Photo prise le 29 juin 2015 à Monkey Island, "L'île aux singes", refuge désormais menacé d'anciens chimpanzés de laboratoire au Liberia

La "théorie de l'esprit" s'appliquerait aussi aux grands singes. Photo d'illustration montrant "L'île aux singes", au Liberia le 29 juin 2015.

afp.com/ZOOM DOSSO

Les bonobos, les chimpanzés et les orangs-outans seraient-ils capables de "lire dans les pensées" des autres primates? Il semblerait que oui, si l'on en croit les travaux d'une équipe internationale de psychologues intitulés "Les grands singes anticipent comment les autres individus vont agir en fonction de leurs fausses croyances" et publiés dans la prestigieuse revue Science.

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Ici, pas question de télépathie ou de science-fiction mais de "théorie de l'esprit". Une théorie issue des sciences cognitives -que l'on pensait exclusive à l'homme- qui décrit l'ensemble des processus permettant de déduire, grâce à l'observation, les croyances et espérances d'autres individus.

Le test des "fausses croyances"

De précédentes études sur nos plus proches parents avait déjà prouvé que les grands singes maîtrisaient plusieurs aspects de cette "théorie de l'esprit": la capacité d'identifier les buts et les intentions d'autres individus d'après leurs actions ou celle de savoir ce que quelqu'un peut ou ne peut pas voir. Mais jusqu'ici, les grands singes avaient toujours échoué au "test des fausses croyances", une tâche censée prouver leur aptitude à comprendre que quelqu'un va se tromper par manque d'information.

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L'exemple le plus courant met en scène deux individus et un observateur. L'individu A, en présence de B, prend un objet et le place dans en endroit donné. Puis B quitte les lieux et A change l'objet de place. Si l'observateur est capable de comprendre que, quand B va revenir, il va se tromper et chercher l'objet où il l'a vu la dernière fois et non où il est réellement, alors il réussit le test, car l'observateur s'appuie sur l'état de la croyance et non sur l'état de réalité. Une capacité qui apparaît chez l'homme à partir de 15 mois.

Des vidéos pour enregistrer les mouvements des yeux

"Pour mener nos investigations, le psychologue Fumihiro Kano et moi nous sommes servis d'une technique jamais utilisée sur les singes dans ce cas précis: l'oculométrie [l'enregistrement des mouvements des yeux, NDLR], explique sur The Conversation Christopher Krupenye, un psychologue de l'institut Max Plancket principal auteur de l'étude. Notre équipe internationale a enrôlé plus de 40 primates -14 bonobos, 19 chimpanzés et 7 orangs-outangs- pour leur montrer deux courts-métrages."

singe théorie esprit lire pensées

Les chercheurs, qui n'ont pas voulu utiliser de "techniques invasives" se sont servis de jus pour attirer les singes devant l'écran.

© / MPI-EVA

Dans le premier, un humain armé d'un bâton poursuit "King Kong" -un acteur déguisé en singe- qui se réfugie dans l'une des deux bottes de foin à disposition. Puis King Kong change de cachette d'abord sous le regard de l'homme, puis quand ce dernier ne le voit pas [cf. vidéo ci-après, les points rouges représentent le regard du singe observateur].

Dans le second, King Kong cache une pierre dans une boite sous les yeux d'un homme, puis la déplace à plusieurs reprises sous le regard -ou non- de l'homme, qui tente dans tous les cas de la récupérer [cf. vidéo ci-après].

Dans les deux tests, "la grande question était de savoir si les singes allaient deviner où l'homme allait chercher, souligne Christopher Krupenye. Allaient-ils anticiper le fait que l'acteur se trompe?". La réponse montre que les grands singes ont réussi le test de la "fausse croyance".

Des cousins toujours plus semblables

"Les singes, tout comme les hommes, anticipent du regard ce qu'ils s'attendent à voir. Ce qu'on appelle le 'regard anticipé", indique l'étude. Et grâce à l'oculométrie, les scientifiques ont pu déterminer que les primates ont systématiquement regardé vers l'endroit où l'acteur croyait -à tort- trouver la pierre ou King Kong". Plus important, ils ont prédit la réaction de l'acteur sans même que ce dernier ne donne 'd'indices directionnels' [un regard ou un mouvement, NDLR]. Les singes n'ont donc pas confondu ce que l'homme et ce qu'eux-mêmes savaient.

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Même si cette découverte doit être complétée par de nouvelles études qui détermineront si les grands singes peuvent vraiment comprendre et déterminer le point de vue des autres, elle montre qu'ils sont probablement plus proches de nous que ce que l'on pensait jusqu'à maintenant.

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