DANS LE RETRO. Il y a trente ans, la première expulsion par charter d'immigrés maliens

Il y a trente ans, un vol groupé à destination de Bamako quittait l’aéroport de Roissy et renvoyait 101 Maliens dans leur pays d'origine. Ce 18 octobre 1986 installa le charter dans le paysage migratoire français, sous l’impulsion du ministre de l'Intérieur de l'époque, Charles Pasqua.

 L'expulsion des 101 Maliens corrrespond à la spectaculaire première application de la loi Pasqua du 9 septembre 1986.
 L'expulsion des 101 Maliens corrrespond à la spectaculaire première application de la loi Pasqua du 9 septembre 1986. Montage LP du 20 octobre 1986

    Lundi 20 octobre 1986, «Le Parisien» révèle qu'un charter DC-8 de la compagnie Minerve à destination de Bamako a décollé deux jours plus tôt, en début de soirée, de l'aéroport de Roissy. A l'intérieur, 101 immigrés maliens. Trois-quarts d'entre eux ne remplissaient pas les conditions de séjour en France, les autres étaient victimes d'une condamnation judiciaire (trafic de stupéfiants le plus souvent).

    Menottés aux poignets, les 101 Maliens ne passent pas par l'enregistrement et embarquent avec un billet collectif. Non sans résistance, si l'on en croit plusieurs témoins oculaires, dont le photographe du «Parisien», Gilles Ouaki. Parti à 19 heures, l'appareil atterrit dans la capitale malienne à 00h15.

    C'est la première fois qu'un «vol affrété» - la version euphémisante du charter- a pour vocation à expulser des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. Auparavant, la Police aux frontières (PAF) montait dans des vols commerciaux, dans lesquels une ou plusieurs personnes reconduites dans leur pays d'origine voyageaient aux côtés d'usagers classiques.

    Cette opération spectaculaire constitue la première application d'une loi, promulguée un mois plus tôt, le 9 septembre 1986. L'Assemblée nationale compte alors 35 députés du Front national. Le texte accorde aux autorités administratives le droit de reconduire à la frontière, sans jugement, les étrangers en situation irrégulière. Concrètement, elle rend aux préfets le droit de prononcer le renvoi, sans passer par l'étape judiciaire et le potentiel recours de l'immigré à un avocat.

    En plus de coûter moins cher que les lignes à horaires réguliers, le recours aux charters est vendu par ses partisans comme un moyen d'éviter deux écueils majeurs : le refus d'embarquement opposé par un étranger et/ou le refus pour un pilote de décoller si les conditions de sécurité ne lui semblent pas réunies. Sans oublier que, dans ce type d'appareil, les policiers peuvent être aussi nombreux que les personnes reconduites. Le ministre de la sécurité publique Robert Pandraud va jusqu'à estimer à 159, le nombre d'étrangers poussés hors des frontières par peur d'être expulsés. «Cela coûte moins cher au gouvernement», ironise-t-il.

    Pour rappel, l'illégalité n'est reconnue que dans deux situations : celle de l'étranger en situation irrégulière (clandestin) et celle des déboutés du droit d'asile. On ne connaît pas précisément le nombre de déboutés du droit d'asile reconduits à la frontière, seulement le nombre total de reconduits, sans distinction de motif.

    L'expulsion des 101 Maliens consacre en définitive «la ligne Pasqua» et la première de ses deux lois éponymes. Un sondage Ifop-Nice Matin conforte la position du gouvernement de cohabitation dirigé par Jacques Chirac et renforce le clivage gauche-droite. 60% des Français déclarent approuver la politique sécuritaire. Alors que la colère gronde au Mali, les autorités affirmant ne pas avoir été informées, le ministre de l'Intérieur français rappelle que «la loi s'applique à tous» et annonce de nouvelles mesures de reconduite à la frontière. Au total, du 12 septembre au 22 octobre, ce sont 1 700 étrangers qui sont expulsés, dont 626 Maghrébins, 553 Africains.

    Un objet de clivage très net en ces temps de cohabitation

    A gauche, on s'alarme de l'opacité de ces pratiques. A l'Assemblée nationale, le 22 octobre, Jean-Pierre Chevènement parle de «rafle». Des manifestations sont organisées à Paris, les 23 et 31 octobre, à l'appel notamment du MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples), de la Ligue des Droits de l'Homme et de SOS-Racisme. Les soupçons d'embarquements forcés et de violence arbitraire relèvent de «la fantasmagorie», selon le ministre Pasqua.

