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Retour sur la semaine noire du Président

Nice. A l’issue de la cérémonie. Même si le président est applaudi par les familles de victimes, jamais il n’a semblé aussi seul.
Nice. A l’issue de la cérémonie. Même si le président est applaudi par les familles de victimes, jamais il n’a semblé aussi seul. © BESTIMAGE
Caroline Fontaine et Bruno Jeudy , Mis à jour le

Au bowling, on féliciterait François Hollande pour son strike, l’art de faire tomber toutes les quilles avec une seule boule...

« Et tu peux nous dire s’il y a d’autres livres à suivre ? » Sèchement Jean-Christophe Cambadélis met les pieds dans le plat. Ce 11 octobre, comme chaque mardi, François Hollande dîne avec les responsables de la majorité dans le salon des portraits, au rez-de-chaussée du palais de l’Elysée. « Non, pas à ma connaissance », réplique le président de la République, penaud, « embarrassé », selon un des convives. Tout juste concède-t-il qu’il s’en veut de ne pas avoir relu quelques passages. Autour de la table, c’est la consternation. Et encore, ils n’ont pas lu le livre ! Tous, de Manuel Valls et Claude Bartolone aux patrons des groupes parlementaires, Bruno Le Roux et Didier Guillaume, ont découvert sur le site de « L’Express » les bonnes feuilles du volumineux (672 pages) ouvrage de Gérard Davet et Fabrice Lhomme*. Mais ils pressentent l’ampleur des dégâts. A gauche comme chez les magistrats, ou dans la vie privée déjà tourmentée du président. Jusqu’aux footballeurs qui ne sont pas épargnés par ces « bavardages » ! Au bowling, on féliciterait le tireur pour son strike, cet art de faire tomber toutes les quilles avec une seule boule. Mais à deux cents jours de l’élection… Le président-candidat a fait plus que se tirer une énième balle dans le pied, il a, peut-être, planté lui-même un clou sur le cercueil de sa candidature.

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Mercredi 12 octobre, François Hollande découvre « le » livre. Son livre. Celui qu’il a nourri grâce aux 61 entretiens, dont une douzaine de dîners, à l’Elysée et chez les auteurs. Une centaine d’heures d’enregistrements entre l’automne 2011 et l’été 2016. Une avalanche de commentaires et de confidences sur tout, sur rien. Avec, cerise sur le gâteau, deux pages sur sa teinture de cheveux, objet d’une discussion surréaliste au domicile de l’un des journalistes. Ce 25 juillet 2016, le président vient fêter la fin des entretiens avec une bonne bouteille de bordeaux (« un grand saint-estèphe »). Il ne s’inquiète pas le moins du monde des conséquences de ses confessions. Trois mois plus tard, le même François Hollande tient une mini-réunion de crise avant le Conseil des ministres. Sa première préoccupation : calmer la colère des magistrats épinglés pour leur « grande lâcheté ». Il recevra, à leur demande, le soir même, leurs plus hauts représentants. Avant d’écrire une lettre d’excuses… sans pour autant regretter ses propos.

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Manuel Valls, depuis le Canada, réclame "un peu de hauteur, de la dignité, de la pudeur" 

La tempête se lève autour de François Hollande, au point d’éclipser le premier débat de la primaire de la droite et du centre. Le chef de l’Etat réussit ­l’exploit de cannibaliser sa propre interview publiée le jour même dans « L’Obs » ! La communication n’est décidément pas son fort. Ce mercredi midi, à l’heure du compte rendu du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, reste sans voix quand un journaliste lui tend le téléphone sur lequel tombe en direct le tweet de Valérie Trierweiler. L’ex-compagne publie à son tour les SMS prouvant que son compagnon a bien parlé de « sans-dents » sur le ton de la blague. Ce qu’il a farouchement contesté au moment de la sortie de son livre. Mais qu’il confirme finalement dans l’ouvrage des journalistes, en nuançant ! Il vient de remettre un euro dans le juke-box de sa vie privée. Il commente lui-même , de Ségolène Royal (« la femme de ma vie ») à Valérie Trierweiler en passant par Julie Gayet (« ce n’est pas un coup de foudre »).

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Mais le pire est à venir. Mercredi après-midi, à l’Assemblée nationale, l’ambiance est à la mutinerie dans les rangs socialistes. Et pas chez les frondeurs, déjà en rupture de ban. Le patron du Parti socialiste se dit « effondré » par ces « propos de table ». Il est furieux de voir le ­dispositif de reconquête percuté par le maudit bouquin. Du discours de Wagram prononcé le 8 septembre à l’interview de « L’Obs », Cambadélis imaginait parvenir au moins à « rassembler la famille », à défaut de pouvoir jouer la gagne. Patatras ! Il décide de reporter sine die l’appel des parlementaires et premiers secrétaires fédéraux en faveur d’une candidature Hollande, qui était prévu le 13 octobre. Chez les députés, la sidération tourne à la colère. « Il a tellement parlé, autant d’heures, je ne comprends plus. Il ne fallait pas faire ce livre. Pour moi, tout ça est un mystère », dit un ministre qui connaît bien son président. Et semble à bout. Un autre membre du gouvernement, encore sous le choc, confie : « Il est comme ça. Il aime dire et expliquer. Le problème, c’est qu’il n’assure pas le périmètre autour de lui. Il sait pourtant comment ça fonctionne, que ça va être lu, interprété, disséqué. » Un parlementaire interroge : « Quand est-ce que cela va s’arrêter ? »

