'anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d'après l'article «  Champagne in the Cellar  », paru dans The Atlantic. Découvrez aussi sur Ulyces l'histoire du naufrage du Lancastria, dans le port de Saint-Nazaire..

Les souvenirs que mes parents avaient gardés de cette époque ne faisaient que rarement surface. Mais lorsqu’ils parlaient de l’hiver 1944-1945, tout semblait plus vivant. C’était comme si les flashs des bombes encore vifs dans leurs mémoires éclairaient leurs vies. Ils étaient un tout jeune couple quand mon père, qui avait déserté l’armée hongroise, et ma mère, qui avait refusé d’emménager dans le ghetto et de porter l’étoile jaune, unirent leurs destinées.

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Chaque fois que j’entendais parler de cet hiver-là – souvent des soirs où il neigeait, cela leur rappelait le froid mordant qu’ils avaient dû affronter à l’époque –, un nom revenait dans leur récit : celui du Dr Lanusse. Mes parents avaient pour cet homme une admiration sans borne. Ils faisaient de lui le portrait d’un médecin courageux qui honorait son serment en soignant quiconque en avait besoin.

Après la guerre, mes parents ne le revirent jamais. Il n’est pas rare de perdre le contact avec des gens qui ont compté dans nos vies. Nous passons tous à autre chose. Mais pour une raison que je ne saurais entièrement expliquer, après la mort de mes parents, j’ai été emporté dans les tourbillons de leur passé.

Un nom venu de mon enfance

Ce n’était pas la première fois. Mes parents ont laissé beaucoup de mes questions sans réponse. Celle-ci ne paraissait pas essentielle, car le Dr Lanusse n’était pas un membre de la famille. Elle l’était beaucoup moins que de savoir ce qu’il était arrivé au frère de ma mère durant la Seconde Guerre mondiale.

Ma mère m’a raconté qu’ils avaient essayé de savoir ce qu’il était advenu de son frère de nombreuses fois après la guerre, mais ils étaient toujours revenus les mains vides. Quand j’ai fini par découvrir les documents attestant de sa mort il y a trois ans, peu avant celle de ma mère, elle en a été très attristée. Elle m’a dit qu’elle avait dû faire son deuil une deuxième fois. Elle n’a jamais voulu voir la preuve que j’avais retrouvée, son dossier de Buchenwald.

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Des soldats russes durant la bataille de Budapest
Des soldats russes durant la bataille de Budapest - Ulyces

Ce que mes parents avaient vécu avec le médecin français semblait pourtant si incroyable – ils s’étaient réfugiés dans la cave de la maison de mes grands-parents, sous les pas des soldats allemands, et avaient survécu pour le raconter – que j’ai pensé que cela valait le coup de creuser.

Je me suis donc lancé à la recherche d’une personne que je n’avais jamais rencontrée, avec un nom que je ne savais pas épeler. Un nom venu de mon enfance.

Ce que j’ai fini par découvrir est incroyable, au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. Et même si j’aurais voulu m’être lancé dans cette quête plus tôt, cela n’aurait probablement pas été possible sans Internet.

C’était forcément lui

C’était à l’automne 2015. Je travaillais à mon bureau de San Francisco, laissant de temps à autre mon regard se perdre au-delà des branches des pruniers tandis que je parcourais Google. J’ai fouillé la Toile jusqu’à tomber sur un livre qui contenait le nom que je cherchais : Dr Lanusse.

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C’était forcément lui, me suis-je dit, car cette unique petite phrase dans un manuscrit de 248 pages sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Hongrie le décrivait comme « medical-ft. Int. », un médecin interne à plein temps.

Sur le coup, je n’étais pas sûr de ce que cela signifiait, mais j’avais bien l’impression qu’il s’agissait d’un docteur. Combien de Dr Lanusse pouvait-il y avoir en France ? Il s’est avéré que c’était un nom de famille peu répandu.

Je pensais que la suite logique était de prendre contact avec le ministère de la Défense français pour retrouver son dossier. Ils pourraient certainement me dire ce qui lui était arrivé. Mais un ami ayant des connexions au sein du gouvernement français m’a dissuadé de lancer dans cette voie, du moins pour l’instant. Trop fastidieux, trop chronophage. J’étais déçu.

Le médecin venait de Bordeaux

Que pouvais-je faire ensuite ? Il m’a mis en contact avec une amie américaine titulaire d’un doctorat en histoire de France, qui avait quelques de suggestions. Elle aussi m’a recommandé d’éviter de contacter directement l’armée. Elle était d’avis qu’un journaliste français serait plus capable de m’aider à retrouver les documents dont j’avais besoin.

