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Trois mois après l’attentat, Nice peine à se relever

La cité de la Côte d’Azur panse encore ses plaies et connaît un regain de tensions communautaires.

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Publié le 14 octobre 2016 à 19h19, modifié le 15 octobre 2016 à 15h38

Temps de Lecture 6 min.

A Nice, dans l’enceinte du jardin Albert-Ier, qui donne sur la promenade des Anglais, un couple d’Espagnols s’applique au bon cadrage de sa photo – devenue un incontournable des touristes –, celle du mausolée spontané en hommage aux victimes de l’attentat du 14 juillet. Sourire pincé aux lèvres, la jeune femme pose devant l’amoncellement de peluches jaunies et de messages à l’encre délavée déposés autour du pavillon de fer forgé. « Les Niçois sont beaucoup venus les premières semaines, maintenant ce sont surtout les touristes », constate Moktar Diallo, agent de sécurité de 26 ans, qui voit habituellement défiler un flux constant d’une cinquantaine de personnes.

En cette veille d’hommage national aux victimes, des pluies diluviennes se sont abattues sur la ville, provoquant un report de la cérémonie au lendemain, samedi 15 octobre. Trois mois plus tôt, le ciel azuréen jetait une lumière crue sur les mille sept cents mètres de promenade jonchés de corps recouverts d’un drap blanc. Depuis, Nice a compté ses morts, quatre-vingt-six, et plus de quatre cents blessés. Depuis, le bleu du ciel s’est assombri, et avec lui, le moral des Niçois.

« Nice reste incontestablement marquée par ce drame. Dans ce lieu incarnant les vacances, les gens n’ont pas imaginé que cela pouvait arriver », résume Catherine Chavepeyre, conseillère municipale déléguée à la prévention de la délinquance et à l’aide aux victimes, qui ajoute qu’à Nice, où vivent trois cent quarante mille habitants, « tout le monde connaissait quelqu’un sur la promenade ce soir-là ».

Une troisième vague de victimes

Victimes directes du camion du terroriste islamiste, témoins du massacre de masse, vacanciers pris dans le mouvement de panique ou touchés à travers des proches… Au total, près de trente mille personnes étaient présentes sur la promenade des Anglais pour assister au feu d’artifice du 14-Juillet. Au cours des dix jours qui suivirent l’attentat, la Maison pour l’accueil des victimes (MAV), composée de psychologues, juristes, policiers municipaux, a vu arriver quinze cents personnes, cherchant soutien ou conseils.

« Maintenant, on assiste à une troisième vague de personnes présentes sur la Prom’, mais qui n’osaient pas franchir le pas de demander de l’aide, parce qu’elles n’étaient pas blessées dans leur chair », rapporte Catherine Chavepeyre, élue sur la liste de Christian Estrosi (LR) en 2014. « Parfois, les images surviennent plus tard », explique Serge Ricaud, psychologue à la MAV. A ces reviviscences s’ajoutent d’autres symptômes liés au choc traumatique, comme les conduites d’évitement, les troubles du sommeil et de l’attention, l’hypervigilance ou l’hyperactivité.

Lire notre reportage au Centre hospitalier Lenval de Nice : « Les enfants doivent retrouver leur insouciance »

Vincent Delhomel-Desmarest, employé dans un bar-restaurant qui donne sur la promenade des Anglais, et secrétaire général de l’association de victimes Promenade des Anges, fondée au début d’août, préfère ne plus parler de ses troubles, multiples, qu’on lui a diagnostiqués après qu’il eut assisté à la trajectoire meurtrière du « camion fou ». « J’essaie de vivre au jour le jour, et c’est déjà beaucoup. Il faudra du temps pour se reconstruire », lâche cet ancien du Club Med, la voix éteinte, le visage blême.

Une femme à l’annonce de la mort de son petit-fils, devant l’hôpital Lenval, le 15 juillet, au lendemain de l’attentat sur la promenade des Anglais, à Nice.

La Prom’désertée

Pour certaines familles endeuillées par la mort d’un proche, rester à Nice s’est révélé être un cauchemar. La municipalité a enregistré plusieurs demandes de déménagement, comme celle d’Ahmed Charrihi, qui a perdu sa femme, Fatima, première victime de l’attentat. « Mon père ne peut plus rester dans cette maison, qui était le symbole de la joie et qui est devenue le témoin de son absence », confie Ali Charrihi, 37 ans, qui a incité son père à faire une demande pour qu’il déménage près de chez lui.

Au-delà des victimes directes de l’attentat, c’est toute une ville qui reste hagarde. « Nice se relève, mais doucement », constate Catherine Chavepeyre. « Chez certains, il y a une nette amélioration des symptômes phobiques », rassure le psychologue Serge Ricaud.