Vendredi 14 octobre, le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, prend à son tour ses distances. Il s’interroge ouvertement sur ce qui ressemble à un suicide politique : « Je me pose des questions sur sa volonté. Une hésitation transparaît. Il y a un grand besoin d’explication pour comprendre s’il veut vraiment être candidat. » Le même jour, depuis le Canada, où il est en visite officielle, Manuel Valls réclame « un peu de hauteur, de la dignité, de la pudeur ». Des ­critiques qu’il renouvellera le lendemain à Saint-Pierre-et-Miquelon. A Paris, les proches du Premier ministre se déchaînent. « Ça fait un moment que je dis qu’il y a un problème de com’ autour du président, soupire le sénateur vallsiste Luc Carvounas. Oui, ce livre est une difficulté supplémentaire. » Le même élu poursuit : « On fait quoi, tous, demain, si François Hollande nous dit : “Je n’y vais pas” ? » Au PS beaucoup ont déjà basculé dans l’après-Hollande. Les couteaux ­s’aiguisent entre ceux qui se préparent à rejoindre le camp Montebourg, ceux qui appelleront Valls ou ceux qui fileront chez Macron. Candidate à la primaire et représentante de l’aile gauche du parti, Marie-Noëlle Lienemann a tiré un trait : « La lente ­descente aux enfers de Hollande a ­commencé. Je pense que sa déstabilisation est majeure. Je ne vois pas trop ­comment il peut être candidat. »

Il se décrit lui-même en "spectre de l’Elysée". Sans amis ou presque...

A l’Elysée, en fin de semaine, conseillers et proches tentent encore de sortir la tête de l’eau. Aux quelques élus ­hollandais dépêchés sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio, il était demandé de mettre en avant le « devoir de transparence » du président, sa volonté de faire « le bilan de son action ». Une grosse ficelle qui laissait perplexes jusqu’aux plus légitimistes, ces hollandais qui font donc le dos rond en se disant qu’il s’agit « encore » d’un mauvais moment à passer. Communicant en chef de François Hollande, Gaspard Gantzer a fini par avaler les 672 pages. « C’est un bon livre qui retrace bien le quinquennat, de façon riche et approfondie », dit-il dimanche, en regrettant que les médias n’aient retenu que des petites phrases sorties de leur contexte. Le pire, c’est que le livre est plutôt sympa pour Hollande, voire hagiographique, notamment sur sa dimension internationale. « L’idée de déstocker le bilan avant 2017 est intéressante. Encore faut-il maîtriser le contenu, fulmine un visiteur du soir. Or, là, on se retrouve avec des propos tordus par des anecdotes. C’est catastrophique pour François. La vérité, c’est qu’il s’est fait ­rouler par deux journalistes qu’il croyait maîtriser ! » Pas à un paradoxe près, François Hollande posait pourtant lui-même dans ces pages un regard lucide sur sa relation avec la presse : « Ça ne m’apporte pas grand-chose, c’est vrai, tous ces livres ne sont pas très sympathiques. » Le même Hollande indéchiffrable et déroutant a pourtant accepté de collaborer à sept livres depuis le début du quinquennat, deux documentaires, deux BD… Sans compter les conférences de presse à ­l’Elysée, SMS et coups de téléphone qu’il échange chaque semaine avec environ 70 journalistes. Une recette qui l’a sans doute aidé dans sa conquête du pouvoir mais qui se retourne maintenant contre lui. Il l’admet : « Ce qui me frappe, c’est que les Français me connaissent assez peu. » Le drame, c’est que François Hollande cherche toujours le moyen pour nouer une relation directe avec eux.

Au fil des pages, se dessine un président solitaire, qui se décrit en « spectre de l’Elysée ». Sans amis ou presque, il en cite quatre (Jean-Pierre Jouyet, Michel Sapin, Stéphane Le Foll et Jean-Pierre Mignard). Davet et Lhomme semblent lui permettre de ne pas dîner seul avec son plateau-repas dans son bureau. Il leur avoue d’ailleurs avoir nommé en 2014 au poste de secrétaire général son ami Jean-Pierre Jouyet, comme pour mettre un terme au calvaire des deux ­premières années de son mandat. Bernard Cazeneuve en témoigne : « Je lui dis souvent : “Mais François, il faut que tu sortes. Vois des gens, vois tes amis, va dîner dehors.”» Seul et fataliste, François Hollande a-t-il cherché à s’échapper du donjon élyséen ? Daniel Cohn-Bendit, qui le connaît de longue date, estime qu’il s’est offert « une heure et demie de ­thérapie par mois. » En tentant le grand écart : fuir son quotidien de ­président tout en ­s’efforçant de laisser une trace de son passage à l’Elysée.
 
* « Un président ne devrait pas dire ça… » de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, éd. Stock.

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