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Interview

Delphine Ernotte: «A France Télé, les audiences ne sont pas le sujet»

La présidente Delphine Ernotte revient sur l’éviction du directeur de France 2 et annonce vouloir faire du groupe le champion européen de la fiction.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 7 octobre 2016 à 20h21

Rude semaine pour France Télévisions. Avec seulement 12,5 % de part d'audience en septembre, en recul de 1,9 point sur un an, France 2 a connu le pire résultat de son histoire. Deux jours plus tard, son directeur, Vincent Meslet, était congédié par Delphine Ernotte. En exclusivité pour Libération, la présidente du groupe justifie cette décision. Elle assure que «les grilles de programme ne changeront pas».

Pourquoi avez-vous décidé de démettre Vincent Meslet de ses fonctions ?

Il y a eu un phénomène d’avalanche cette semaine, avec la publication lundi de la mauvaise audience de France 2 au mois de septembre puis le départ de Vincent mercredi. Mais les deux choses n’ont rien à voir. Je le redis : l’audience ne gouvernera jamais France Télévisions. Vincent a de très grandes qualités professionnelles et humaines et je le remercie pour tout ce qu’il a accompli pour la chaîne. Mais je suis cheffe d’entreprise. Il y a une énorme transformation à faire à France Télévisions. Les jeunes publics ne regardent plus la télévision de la même façon que moi. Il faut marier la culture traditionnelle de la télévision et la culture numérique. C’est un chantier important, qui nécessite une équipe capable de travailler ensemble.

Vous avez évoqué une «divergence stratégique» entre vous et lui. Pouvez-vous préciser ?

Ce n’est pas tant la finalité vers laquelle on veut aller qui nous sépare que la manière d’y arriver et la façon dont nous travaillons ensemble. J’ai une vision collective du travail, je veux que le comité exécutif partage ses décisions, qu’il discute et s’engage.

L’audience de France 2, tirée à la baisse par les nouvelles émissions de l’après-midi, appelle-t-elle des changements dans les programmes ?

Ce n’est pas facile pour les équipes, qui ont beaucoup travaillé sur ces projets. Je veux qu’elles poursuivent avec cet état d’esprit positif et que nous tracions notre route. La grille des programmes ne change pas. Les nouvelles émissions mettent toujours du temps à s’installer. Mais le service public peut se permettre le luxe de prendre le temps. Vincent avait dit que l’on ferait un bilan au mois de novembre. Nous prendrons le temps qu’il faudra…

Cette rentrée difficile pose la question de la place de France 2. La chaîne doit-elle se diriger vers une programmation très pointue, à l’image de la nouvelle émission culturelle Stupéfiant !, ou vers une programmation plus divertissante et grand public, symbolisée par le jeu de Nagui ?

Le positionnement de France 2, c’est justement la réconciliation de ces deux exigences : elle doit être une grande chaîne culturelle pour le plus grand nombre et pour tous les publics dans leur diversité. Je sais que cela sonne comme un oxymore. Ce n’est pas simple mais c’est la vocation du service public.

Cela ressemble surtout à une injonction contradictoire…

Non, c’est une belle utopie, comme l’était le théâtre populaire de Jean Vilar, auquel je fais souvent référence. Je suis très satisfaite des audiences de Stupéfiant ! par exemple : 600 000 téléspectateurs devant cette émission culturelle de deuxième partie de soirée, c’est excellent. Nous assumons. Je l’ai dit au producteur, Laurent Bon : les audiences ne sont pas notre sujet. Il nous faut aller encore plus loin, creuser notre mission de service public.

Vous avez nommé un nouveau numéro 2, Xavier Couture. Pourquoi lui ?

Il réunit les deux aspects fondamentaux de notre transformation à assurer. Par son expérience à TF1 et Canal +, dont il a connu les plus belles heures, c’est un homme de l’audiovisuel, un grand monsieur de la télévision. Mais il a aussi pu mesurer l’impact de la révolution numérique à Orange. Par ailleurs, il connaît très bien Michel Field et Caroline Got. C’est important d’avoir une équipe soudée. Je crois que c’est le bon homme au bon endroit.

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Quelle est sa feuille de route ?

Le sujet qui me préoccupe le plus, et qui constitue sa première mission, est d’élaborer un plan fiction très ambitieux pour France Télévisions. L’Etat, notre actionnaire, a augmenté notre budget pour que nous renforcions notre investissement dans la création. Je veux que demain, la fiction de France Télévisions soit reconnue comme la meilleure d’Europe.

Xavier Couture remplace Caroline Got, qui remplace Vincent Meslet… L’an dernier, déjà, Michel Field avait remplacé le directeur de l’information en place… Vous vous êtes trompée dans le choix des personnes ?

Je ne pense pas. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Vincent a beaucoup apporté. C’est ma responsabilité de cheffe d’entreprise de procéder à des ajustements. Les changements dans le secteur de la télévision sont très forts, violents et massifs. C’est une industrie qui connaît actuellement la même révolution que l’industrie de la musique au moment où le MP3 est arrivé. Mon rôle est de constituer une équipe qui gagne.

Couture, Got, Field, Dagognet, Le Lay… Vous vous entourez de dirigeants formés à TF1. Faut-il en conclure que France Télévisions est trop éloignée des réalités économiques et du public à votre goût ?

Pas du tout. Ce n’est pas l’audience qui gouverne France Télévisions. Je peux vous citer dans mon équipe des gens qui viennent de la maison, d’Arte et même de Google. C’est beaucoup plus œcuménique que vous voulez bien le présenter.

Le départ de Vincent Meslet questionne le maintien de Michel Field, malgré une motion de défiance votée contre lui. Pourquoi garder votre directeur de l’information ?

Il y a dans votre question le message subliminal selon lequel le départ de Vincent serait une sanction. Non, il s’agit d’une divergence de vue. Parfois, il vaut mieux se séparer que de continuer à travailler ensemble. Quant à Michel Field, je vous fais remarquer que l’information se porte très bien dans notre groupe. Les journaux marchent, la chaîne d’information en continu a été lancée en un an et notre soirée du jeudi sur France 2, consacrée à l’information, a très bien démarré. Nous devons ces très belles réalisations aux équipes de France Télévisions et à Michel Field.

Etes-vous satisfaite des débuts de la chaîne d’information en continu, dont vous ne mesurez pas publiquement les audiences ?

Oui, cela fonctionne très bien. Je peux vous donner un chiffre : depuis le 1er septembre, 18,7 millions de téléspectateurs l'ont regardée. Je ne vois pas d'autre exemple de projet sur lequel le service public s'est ainsi mobilisé sur un objectif commun, et en un temps record. Je n'ai entendu personne dire que le rendu de la chaîne ne paraissait pas professionnel. Evidemment, nous sommes en marche, il y a beaucoup de choses que nous devons faire progresser : le bandeau déroulant en bas de l'écran n'est pas assez lisible, certains basculements entre la télé et la radio manquent de fluidité et nous ne sommes pas encore présents sur le canal 27 dans toutes les box. Mais nous avons maintenant une offre complète d'information du service public. Le pari est réussi.

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