    Dans un entretien accordé au «Monde» le 31 octobre, le secrétaire d'Etat chargé des Droits de l'Homme, Claude Malhuret, rétropédale. Il précise qu'il n'était «pas favorable» à «cette politique de charters», notamment parce qu'elle risquait «de faire croire à la partie la plus radicale, la plus xénophobe de l'opinion française, que le gouvernement ne condamne pas fermement la xénophobie et le racisme, alors que cette condamnation est sans appel».

    Au-delà du vol charter, ce sont les conditions de vie dans les centres de rétention qui inquiètent, notamment au sein du centre du Mesnil-Amelot, à proximité de Roissy. Etapes préalables à une expulsion groupée, ces structures ne cessent désormais d'afficher complet. «La gauche avait créé les centres. La droite les rentabilise», peut-on lire dans le « Monde ».

    Environ une expulsion forcée sur dix est réalisée en charter

    En 2016, le charter évoque encore pour beaucoup de Français l'expulsion de masse des immigrés. Depuis trente ans, cette pratique est revenue à intervalles réguliers sur le devant de la scène politique. Un an après son apparition, Charles Pasqua assumait plus que jamais: «On m'a reproché un avion mais, s'il le faut, je ferai un train.» Plus surprenant, en 1991, la chef du gouvernement socialiste, Edith Cresson, choquait sa majorité en défendant l'utilisation de ces vols groupés dans le cas où «la justice établit qu'ils n'ont pas le droit d'être chez nous».

    1995. La droite retrouve le pouvoir. Le ministre de l'Intérieur, Jean-Louis Debré, relance alors sérieusement l'expulsion forcée via charter. Pendant deux ans, une quarantaine de vols de ce type ont été organisées, souvent en commun avec d'autres pays de l'espace Schengen. Les destinations les plus fréquentes sont la Roumanie, le Maroc, le Zaïre et le Mali. Malgré tout, les charters n'ont représenté guère plus de 10 % du total des reconduites aux frontières selon le préfet Robert Broussard. Les autres partent volontairement par avion de ligne «une fois tous les droits de recours épuisés», assure en 1996, au micro de RTL, celui qui est aussi le patron la Direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins.

    Alors que les vols se multiplient, une mutinerie dans un avion en direction du Mali, le 27 février 1997, offre une bien mauvaise publicité. Un Airbus d'Air Charter (filiale d'Air France), ramenant un groupe de 77 Maliens, se fait complètement dépouiller à son arrivée à Bamako. 42 fonctionnaires de la Police aux frontières (PAF) escortent pourtant le vol.


    Boudés par le gouvernement Jospin (1997-2002), les vols affrétés ne refont surface qu'en 2003 à l'arrivée de Nicolas Sarkozy place Beauvau. Pour ne plus jamais disparaître. « Les vols groupés se poursuivront », clame Nicolas Sarkozy qui choisit de les défendre comme «la solution la plus humaine, la plus équilibrée pour désengorger la zone d'attente» de Roissy.

    Un nouveau cap est également franchi en 2003. L'Union européenne accepte de participer au financement des vols charters. Le Conseil de l'Union européenne (Justice et Affaires Intérieures) trouve ainsi un accord politique sur la mise en place de vols communautaires, sans l'avis du Parlement européen.

    Plusieurs associations (telles la Cimade et l' Anafé - Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers) appellent à signer une pétition contre ces «charters de l'humiliation». Barbara Romagnan, membre du bureau national du Parti socialiste, estime dans une pétition qu'ils «conduisent les autorités qui en sont responsables à négliger l'examen de la situation de chaque personne concernée, au risque de mal évaluer les conséquences individuelles du renvoi et de porter ainsi atteinte à l'institution de l'asile et aux droits fondamentaux des personnes concernées». Elle ajoute que «l'exécution de ces renvois collectifs par la contrainte est irréalisable sans l'utilisation de moyens et de techniques policières coercitives pouvant, à tout moment, déraper vers les brutalités, les violences et l'atteinte à l'intégrité physique des expulsés, voire la mort».

    Depuis 2009, un peu moins de 30 000 expulsions sont menées en moyenne chaque année, selon le ministère de l'Intérieur. La moitié d'entre elles correspondent à des éloignement forcés. Impossible néanmoins de mesurer la part de renvois par charter.

    La Cimade rappelle qu'il existe aujourd'hui trois types de renvois par charter : les vols français tels qu'ils existent depuis 1986 - il s'agit de plus en plus de petits avions militaires, accueillant une ou plusieurs familles-, les vols communautaires chapeautés par l'Union européenne et enfin les vols groupés de l'agence Frontex.