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Présidentielle 2017

Emmanuel Macron : Face au système, "ma volonté de transgression est forte"

Deuxième volet de l'interview d'Emmanuel Macron par Challenges.fr. Il n'a pas fait ses classes d'élu de terrain et n'en a cure. Il refuse les codes d'un système politique dont il dit avoir vu les failles et les maladies. Qui est-il ? Un technocrate nanti ? Un enfant de province, attaché à ses racines ? Un populiste light ? Auto-portrait d'un présidentiable...

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Emmanuel Macron dans le QG du mouvement En marche!, au 14 ème étage de la Tour Montparnasse

Emmanuel Macron estime ne pas appartenir au système politique, dont il veut transgresser les codes. 

Soazig de la Moissonnière/MPP/Bureau 233

Deuxième volet de l'interview d'Emmanuel Macron, dans lequel il revendique des racines provinciales, réfute son appartenance  au système politique, et veut rompre avec "le baratin de la vieille politique". 

Retrouvez la première partie de l'interview ici :

>> Emmanuel Macron:"Je ne crois pas au président normal, cela déstabilise les Français"

La troisième partie de l'interview :

>> Gare à la "République qui devient une machine à fabriquer du communautarisme"

Challenges.fr: Il faut un  homme de consensus, dites-vous. Mais vous suscitez les dissensus. Résumons : Macron est-il de gauche ou de droite ? Macron l’antisystème n’est-il pas le produit d’un système ? Macron n’a-t-il pas trahi celui qui l’a fait ministre ? Macron est-il un populiste light ? Bref, Macron est-il l’homme politique adéquat pour les années qui viennent ?

Je ne suis pas membre du Parti socialiste, mais je suis de gauche. Le Parti socialiste n'a pas le monopole de la gauche. Etre de gauche, c'est une histoire, un imaginaire politique, des convictions, des indignations, un regard. Je suis un produit du système méritocratique français, pas un produit du système politique français. Je ne suis dans le monde politique que depuis deux ans et je n'en ai jamais accepté les moeurs. Je suis issu d'une famille de la moyenne bourgeoisie de province, mes deux parents étaient médecins à l’hôpital, et dans ma famille personne n'était jamais "monté à Paris", personne n'avait fait l'ENA. Le système politique, avec ses codes et ses usages, je ne cherche pas à le respecter parce que je ne lui appartiens pas. Ça ne me pose donc aucun problème de transgresser ses codes. Je dirais même ceci : ma volonté de transgression est d’autant plus forte que j’ai vu le système de l’intérieur. J’en connais les mérites, mais aussi les failles et les maladies.

Désormais une poignée de détracteurs m'accusent d'être un "populiste light"... Ils croient ainsi m’insulter car pour eux, vouloir se rapprocher du peuple est la dernière offense. Ils font une erreur d’incompréhension sémantique : un véritable populiste flatte le peuple dans ses bas instincts, il lui ment, le pousse aux extrêmes. Pour ma part, j'essaie de m'adresser à l'intelligence des citoyens, et je le fais sans m’encombrer des barrières que le système place entre les politiques et le peuple. Avec notre diagnostic, nous sommes allés directement à la rencontre des Français : je conçois que cela perturbe ceux qui s’arrogent le monopole de la connaissance du terrain. Je suis considéré comme un gêneur parce que j'émets une hypothèse ontologique radicalement en opposition avec la plupart des responsables  politiques: je pense que les électeurs ne sont pas... idiots, qu'ils ne croient plus aux histoires qu'on leur raconte, que le baratin de la vieille politique marche de moins en moins! Si j'étais populiste, je mentirais, je promettrais des choses intenables et inconséquentes. Si j’étais populiste, j’affirmerais qu’enfermer tous les fichés « S » garantira la sécurité des Français, quand tous les gens sérieux savent que c’est faux. Ecouter le peuple, c’est entendre ce qu’il veut, ce à quoi il est prêt. Cette connexion est l’essence de la démocratie. Or cette dernière a été prise en otage.

Et l’accusation selon laquelle vous auriez manqué à la loyauté ?

Je n'ai pas fait ma carrière dans la politique. J'ai envers François Hollande du respect institutionnel et de l'amitié personnelle. Je l'ai accompagné par choix. Il m'a proposé des fonctions éminentes à ses côtés pour lesquelles j’ai quitté mon emploi dans le secteur privé. J'ai assumé ce choix en conscience et responsabilité, parce que je croyais en mes idées, en l'action que nous pourrions conduire. Comme conseiller, j'ai eu des désaccords avec le président que j'ai choisi de ne pas commenter car c’est la règle inhérente à cette fonction et la déontologie que je me suis fixée. Après dix-huit mois, j'ai pris la décision de quitter l'Elysée. J’avais alors comme projet non de retourner dans la finance mais d’enseigner à l’Université et de créer une entreprise.

