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Enquête

Que reste-t-il du made in France ?

Par Elsa Freyssenet

Publié le 19 oct. 2016 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

De cette « cause nationale » des débuts du quinquennat, il est resté l'emblème de la marinière, la French Tech et une politique de compétitivité qui n'a pas encore produit de résultats tangibles. Bilan en trois histoires.

Etait-ce un formidable coup de pub ou une tuile ? La première fois qu'il a vu l'image s'afficher sur son ordinateur, il y a quatre ans jour pour jour, le président d'Armor-Lux, Jean-Guy Le Floch, n'a pas su que penser. C'était le vendredi 19 octobre 2012 : l'une des marinières encore produites dans son usine de Quimper habillait un ministre, Arnaud Montebourg, en une du « Parisien Magazine » ! « Si on m'avait demandé si j'étais d'accord, je ne suis pas sûr que j'aurais dit oui », se souvient-il. Pour porter ses couleurs, il aurait préféré Céline Dion - une artiste, c'est plus consensuel qu'un politique. Quatre ans plus tard, l'entrepreneur s'y est fait. La photo était suffisamment rare pour susciter un formidable écho et le ministre n'a pas nui à l'image d'Armor-Lux, qui a vu ses ventes de marinières augmenter durablement de 10 % : « Le côté franc-tireur de Montebourg correspond à l'esprit maison. » L'image a aussi et surtout marqué les esprits : « Avant, le fabriqué en France était perçu comme ringard. Il y a eu un effet Montebourg », explique Jean-Guy Le Floch.

De nombreuses PME se battent pour conserver leur production en France, elles ont même un Salon qui se réunit chaque année en novembre. Et pourtant, entre les fermetures d'usines et les rachats de fleurons industriels, la marinière est la seule image positive qui a marqué la rétine du grand public depuis 2012. A première vue, c'est un bien maigre bilan pour ce qui était présenté comme « une cause nationale » aux débuts du quinquennat. Qu'en est-il vraiment ? L'exécutif a pris des initiatives et mis des moyens, mais, à l'image du mandat qui s'achève, il n'y a pas eu de stratégie d'ensemble ni de véritable suivi. Bilan du made in France en trois histoires.

Montebourg versus Macron

Début 2015, installé au ministère de l'Economie depuis cinq mois, Emmanuel Macron confie aux « Echos » : « Le made in France est une notion un peu restrictive. Si c'est la France défensive qui craint la mondialisation, ce n'est pas celle que je porte, ce n'est pas mon truc. » A la rentrée 2016, alors qu'il sillonne la France pour sa campagne présidentielle, Arnaud Montebourg tranche : « Il n'y a plus de patriotisme économique » depuis son départ du gouvernement en août 2014. Son décret sur la préservation des industries stratégiques n'a « jamais été utilisé » et son successeur à Bercy n'a ni repris son discours colbertiste ni mis l'accent sur les relocalisations. Montebourg-Macron, les deux anciens ministres de l'Economie, ne se sont jamais entendus sur le discours adéquat pour redresser la production industrielle. L'un vantait les PME et surveillait l'industrie lourde, l'autre courtisait les grands groupes et les startuppeurs. L'un tançait les patrons pour les responsabiliser, l'autre voulait les séduire pour les convaincre d'investir. Souveraineté versus attractivité. Dans l'idéal, les deux orientations auraient pu se conjuguer; dans la réalité, elles se sont succédé à Bercy, privant des projets bien concrets de continuité. En France comme à l'international. « Montebourg faisait le travail de lobbying auprès des cercles internationaux, mais sa parole était très clivante. Macron a porté une parole plus positive, mais il n'a pas passé assez de temps à vendre la France à l'international », résume Marc Lhermitte, associé chez EY (ex-Ernst & Young), et auteur du baromètre de l'attractivité de la France. Seul chantier mené avec continuité : le redressement de la compétitivité française à coups de crédits d'impôt et de baisses des charges. Seul résultat tangible pour l'instant : les marges des entreprises industrielles se sont bien restaurées, retrouvant leur niveau de 2001. Mais la valeur ajoutée industrielle stagne autour de 18 % depuis 2012. Avec de 100.000 à 120.000 emplois perdus dans l'industrie depuis quatre ans, la chute est moins lourde que sous le quinquennat Sarkozy (-400.000), mais elle persiste. « On ne réindustrialise pas le pays, mais on ne désindustrialise plus. La situation est meilleure qu'il y a quatre ou cinq ans, mais ce n'est pas encore perceptible par les salariés et les consommateurs », analyse Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. Toutes tendances confondues, les économistes estiment qu'une restauration des marges met plusieurs années avant d'augmenter substantiellement les investissements, beaucoup d'entreprises commençant par assainir leur situation financière. « Les efforts du pacte de responsabilité ne sont pas vains, mais ils demandent du temps pour se manifester. La France est passée par le même processus dans les années 1980 », souligne Dennis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode. Pour le gouvernement, cela revient à avoir rempli l'obligation de moyens (financiers) sans engranger de résultats.

