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Le travail "low-cost" s'étend en France

Deux livreurs Deliveroo à Paris. Les nouveaux services de livraison font appel aux auto-entrepreneurs, un statut que Valérie Segond décrit comme "la figure héroïque du travail low-cost".
Deux livreurs Deliveroo à Paris. Les nouveaux services de livraison font appel aux auto-entrepreneurs, un statut que Valérie Segond décrit comme "la figure héroïque du travail low-cost". © Eric Feferberg / AFP
Interview Elisabeth Chavelet , Mis à jour le

Spécialiste du marché du travail, Valérie Segond dresse un tableau de la France qui tranche avec les discours politiques. Pour Paris Match, elle se penche sur les positions des candidats à la primaire de la droite.

«Va-t-on payer pour travailler?» : c’est le titre à peine provocateur du livre très instructif que publie la spécialiste du marché du travail Valérie Segond (Ed. Stock). Elle nous fait découvrir comment dans le privé, comme dans le public, il est devenu fréquent de travailler beaucoup plus que 35 heures ou pour beaucoup moins que le Smic. L’auteure s’étonne de l’ignorance de presque tous les candidats à la primaire de droite sur ce sujet. 

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Paris Match. Qu’avez-vous retenu du premier débat de la primaire à droite sur les propositions des sept candidats concernant le travail?
Valérie Segond. J’ai été frappée par la méconnaissance qu’ont les candidats du marché français du travail. Ils parlent des 35 heures comme d'une spécificité française. Or les Français travaillent en moyenne 39 à 40 heures, comme en Europe. Ils veulent supprimer les 35 heures mais ils auront bien du mal car les entreprises ont tout à gagner de l’actuelle organisation ultra flexible du travail. Ils expliquent que le dialogue social n’existe pas : or 80% des accords sont négociés… Six sur les sept m’ont paru fonctionner par slogans.

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Le ou laquelle vous a paru le plus convaincant?
Curieusement, c’est Jean-Frédéric Poisson qui m’a paru le mieux connaître la réalité du travail . ll a dit carrément : «Les 35 heures ne sont pas le problème» ou encore «les entreprises n’ont pas envie de détricoter des accords durement négociés».

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Pourquoi dites-vous que les 35 heures sont devenues un slogan sans réalité?
D’abord il y a tous ceux qui n’arrivent pas à faire 35 heures parce qu’on ne leur offre pas de temps plein : aujourd’hui 1,6 million de Français subissent ce temps partiel, soit 20% des travailleurs. Et puis, pour les cadres, il faut s’arrêter sur le régime des «forfaits jours». Créé par la loi Aubry de 2000, il concerne aujourd’hui 1,4 million d’actifs et constitue, selon un inspecteur du travail, «une des plus grandes escroqueries sociales qui aient jamais existé». Pourquoi? Car en passant à ce régime, on cesse de compter leur temps de travail. Pour simplifier, avant, aux 39 heures, ils pouvaient atteindre 40 heures, désormais aux 35 heures, ils en travaillent 50. Le forfait jour a fait exploser le temps de travail des cadres, notamment ceux qui travaillent en consultants extérieurs sur un marché du conseil surencombré.

"NKM est la plus avancée dans l’organisation d’un nouveau modèle social" selon Valérie Segond

NKM affirme que pour l’avenir «le fait majeur est le travail indépendant». Vrai ou faux?
J’y consacre même un chapitre entier sous le titre «l’auto- entrepreneur, ou la figure héroïque du travail low-cost». A ses débuts en 2008, ce dispositif fut présenté comme un hymne à la réussite individuelle. En fait, tel qu’il a été conçu, avec une plafond d’activité de 32 900 euros par an, il ne permet pas à l’auto-entrepreneur de s’enrichir. D’autant qu’il lui interdit de déduire ses dépenses. Bref, l’obsession des 600 000 auto-entrepreneurs actuels, soit 20% des 3 millions de travailleurs indépendants, c’est de ne surtout pas grandir, en clair le contraire de la philosophie entrepreneuriale. L‘Insee vient de calculer que pour 54% d’entre eux, c’est la seule source d’activité, soit en moyenne 460 euros par mois! Ce dispositif qui touche le graphisme, la traduction, le spectacle vivant, les agences de com, l’édition ou les agences immobilières est donc devenu un moyen de réduire le coût du travail à des niveaux de pays pauvres, en sortant partiellement les salariés de la protection sociale...

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NKM a donc une vision idéaliste du travail?
NKM est la plus libérale de tous les candidats, mais aussi celle qui se projette le plus dans l’avenir du travail. A ce titre, elle a intégré les dangers de la paupérisation du travail indépendant. Et c'est pourquoi elle propose de compléter son essor inévitable dans l’avenir par la création d’un revenu universel qui assure à chacun un minimum, plus une flat tax, et enfin, du compte à points qui assurera une couverture sociale à ces indépendants. NKM me semble la plus avancée dans l’organisation d’un nouveau modèle social.

Que pensez vous de la proposition de dégressivité des allocations chômage?
Alain Juppé est réaliste en proposant de conditionner cette mesure à la reprise de la croissance et donc de l’emploi. A défaut, on mettrait dans la misère des milliers de gens.

"Va-t-on payer pour travailler?", de Valérie Segond.
"Va-t-on payer pour travailler?", de Valérie Segond. © Stock

Quid de la proposition de Bruno Le Maire de supprimer Pôle Emploi?
Comme si c’était un remède au chômage! Je constate que le candidat du renouveau est le champion des slogans, comme lorsqu’il affirme : «Le social a tué la solidarité. La solidarité doit prendre la place du social.» C‘est du n’importe quoi!

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Non, les Français ne sont pas paresseux

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Et la suppression des contrats aidés?
On en compte environ deux millions actuellement. Pour schématiser, dans le public, ils servent surtout à faire baisser les chiffres du chômage, que ce soit dans les associations, les préfectures ou les bureaux des impôts. Ils sont plus efficaces dans les entreprises où les jeunes sont formés. Bruno Le Maire, qui propose de mettre fin aux contrats aidés, veut d’ailleurs les réintroduire dans le privé avec ses «emplois rebond». Il reste que tous ces contrats partagent la caractéristique d’être low-cost, soit 75% du Smic dans le privé, 33% dans le public. Bref, une main d’œuvre bon marché dans des jobs à faible valeur ajoutée. 

Interview : Pour Eric Heyer, «les emplois aidés ça marche»

On ferme votre livre en se disant que la France est beaucoup plus libérale que nombre de politiques ou d’économistes veulent le laisser croire.
Oui, notre pays est plus moderne et plus flexible qu’on ne le dit. Non, les Français ne sont pas paresseux, non ils ne coûtent pas trop cher. C'est ce discours politique hors de la réalité qui crée le découragement et la défiance. 

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