Quand le président m'a ensuite proposé d'entrer au gouvernement, je lui ai fait part de deux conditions essentielles à mes yeux : pouvoir conduire les réformes qui me semblaient utiles  et ne pas dissimuler mes opinions sur les sujets de fond. Je m’en suis tenu à cette ligne. Sur les réformes, j’ai constaté qu’on ne me permettait pas de les mener, ni sur le fond ni sur la méthode. Sur les opinions, j’ai bien reçu le message du Président le 14 juillet dernier, indiquant qu’il me fallait choisir entre ma liberté de parole et mon appartenance au gouvernement. Je suis donc parti, en pleine cohérence avec mes convictions, et avec les termes de l’accord initial. 

Un ministre n'est pas un obligé, sinon nous serions asservis à un système vassalique, ce qui éloignerait beaucoup d'une démocratie moderne. J'ose imaginer que François Hollande nomme ses ministres en raison de leurs compétences. Nous avons eu des discussions et des oppositions. J'ai exprimé des divergences au sujet de certains choix de politique économique, ainsi que sur des dossiers post-attentats. En effet, j’étais opposé à la déchéance de nationalité et j’ai dès le mois de novembre 2015 exprimé la conviction que le terrorisme n’était pas détachable de la réalité sociale et morale de notre pays. En ce sens, c’est bien entendu une question de sécurité mais ce n’est pas seulement cela. Ma décision de partir repose à la fois sur une expérience politique et sur mon analyse de la situation idéologique dans laquelle nous sommes plongés. J'accepterais les reproches de déloyauté ou de trahison si j’avais dérogé aux engagements pris au départ ou si j’avais, comme d’autres en leur temps, rejoint un candidat apparemment mieux placé pour l’emporter. Je me suis contenté de reprendre ma liberté. Il est intéressant de constater que dans la classe politique telle qu’elle est aujourd’hui, être libre ce soit trahir. Cela en dit long.

Pourquoi ne vous présenteriez-vous pas à la primaire socialiste ?

On me le suggère parfois. Cela pourrait apparaître, aux yeux de certains, comme une manœuvre tactique intelligente. Mais en l'espèce, la clarté vaut plus que tout : il ne s'agira pas d'une une vraie primaire de la gauche  et elle ne permettra pas le rassemblement des progressistes. Cette primaire reproduira des compromis idéologiques par définition  mortifères : une gauche prête à redéfinir ce que peut être un progrès collectif accouplée à une gauche du repli et de la démondialisation. Triste spectacle...

 

Homme de gauche revendiqué, avez-vous commis une erreur en opposant les salariés aux entrepreneurs, au bénéfice de ces derniers ?

Parfois, j'en conviens, j'ai commis des maladresses d'expression. J'ai par exemple  voulu rappeler que le clivage entre les entrepreneurs et les salariés d'entreprises ne se résume pas à la lecture simplette d'un marxisme mal revisité. Oui, la situation d'un entrepreneur avec deux salariés est parfois plus difficile que celle d'un salarié d’une grande entreprise, je le confirme. Si un petit chef d'entreprise perd ses marchés il n’a pour ainsi dire aucune protection, l'Etat ne se portera pas à son secours aux frais du contribuable. C'est ainsi, c'est la réalité de notre pays. Je n'en ai pas moins eu tort d'opposer les uns aux autres. 

Adhérerez-vous à l’idéal de solidarité qui, en principe, doit animer la gauche ?

Je ne dis pas que la vie est facile pour tout le monde mais le fait est que la France n'a pas vécu de périodes d'austérité forte ni d'épisodes thatchériens. Notre solidarisme a joué à plein, avec pertinence et force. Mais ce qu'on appelle la solidarité ne se vit, en France, qu'avec l'appui de l'Etat providence, celui des Trente Glorieuses. Cette démarche convenait fort bien à des partenaires sociaux corporatistes. Le modèle social français dispose de solides bases solidaristes, mais il n'en est pas moins installé dans une approche corporatiste. En réalité, Il est assez injuste. Il offre des avantages qui ne sont pas les mêmes pour tous les citoyens. En outre, il existe une autre et véritable solidarité, une justice sociale qui se construit par la mobilité individuelle, par la capacité à recréer la possibilité pour les uns et les autres d'avoir des accès nouveaux. C'est ce que j'ai essayé de mettre en place : les autocars, les permis de conduire, ces objets du quotidien que j'évoquais. Nous restons confinés dans une approche étatiste de la solidarité, une approche insuffisamment mobile débouchant sur une société de statuts.