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Le paradoxe français vu du terrain

Dans l'usine Armor-Lux de Quimper, presque tout est rayé bleu et blanc : les murs extérieurs et intérieurs, les sols et même les voitures de fonction. Les marinières (emblème de l'entreprise depuis vingt-cinq ans) y sont tricotées par des machines puis coupées aux ciseaux par les ouvrières et cousues unité par unité. Mais cet habit ne résume pas l'activité de l'entreprise. Jean-Guy Le Floch ne s'en est jamais caché : 60 % des produits Armor-Lux sont fabriqués au Maroc, en Bulgarie, en Inde et en Chine. Davantage que du made in France pur sucre, son entreprise est emblématique de la PME française exposée à la concurrence internationale, qui doit jouer sur plusieurs tableaux pour maintenir ses trois usines, ses 80 métiers à tricoter et ses 630 salariés en France. A côté des ventes aux particuliers, le chiffre d'affaires est sécurisé sur plusieurs années par les contrats de production de vêtements professionnels passés avec de grandes entreprises. Et, là, le paradoxe français joue à plein. Carrefour a commandé en 2014 des tabliers et vareuses 100 % made in France pour ses 13.000 employés des métiers de bouche. La même année, la SNCF a aussi choisi de payer un peu plus cher pour que 35 % du costume de ses contrôleurs sorte des usines de Quimper. Mais La Poste a d'abord regardé le prix pour équiper ses 110.000 agents. Résultat, Armor-Lux achète un tissu technique allemand qu'il fait assembler en Chine pour produire la parka du postier dessinée en France. Lorsqu'il dresse son bilan à lui de l'action gouvernementale, Jean-Guy Le Floch énonce un bon et un mauvais point. Le bon c'est le CICE et la baisse des charges - « dans une industrie de main-d'oeuvre comme la nôtre, cela a un impact considérable ». Le mauvais, c'est l'état de la commande publique. « Nous, on aimerait bien que l'Etat ne se fournisse pas qu'au Bangladesh », ironise-t-il. Manière de souligner que le critère numéro un des appels d'offres publics restant le prix, la production française est souvent perdante. Au-delà même de l'origine, les critères liés au développement durable ou à l'éthique sociale pèsent très peu.