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J’ai alors contacté mon ami Frédéric, un journaliste français vivant à Paris, et lui ai raconté mon histoire. Je lui ai raconté comment mes parents m’avaient un jour parlé de ce médecin français, aviateur dans mon souvenir, qui s’était terré avec eux dans la cave de la maison des parents de mon père à Budapest durant l’hiver 1944-1945. Comment, après que les Russes eurent chassé les Allemands et occupé la ville, leurs chemins s’étaient séparés pour ne jamais se recroiser.

Une silhouette dans les rues de Budapest aprs le sige
Une silhouette dans les rues de Budapest après le siège - Ulyces

Ils m’avaient parlé des cadavres gelés des chevaux morts jonchant la rue, et confié à quel point la vie était encore dangereuse pour eux au printemps 1945.

Je lui ai dit que mon père pensait que le courageux docteur avait dû être tué en essayant de rentrer chez lui. Et que je croyais me souvenir qu’il venait de Bordeaux.

Il y avait un fait nouveau

C’était là toute l’histoire, échappée des lèvres de mes parents. Il y avait cependant un fait nouveau, lui dis-je. J’avais été en mesure de trouver une référence au docteur dans un livre qui décrivait comment la Hongrie, qui avait imposé ses propres lois anti-juifs et pris le parti des nazis, avait servi de refuge aux prisonniers français évadés, tard dans l’année 1944.

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Je lui ai demandé s’il pouvait m’aider à découvrir ce qui était arrivé au docteur. Si d’aventure je venais en France, j’aurais aimé rencontrer ses descendants et me recueillir sur sa tombe.

Frédéric avait plusieurs suggestions. Un ami à lui était réserviste dans la marine et devait savoir comment procéder pour consulter les archives militaires. La préfecture détenait probablement des documents utiles. Il avait mis en copie de son e-mail sa femme, Nathalie, qui selon lui « devait avoir quelques idées ».

Ancienne journaliste, Nathalie vient d’une très vieille famille française. C’était une passionnée d’histoire, d’après lui. Ses paroles m’ont revigoré. Sorti de mon impasse, j’avais traversé l’océan en quelques e-mails.

Le camp de Rawa-Ruska

Nathalie a commencé les recherches avant même que nous parlions pour la première fois. Mon français est rudimentaire. Chercher des documents administratifs français sans un guide me paraissait impossible. Il ne lui a fallu que quelques jours avant de déterrer une histoire sur un site français dédié à un camp de prisonniers de guerre en Pologne [aujourd’hui, le camp se situe en Ukraine, ndlr] où les Allemands détenaient des soldats français : Rawa-Ruska.

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« J’ai trouvé un Docteur Henri Lanussé (il y a un accent sur le e) », m’a-t-elle écrit. « Il s’est échappé du camp de Rawa-Ruska le 9 août 1942. Il est arrivé à Budapest à Pâques 1943 et il y est resté jusqu’à ce que les Russes arrivent. Il est revenu en France et a écrit un texte dans lequel il fait preuve des mêmes qualités que vos parents avaient tant apprécié chez le Henri Lanussé qu’ils ont connu. Il se montre très reconnaissant envers les habitants de Budapest. Son prénom n’est pas mentionné dans ce texte, mais il est nommé Dr Henri Lanussé dans un autre texte en français que je peux vous faire parvenir. »

L'intrieur du camp de Rawa-Ruska, en Ukraine
L’intérieur du camp de Rawa-Ruska, en Ukraine - Ulyces

Cependant, elle m’a prévenu que deux de mes informations étaient fausses :

  • « son nom s’écrit avec un accent » ;
  • « ce n’est pas un aviateur, il servait dans les troupes au sol. »

Ce dernier détail ne m’étonnait pas. Je n’étais tout d’un coup plus très sûr de la branche de l’armée dans laquelle il avait servi. Je savais en revanche que le Dr Lanusse s’était évadé d’un camp de prisonniers allemands et qu’il avait atterri en Hongrie. Je me rappelais vaguement que mes parents m’avaient raconté qu’il s’était échappé plus d’une fois.

Rawa-Ruska était justement un camp où les Allemands envoyaient les évadés récidivistes, un lieu aux conditions de vie déplorables. Peut-être s’agissait-il de lui.

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Lanusse ou Lanusssé ?

Le témoignage retrouvé par Nathalie était celui d’un certain « Docteur Lanussé ». L’accent sur le e final est important : s’agissait-il du même Dr Lanusse dont il était question dans ce livre sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Hongrie ?

Je n’aurais probablement pas remarqué la différence moi-même. Nathalie avait été plus attentive. Je n’avais même pas réalisé que Lanusse avait un sens particulier en français. Sur un site de généalogie français, elle a découvert que le nom Lanusse venait du sud-ouest de la France, c’était donc bon signe. Mes parents m’avaient dit que le docteur était originaire de Bordeaux.

