Benjamin Brillaud, alias Nota Bene, l'homme qui raconte l'Histoire sur YouTube

Ennuyeuse, l'Histoire ? Pas avec les vidéos de ce jeune Youtubeur en vue, qui réussissent à présenter sous une forme divertissante un contenu sérieux.

Par Sophie Rahal

Publié le 11 octobre 2016 à 07h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h05

Il n'a que 28 ans, et aux derniers Rendez-vous de l'Histoire de Blois (qui ont eu lieu du 6 au 9 octobre), son look tranchait indéniablement avec celui, plus académique, des centaines d’intervenants habitués de la manifestation. Rien dans le jean-tee-shirt-baskets, les cheveux longs attachés et la barbe fournie de Benjamin Brillaud ne laissait supposer qu'il venait débattre avec l'universitaire Catherine Brice de la vulgarisation de l'histoire sur Internet. Sauf que pour un autre public, c’est déjà une star… Durant l'heure d'interview qu'il nous consacre à l’issue de sa conférence, notre interlocuteur est d’abord interpellé par un enseignant d’histoire qui le remercie pour son travail « génial », puis par un jeune étudiant qui lui demande un… selfie. 

Non seulement « Ben » n'a rien d'un historien traditionnel, mais il déroge en outre à beaucoup d'autres codes. Depuis août 2014, il a réalisé plus de 80 vidéos sur sa chaîne YouTube Nota Bene, un canal qui attire à chaque épisode quelque 200 000 à 250 000 visiteurs, et atteint des sommets à 637 000. Ses Nota Bene font un carton chez les 18-35 ans, qu’ils soient collégiens, étudiants, enseignants, allergiques à l’Histoire ou initiés. Car non, YouTube n'est pas qu'un repaire de midinettes qui vous racontent comment réussir un smoky eye, d'apprentis humoristes qui alignent les sketchs (parfois drôles), ou de geeks mordus de jeux vidéos. La plateforme fourmille désormais de jeunes gens très sérieux et décomplexés qui ont pris le parti de vulgariser les sciences, la biologie, la physique quantique, l’intelligence artificielle ou encore l'Histoire.

Ainsi, en une dizaine de minutes, « Ben » revient sur les cinq règnes de tous les records, les erreurs historiques dans Braveheart, la mythologie des Aztèques, l'histoire de la peine de mort ou celle de la médecine. Le tout en évitant d'être « chiant » : « Moi-même, je n'étais pas un fana d'Histoire, confie-t-il. J'avais l'impression qu'il fallait écouter et recracher des faits et des dates sans en comprendre l'intérêt. » Il a obtenu pour tout diplôme un BTS d’audiovisuel, après avoir lâché la fac d’Histoire au bout de six mois. Mais six années à bosser pour des boîtes de production ou des grands groupes privés (« où je devais débiter trois minutes de film construites à partir de discours de chimistes qui duraient des heures et auxquels je ne captais rien », résume-t-il, pragmatique) lui ont permis de se forger une solide technique.

 

Des papes en capes de Superman 

Lorsqu’il perd son emploi, Ben décide de mettre à profit ses compétences pour raconter l'Histoire à sa manière. « Ne serait-ce que pour montrer à un employeur potentiel que je n’étais pas resté sans rien faire. » Résultat, le produit fini est techniquement correct, le timing souvent idéal (le dernier Star Wars sort au ciné ? Hop, voilà un épisode sur l'histoire du film et la mythologie), le propos clair et le langage familier, quitte à ce que les puristes en perdent leur latin.

Un exemple ? « Aujourd'hui, on va parler des papes. Vous savez, ces mecs avec de longues capes de Superman qui se baladent en Papamobile et qu'on laisse une vingtaine de jours au soleil une fois qu'ils ont passé l'âme à gauche » : voilà le genre d'entrée en matière que l'on découvre dans l'épisode sur les cinq papes « déjantés », vu plus de 360 000 fois sur YouTube. Que les « vrais » historiens se rassurent, Brillaud en vient vite à des faits plus sérieux, rappelant que le Pape est d'abord l'évêque de Rome et le chef de l'église catholique romaine ; avant de s'arrêter, anecdotes croustillantes (pardon, « fun facts ») à l’appui, sur les peu orthodoxes Etienne VI, Serge III, Jean XII, Benoit IX et Alexandre VI.

A ceux qui s’inquiéteraient d’une dérive simplificatrice de l’enseignement de l’Histoire, Benjamin Brillaud avance ses arguments. « Je ne suis pas là pour remplacer les cours que dispensent les profs, mais ces vidéos peuvent être prises comme une béquille. C’est un complément à un cours plus complet, et d’ailleurs, certains profs, souvent âgés de moins de 40 ans, les donnent en devoirs à leurs élèves et les débriefent en cours le lendemain. » 

A son interlocutrice, historienne de 59 ans, qui assume, non sans humour, qu’elle fait « de l’Histoire chiante avec des dates » dans sa fac de Créteil et qui souligne le « fond parfois léger » des contenus publiés, il rétorque que c’est son appréhension de la matière qui change tout. « Je travaille avec l'œil d'un novice, et je formule les questions que poserait quelqu'un qui ne comprend rien au sujet. Parfois, ça fait du bien reprendre le B.A.BA des choses ! Et surtout, c'est plus efficace de partir de la petite histoire avant de contextualiser les faits pour mieux les comprendre. »