Vous remettez donc en cause et sans détour le fameux « modèle social français », celui auquel les électeurs de droite comme de gauche semblent si attachés…

L'héritage du Conseil National de la Résistance est admirable, mais il est conçu pour une économie de rattrapage dans un capitalisme industriel fait de cycles longs où l'on passe sa vie dans un même secteur, dans une même entreprise. A l'heure de l'économie de la connaissance et de l'innovation, nous sommes amenés dans le cours d’une vie à changer d'entreprise, de statuts, de secteurs. Cet édifice d'après la Libération est-il encore en mesure de répondre à cette transformation? La rigidité de notre système est devenu contreproductif dans les années 80-90 avec la grande crise industrielle liée à cette première mondialisation qui a touché le textile et la sidérurgie. Nous allons revivre ce traumatisme, mais de manière beaucoup plus violente dans le secteur des services avec la numérisation. 

C’est-à-dire ?

Les services financiers, les services aux personnes, qui ont en quelque sorte "accueilli"  les classes moyennes, vont vivre une transformation dans les dix prochaines années. 50% des emplois de ces secteurs vont subir des transformations radicales. Certains sont appelés à disparaître, d'autres exigeront une requalification. Mais des centaines de milliers de salariés vont devoir être formés de nouveau pour aller vers d'autres secteurs. Il y aura aussi des aspects positifs puisque cette évolution-révolution devrait permettre de réindustrialiser, à condition de faire preuve d'intelligence, de mettre au point les structures productives adéquates. Aujourd'hui, le système protège davantage les statuts que les mobilités individuelles. Demain, ce ne sera plus possible. L'approche monolithique d'un Etat cherchant à  protéger ses citoyens du changement est devenue obsolète. La solution est que l’Etat protège non les statuts ni les rentes de manière diffuse, mais les individus de manière transparente : c’est vers cela qu’il faut aller. C’est cela que j’appelle la société du choix. Une société où l’Etat garantit un socle, des protections individuelles et où les Français ont la possibilité de choisir leur vie, de s’émanciper.

Vous n’avez jamais été maire, député, conseiller régional, élu départemental. Vous n’avez jamais milité. Vos adversaires ont donc beau jeu de prétendre que vous ne connaissez ni la France ni les Français…

L'argument qui consisterait à prétendre qu’il faut être élu pour connaître la France me paraît faux. L'accès à la vie réelle n'est pas conditionné à l'exercice d'une activité politique ou à la recherche du pouvoir. Je crains même que ce ne soit exactement l'inverse. J'ai une vie familiale, une vie personnelle, indépendamment de mes activités. Je ne suis pas né sous vide dans le milieu parisien, je suis un enfant de la province. Ce n'est pas une critique des élus, je songe notamment aux maires, aux élus locaux, qui sont des rouages essentiels du solidarisme français, du vivre ensemble. Mais je récuse l'idée que, pour prétendre à certaines fonctions dans la République, il faille être ou avoir été conseiller départemental, maire, député, sénateur... Le cursus honorum existait sous la Rome antique, il serait peut-être temps d’arrêter, non ? Ce serait un parcours imposé facilitant la reproduction d'une espèce renfermée sur elle-même. Au terme de ce parcours, le rapport d'égal à égal avec les citoyens a disparu. Pour ma part, j'aime ce pays, j'aime les Français. Il y en a d'autres que les Français ennuient…

On me reproche aussi mon âge et mon parcours. On me caricature en spécimen de la technocratie et de la finance, confiné à quelques cercles déconnectés de la réalité du pays, voire animé par eux ! Ce n’est pas ma vie. Je ne me reconnais pas dans cette caricature. Dès que je le peux, je retourne en province, je retrouve ma famille, des amis, mes livres. Je ne regarde pas la France au prisme déformant d’une ambition personnelle, mais à travers un attachement viscéral. Je suis né avec cela. Les rencontres et les lectures ont approfondi ce lien. Je n’aurais pas choisi l’engagement qui est le mien si je n’avais le sentiment que je ne peux sans bouger assister au malheur français et que je peux, peut-être, contribuer à emmener les Français dans une direction qui leur rendra l’optimisme et une forme de foi en l’avenir.

>> A lire :

1ère partie de l'interview : Emmanuel Macron:"Je ne crois pas au président normal, cela déstabilise les Français"

3e partie de l'interview : Gare à la "République qui devient une machine à fabriquer du communautarisme"

Propos recueillis par Nicolas Domenach, Bruno Roger-Petit, Maurice Szafran, éditorialistes invités de Challenges.fr, et Pierre-Henri de Menthon, directeur adjoint de la rédaction

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