Le site indiquait que le nom provenait d’une particularité topographique de la région – « qui désigne une lande, un terrain peu fertile ». Mais dans le langage contemporain, il a aussi une signification plus embarrassante qui devait lui causer quelques problèmes à l’école.

Lanusse. Difficile d’imaginer porter un nom pareil. On ne tarderait pas à découvrir la vérité, mais pour l’heure, la confusion régnait : était-ce Lanusse ou Lanussé ?

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4 paragraphes qui m’étaient familiers

L’affaire a été résolue après que j’ai lu l’histoire sobrement écrite par le Dr Lanussé, qui contenait quatre paragraphes qui m’étaient familiers. Il racontait s’être trouvé enfermé dans une cave avec des soldats allemands au-dessus de sa tête. Combien de fois une chose pareille avait-elle pu arriver ? Déjà que j’avais du mal à croire qu’on y ait survécu une fois pour le raconter…

Ces quatre paragraphes ont lentement révélé leur sens à mes yeux, avec l’aide de Google Translate. Arrivé à la fin, je n’avais plus aucun doute. J’ai dit à Nathalie qu’une portion du document qu’elle m’avait envoyé était pratiquement identique à ce que mes parents m’avaient raconté :

Des soldats emprisonns au Stalag 325 de Rawa-Ruska
Des soldats emprisonnés au Stalag 325 de Rawa-Ruska - Ulyces
« En octobre ou novembre 1944, le gouvernement de l’amiral Horthy fut renversé et remplacé par un autre, le Parti des Croix fléchées (une sorte de milice), qui commença à pourchasser tous les éléments de la population hongroise qui étaient anti-Allemands, en particulier la population juive et les prisonniers de guerre. Ici, permettez-moi de remercier une fois de plus les Hongrois, dont la majorité se sont rangés au côté des Alliés et nous sont venus en aide, à nous autres hors-la-loi, comme ils ont pu, alors que nous vivions dans la clandestinité pour échapper aux nazis. Les Allemands étaient plus absorbés par la bataille que par notre situation et ils n’insistèrent pas pour vérifier notre statut. Dans la cave, je soignais les blessés de nationalités diverses. Je n’étais pas habitué à ce genre d’intervention, mais je me suis préparé à accoucher une femme enceinte. Mais nous avons pu l’évacuer à temps vers un hôpital de Budapest, ce qui m’a privé du plaisir d’un accouchement sur la ligne de front. La bataille a duré environ quinze jours, puis les troupes allemandes se sont retirées et ont laissé la place aux soldats russes. Quand les Russes sont arrivés, j’ai quitté la cave seul en portant un drapeau blanc. Ce fut un autre moment difficile, mais qui se termina bien en dépit de la mitraillette russe pointée sur ma gorge… Pas très agréable mais logique, étant donné que les Allemands tiraient sur eux depuis notre villa. »

Sûr à 99,9 % que c’était lui

J’étais exalté par ce que je venais de lire. J’ai envoyé un e-mail à Nathalie : « Je suis sûr à 99,9 % que le premier Lanussé (celui avec un accent) est l’homme qui s’est caché avec mes parents dans la cave de la villa où les Allemands tiraient sur les Russes, et que les Russes ont repris lorsqu’ils ont bouté les Allemands hors de la ville. »

La question était de savoir quoi faire ensuite.

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Une fois de plus, j’ai suggéré de contacter le ministère de la Défense. Mais Nathalie a répondu qu’elle pensait avoir une meilleure solution. Si le docteur avait eu des enfants, il était possible que l’un d’eux soit aussi devenu médecin, cela arrive souvent.

J’étais quasiment certain que le docteur venait de Bordeaux. C’était une des choses dont mes parents semblaient sûrs. Ils avaient essayé de le retrouver lorsqu’ils étaient de passage dans la ville, en regardant dans l’annuaire.

Puis, j’ai attendu

Nathalie a trouvé les adresses postales de quatre médecins du même nom – avec et sans accent – dans la région de Bordeaux, et un cinquième qui n’avait qu’une adresse e-mail. Elle a suggéré que j’adresse une lettre personnelle à chacun d’eux où j’expliquerais mes recherches.

Des soldats russes combattent les fascistes hongrois
Des soldats russes combattent les fascistes hongrois - Ulyces

« C’est une approche pragmatique qui pourrait accélérer l’enquête », m’a-t-elle dit. C’est donc ce que j’ai fait, dans un français hésitant, aidé par Nathalie – pas pour donner l’illusion d’un français courant, mais pour le rendre compréhensible.

J’ai cité l’article écrit par le Dr Lanussé et demandé leur aide. J’ai glissé les lettres dans des enveloppes blanches et les ai postées quelques temps avant Noël.

Puis j’ai attendu.

?'gt;'gt; Il vous reste 40 % de l’histoire à lire ici.

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