Aujourd’hui, aucun procès en illégitimité ne semble pouvoir atteindre ces jeunes francs-tireurs d’Internet, dont la crédibilité progresse au fil des clics. On dissèque leurs pratiques dans des conférences, on se les arrache pour les publier (Brillaud a été courtisé par cinq éditeurs avant que Robert Laffont ne sorte ses Pires batailles de l’Histoire ; l’ex-prof de biologie Léo Grasset, aka DirtyBiology, David Louapre et sa Science étonnante ou encore Bruce Benamran, créateur de la chaîne E-penser et licencié en mathématiques, ont aussi eu droit à leurs ouvrages).

On leur décerne en outre des récompenses : le 15e prix Diderot, qui distingue les meilleures initiatives pour le partage des savoirs, a été remis fin septembre à La Tronche en Biais, pro de la zététique, autrement dit l’art du doute... Comble de cette reconnaissance légitimante, le musée du Louvre a fait appel aux talents de « Ben » et de deux autres réalisateurs pour produire des vidéos dans ses couloirs… « Beaucoup de gens ont compris qu’il était possible de travailler sérieusement et de toucher un public nouveau », analyse Benjamin Brillaud, qui se félicite d'avoir gagné en crédibilité grâce à ce projet avec le Louvre.

Et aussi de profiter de quelques retombées financières. Parce que faire le buzz, c’est bien, mais ça ne nourrit pas une compagne (elle aussi Youtubeuse) et deux enfants en bas âge. La pub ? « C’est peu : il faut compter entre 600 euros et 1 500 euros pour un million de vidéos vues, explique Ben. Là-dessus, Google retient une large part, puis les networks auxquels nous sommes affiliés [un outil qui permet d’être protégé en cas de recours à des images protégées par le droit d’auteur, par exemple, ndlr] prennent entre 10 et 40 % du chiffre d’affaires », explique Ben. En bons débrouillards, beaucoup de Youtubeurs font donc appel à des sites de financement participatif, dont Tipeee, qui fonctionne sur le principe du pourboire : j’aime, je donne, à une fréquence déterminée.

Partenariats et clip pour Amnesty

« Ça permet d’établir un certain prévisionnel », concède Brillaud, avant d’ajouter que les épisodes de commande (pour des institutions culturelles, des marques) ou les partenariats avec des offices de tourisme et des musées sont d’autres sources de revenus. Sans risque d’être « télécommandé » par certains établissements ravis de se faire un peu de pub sur un médium qu’ils maîtrisent peu ? « Je peux me permettre de refuser si ça ne me convient pas », assure-t-il. Restent également, dans une moindre mesure, les produits dérivés, le livre, et des propositions de collaboration extérieure. La voix off du dernier clip d’Amnesty International contre la peine de mort, dévoilé ce lundi 10 octobre, c’est lui…

De toute manière, l’internaute n’est pas longtemps dupe. Et en cas d’arnaque, c’est le bad buzz assuré... « Il m'est déjà arrivé de rajouter une annotation dans une vidéo suite à une imprécision qu'on m'avait signalée, admet l'auteur des NotaBene. Mais personne n'a jamais trouvé des craques. »

D'où vient le contenu de ses vidéos ? Sans grande surprise, Benjamin Brillaud manipule avant tout les outils de notre époque. « Google est un instrument formidable, mais qui nécessite de trier le bon du mauvais, explique-t-il. Idem avec Wikipedia : c’est une base formidable qu’il faut apprendre à utiliser, ça ne peut bien sûr pas suffire mais je considère que c’est un bon moyen de défricher un sujet. » Place, ensuite, à des sites comme Herodote, des ouvrages accessibles sur Internet via Persee ou Gallica, des moteurs de recherche scientifique (Google Scholar), et des livres que les éditeurs lui adressent ou que ses amis lui offrent.

A force de conférences, de rencontres et échanges d’e-mails, son carnet d’adresses commence aussi à se remplir de coordonnées d’historiens ou d’universitaires souvent disposés à le relire ou à l’orienter. « Pour un épisode sur Le Dernier Samouraï, j’ai ainsi fait appel à Julien Peltier, qui a relu le script en y apportant des précisions. Pour un autre sur Braveheart, c’est un copain docteur en histoire de l'Ecosse ayant travaillé au musée de Culloden qui m’a aiguillé, notamment sur la bataille des Jacobites. » 

Vous avez dit pas sérieux, l’Histoire sur Internet ? « Reste qu’il faut enseigner aux jeunes à se servir de l’outil numérique et surtout, à développer leur esprit critique. Il faut qu’ils apprennent à se poser les bonnes questions, quitte parfois à les piéger en leur montrant de fausses vidéos ! », assure-t-il. A la fin de son entretien avec Catherine Brice, devant une salle de jeunes gens conquis, la rédactrice en chef de la très sérieuse revue Histoire tente une approche. Elle lui tend le dernier exemplaire : « Vous connaissez ? »

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