Toutes les personnes que nous avons interrogées, présentes ou non sur les lieux de l’attentat, confient toutefois leur réticence à passer sur la promenade des Anglais. « J’ai mis deux mois et je continue de l’éviter », confie Valérie David-Gooris, 45 ans, dont le commerce est pourtant situé à moins de cent mètres de la Prom’. « Leur mausolée me déprime. Il résume le climat de la ville : pesant », commente Marc Lovreglio, directeur de l’école Montessori de Nice.

Ce climat pesant s’accompagne d’un renforcement des moyens de sécurité. La municipalité a adopté, mercredi 12 octobre, une série de mesures pour sécuriser les écoles, déjà surveillées par des agents de sécurité privée, qui s’ajoutent eux-mêmes aux policiers effectuant des rondes. En plus des caméras de surveillance installées dans la centaine d’écoles niçoises, un cabinet d’audit israélien a notamment préconisé de rehausser les portails des établissements.

Libération de la parole

Alors que Nice semble en voie de « bunkerisation », les commerçants déplorent une baisse significative des touristes, moins 20 % dans les hôtels, moins 30 % pour les chauffeurs de taxi. « Je vous préviens, je ne vais pas à l’Ariane. Je pense que le mieux, c’est chacun chez soi », lâche un taxi, quand on lui demande de nous conduire dans ce quartier populaire aux confins de Nice. Une remarque qui vient rappeler que derrière son apparente légèreté, Nice est depuis des dizaines d’années le laboratoire de la droite dure et le fief historique du Front national.

Hanane Charrihi, 26 ans, se souvient encore de son arrivée à Nice, le 15 juillet. Endeuillées par la mort de sa mère, elle et ses sœurs s’étaient fait insulter en se rendant sur la promenade des Anglais. Depuis, Hanane Charrihi ne souhaite pas revenir à Nice : « C’est de pire en pire. »

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« Agressivité », « peur », « crispation », « méfiance », sont des mots qui reviennent souvent quand on demande aux Niçois de confession musulmane de décrire ce qu’ils ont vécu ces derniers mois. « Ceux qui faisaient l’amalgame avant pensent que l’attentat leur a donné raison. Ils assument plus ouvertement qu’avant leur discours », déplore Oucine Jamouli, 60 ans, qui tient un restaurant marocain dans la rue de France, près du centre-ville.

« C’est encore plus difficile pour les femmes voilées, qui essuient en permanence des regards méfiants et réprobateurs », regrette Ali Charrihi, qui sait de quoi il parle avec ses six sœurs, ajoutant que la polémique du burkini n’a pas apaisé le climat déjà explosif.

« Pour nous, c’est la double peine : nous avons peur qu’un nouvel attentat éclate, et on a peur de nous. (…) Depuis l’attentat, l’un des grands changements, c’est que l’on se sent obligé de s’expliquer, de se justifier. »

« Harmoniser les discours »

Comment réagir ? C’est sur ce point que le discours de la communauté musulmane a dû mal à trouver un consensus, partagée entre l’envie de rester discrète, pour ne pas ajouter de la tension aux tensions, et le besoin de s’exprimer, pour remettre les pendules à l’heure.

Boubekeur Bekri, recteur de la mosquée Al-Forqane et vice-président du conseil régional du culte musulman, défend l’avis inverse, estimant que la communauté musulmane a « un rôle à prendre ». « En interne, il y a aussi un besoin d’harmoniser les discours, notamment pour enlever les tares que nous n’avons pas su repérer », dit Bekri Boubekeur, qui ajoute qu’une rencontre entre les imams de Nice a eu lieu à la rentrée et que d’autres doivent suivre.

Une chicha dans le quartier populaire de l'Ariane, à Nice, le 8 septembre.

La Ville de Nice a également engagé une discussion avec le vice-président du conseil régional du culte musulman, qui a rejoint la commission Vivre ensemble, composée d’acteurs de la société civile. « Le message doit désormais être porté haut et fort que la communauté musulmane est une victime comme les autres des attentats, et qu’elle a toute sa place dans la nation », appuie Vincent Delhomel-Desmarest.

Association sulfureuse

Mais force est de constater que le message a dû mal à passer. En réaction à l’attentat du 14 juillet, une autre association est née au début d’octobre, baptisée Association de soutien aux victimes d’actes du terrorisme (Asvat). Derrière un projet en apparence louable – apporter un soutien juridique aux victimes et pointer les éventuels dysfonctionnements des autorités – se tient un discours identitaire qui ne dit pas son nom.

Le profil de sa présidente, lui, est sans équivoque : Maryline Canovas d’Argelier a participé à la création, en 2013, d’un collectif qui s’oppose à la création de lieux de culte musulmans. A Nice, quand le discours identitaire n’est pas pleinement assumé, il prend parfois d’autres chemins, qui s’attaquent à un vivre-ensemble déjà fragile sur cette Riviera.

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