L'exemple illustre les limites du made in France. Limites politiques et financières d'abord : la sphère publique ne montre pas l'exemple pour cause de restriction budgétaire. Limites économiques ensuite : dans les secteurs les plus exposés comme le textile, la production française qui subsiste ne représente plus les gros volumes. Et la plupart du temps, les produits complexes sont un assemblage de pièces venant de plusieurs pays. Même le label indépendant Origine France garantie (créé en 2010 sous l'impulsion d'Yves Jego) n'exige pas des entreprises qui le sollicitent de fabriquer 100 % français, mais que leur produit prenne « ses caractéristiques essentielles en France » et que celles-ci constituent au moins 50 % de son prix de revient. Partant de ce constat, Charlotte Emlinger, économiste au Cepii (1), l'assure carrément : « Le made in France peut avoir un sens marketing mais pas économique. Vouloir tout produire sur le sol français n'a pas de sens. Le vrai débat est de savoir si produire en France est gage de qualité environnementale et sociale. » Le débat est récurrent entre les partisans d'une spécialisation du pays et les tenants de la préservation des savoir-faire. Quoi qu'il en soit, la Commission européenne refuse toujours que ses Etats membres imposent un étiquetage de l'origine des produits, laissant libre cours à une floraison de labels plus ou moins sérieux. Le made in France est-il donc condamné à devenir un disque rayé ressorti à chaque élection avant de se heurter toujours aux mêmes obstacles ? Le communicant Philippe Lentschener pensait avoir trouvé une solution...

Une Offensive en ordre dispersé

Cela aurait dû être le volet offensif du made in France. Une marque France qui aurait résumé les atouts du pays auprès des investisseurs étrangers et conduit les citoyens à prendre conscience de leur patrimoine économique. Ses promoteurs avaient en mémoire le « Great » de la Grande-Bretagne, décliné dans tous les domaines lors des JO de Londres de 2012. « On voulait recréer un récit collectif positif, donner aux Français dans leur diversité des raisons d'être fiers », raconte Boris Vallaud, à l'époque directeur de cabinet adjoint d'Arnaud Montebourg. Une mission, présidée par Philippe Lentschener, ex-président de McCann et ami du ministre du Redressement productif, a rendu son rapport, assorti de 22 propositions, en juin 2013. Mais il est resté lettre morte, victime d'une précipitation initiale, de rivalités gouvernementales puis d'un manque de suivi. Quand, de l'avis des spécialistes, il faut de deux à trois ans pour concevoir un slogan et une charte graphique pour un pays, Arnaud Montebourg s'était donné quelques mois. Il voulait que tout soit prêt pour le 17 février 2014, jour où François Hollande recevait à l'Elysée 34 dirigeants de groupes étrangers. L'agence Publicis a fourni des projets sans convaincre. Le ministre a poussé une autre idée, « France imagine », mais Jean-Marc Ayrault s'y est opposé car il n'aimait ni le slogan ni le ministre. Et cinq jours avant la date fatidique, dans la nuit du 12 au 13 février, dans l'avion qui le ramenait de sa visite d'Etat aux Etats-Unis, François Hollande a décidé de reporter la décision. Arnaud Montebourg a été limogé six mois plus tard. Et c'en fut fini de l'idée d'une « marque ombrelle » qui unifierait la communication des territoires et des entreprises françaises. Enfin... presque. Si, à Bercy, Emmanuel Macron n'a pas repris ce projet global, des bouts ont été mis en oeuvre. Par Laurent Fabius, qui, tout à sa diplomatie économique, a fusionné les organismes d'aide aux PME exportatrices françaises et aux investisseurs internationaux et lancé une campagne de communication, « Creative France » - seulement à l'étranger. Par Fleur Pellerin, qui a créé la French Tech, un label visant à coordonner et à donner de la visibilité aux start-up françaises, dont le succès est avéré. Des initiatives positives mais en ordre dispersé. Marc Lhermitte, associé chez EY, positive : « Eclairer la marque France aujourd'hui, c'est aussi éclairer les défauts du pays sur la compétitivité et la complexité administrative. Il vaut mieux choisir des combats plus ciblés. » Philippe Lentschener, lui, ne lâche pas le morceau. Il vient de publier un livre (2) sur le sujet et confie : « C'est inéluctable mais, comme d'habitude en France, cela va prendre dix ans. Ce sera tard. »

Elsa Freyssenet

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