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    Le ministre Baylet accusé de violences: l'enquêteur de l'époque témoigne

    Exclusif - L'un des gendarmes qui a enquêté sur les violences graves dont était accusé Jean-Michel Baylet a accepté de témoigner auprès de BuzzFeed News. Il contredit la défense du ministre et revient sur le rôle joué par le procureur de l'époque.

    La députée écologiste Isabelle Attard a interpellé Jean-Michel Baylet mardi 11 octobre pour qu'il s'explique sur des anciennes accusations de violences contre son ex-collaboratrice. En mars dernier en effet, nous rapportions que l'actuel ministre de l’Aménagement du territoire avait été accusé par son assistante parlementaire, Bernadette Bergon, de l’avoir frappée et forcée à démissionner en 2002. D’après les informations révélées par BuzzFeed News, le sénateur a passé à l’époque une transaction secrète avec la victime pour éviter toutes suites.

    «Certes vous ne serez jamais condamné, puisque vous avez acheté le silence de votre victime», a notamment déclaré la députée Attard après avoir eu le micro coupé à plusieurs reprises ce 11 octobre. S'appuyant sur les engagements de campagne de François Hollande qui avait «promis un gouvernement exemplaire» et de «lutter contre les violences faites aux femmes», elle souhaitait poser cette question avant d'être coupée:

    «Monsieur le ministre Jean-Michel Baylet, comment osez-vous vous présenter à l’Assemblée nationale, sans être submergé par la honte?»

    Après cette charge, l'actuel ministre s'est défendu au micro de l'hémicycle:

    «On peut tout romancer mais il y a eu une instruction judiciaire dans cette affaire et elle a été classée sans suite, ce qui, vous l'imaginez, prouve que les choses ne se sont pas passées comme vous le racontez, parce que le procureur de la République n’aurait jamais classé sans suite si les choses étaient telles que vous le dites.»

    BuzzFeed News a retrouvé l'un des gendarmes de la section de recherche de Toulouse qui avait été chargé, avec d'autres collègues, d'enquêter sur cette affaire en 2002. Rencontré la semaine dernière, il a accepté de revenir, dans un entretien, sur son travail de l'époque à condition de rester anonyme. Il confirme avoir auditionné la plaignante ainsi que Jean-Michel Baylet, alors sénateur du Tarn-et-Garonne. Il affirme que la défense du ministre, reprise par le porte-parole du gouvernement mercredi à l'issue du conseil des ministres, est fausse.

    Enfin, il donne des précisions sur le rôle du procureur de la République de Montauban qui a donné l'ordre de clore cette enquête rapidement et de classer l'affaire. Alors qu’il pouvait continuer à instruire l’affaire malgré le retrait de la plainte et la transaction. À l'époque, le parquet n'avait pas souhaité ordonner une confrontation entre le sénateur et la victime, comme le veut pourtant l'usage dans des procédures pénales avec violences.


    «Elle avait un visage tuméfié, elle était très marquée. Il y avait des hématomes: c’était bleu, gonflé. Elle avait le visage traumatisé.»

    Que pouvez-vous nous dire sur cette enquête qui date de 2002?

    Les faits se sont passés à Valence d’Agen. Mais le procureur de la République de Montauban a sollicité la section de recherche de la gendarmerie de Toulouse dans laquelle je travaillais. Avec mes collègues, nous avons vu Bernadette Bergon deux fois. Une première fois très certainement le jour où elle a déposé plainte au commissariat et où elle a dû être orientée vers notre service de gendarmerie. Elle avait un visage tuméfié, elle était très marquée. Les pommettes gonflées, les yeux gonflés. Il y avait des hématomes: c’était bleu, gonflé. Elle avait le visage bouffi, traumatisé. Il était facile de constater que c’était des coups qui étaient à l’origine de ces marques.

    Que s'est-il passé après le dépôt de plainte?

    Elle a dû aller voir un médecin légiste (qui correspond à l'unité médico-légale actuelle, ndlr). Elle avait clairement désigné l’auteur des coups qui était selon elle Jean-Michel Baylet. Puis, nous avons procédé à l’audition de cette femme le 15 février 2002. Elle nous a donné des détails sur la genèse des relations qu’elle entretenait avec Jean-Michel Baylet. Lors de cette seconde rencontre, les coups étaient moins apparents, moins visibles, ce qui est logique.

    Avez-vous auditionné Jean-Michel Baylet?

    Oui, il a été convoqué dans notre unité et a été entendu très rapidement, probablement le lendemain ou surlendemain. De mémoire, il niait les faits.


    «Le procureur nous a demandé de ne plus aller au-delà.»

    Que s'est-il passé ensuite?

    La procédure, pour nous, s’est arrêtée là. Sur instruction du procureur de la République, il n’y a pas eu d’autres actes. Jean-Michel Baylet n'a pas été placé en garde à vue, par exemple. Alors que lorsque l'on entend une personne désignée comme pouvant être l'auteur des coups, on en informe le procureur qui à ce moment-là peut décider d'une telle mesure. Là, il nous a demandé de ne plus aller au-delà. La procédure a été clôturée en l’état avec, semble-t-il, la rédaction d'un procès-verbal de synthèse. Nous ne nous sommes pas intéressés à la suite de cette affaire.

    Que signifie le fait que Jean-Michel Baylet n'ait pas été placé en garde à vue?

    Je ne sais pas pourquoi il n'y a pas eu de garde à vue, je ne souhaite pas développer cet aspect-là (il bénéficiait par ailleurs de l'immunité parlementaire étant sénateur, ce qui rend plus difficile une telle décision, ndlr). Mais cela signifie que le procureur ne l'a pas souhaité. Lorsqu'on a ce dossier, on s'aperçoit pourtant que les deux versions s'opposent.


    «Si la question c'est est-ce qu'il s'agissait là d'une procédure normale face à de tels faits, je réponds catégoriquement non.»

    Pourquoi le procureur de l'époque n'a pas souhaité cette garde à vue ou une confrontation?

    Si la question c'est, est-ce qu'il s'agissait là d'une procédure normale face à de tels faits, je réponds catégoriquement non. La divergence des versions nécessitait obligatoirement une mise en présence des protagonistes, c'est-à-dire une confrontation entre Bernadette Bergon et Jean-Michel Baylet. Elle n'a pas eu lieu.

    Après l'intervention de la députée Isabelle Attard, le ministre s'est défendu en disant qu'une «instruction judiciaire» avait eu lieu et que la plainte avait été classée. Cet argument a été repris par le porte-parole du gouvernement. Est-ce exact?

    C'est faux. Cela aurait signifié la saisine d'un juge d'instruction (indépendant, ndlr). Cela n'a pas été le cas puisque l'enquête semble être restée au stade du parquet de Montauban.


    Silence radio au sein du gouvernement et au cabinet Baylet

    Alors qu’il pouvait continuer à instruire l’affaire malgré le retrait de la plainte et la transaction, le procureur a-t-il reçu des pressions politiques? Contacté par BuzzFeed News, le parquet de Montauban dit ne pas connaître cette affaire et nous demande d'attendre qu'il «retrouve le dossier dans les archives». Nous n'avons pas encore réussi à joindre le procureur de l'époque.

    Également sollicités sur ces accusations contre un ministre, l'Élysée, Matignon et Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, ne souhaitent pas nous répondre.

    S'agissant de la défense du ministre qui met en avant le classement de cette plainte, nous avions fourni les preuves de sa transaction passée et du fait qu'il n’a jamais contesté ces faits lorsque cela a été révélé par la presse, même si le gendarme précise qu'il les niait à l'époque. Après la publication de notre premier article en mars, le ministre n'a pas souhaité s'expliquer ou attaquer BuzzFeed News en diffamation. Joint à nouveau avant la publication de cette interview, son cabinet refuse toujours de nous répondre.