Le Nigeria à la chasse au milliards du pétrole

Manifestation des syndicats de travailleurs nigérian en mai 2016 à Abuja, la capitale du Nigeria ©Reuters - Afolabi Sotunde
Manifestation des syndicats de travailleurs nigérian en mai 2016 à Abuja, la capitale du Nigeria ©Reuters - Afolabi Sotunde
Manifestation des syndicats de travailleurs nigérian en mai 2016 à Abuja, la capitale du Nigeria ©Reuters - Afolabi Sotunde
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Opération main propre dans le secteur pétrolier. Après avoir fait arrêter l'ancienne ministre du pétrole à Londres, le gouvernement nigérian poursuit les grands groupes pétroliers, notamment Total, Eni, Chevron et Shell pour avoir vendu illégalement du pétrole, et ainsi évité des taxes.

Hier, je vous parlais de l'Arabie Saoudite, et de ses problèmes budgétaires. Aujourd'hui le Nigeria, autre géant pétrolier, premier producteur d'Afrique quand tout va bien. Mais en ce moment tout va mal. Les cours du pétrole sont au plus bas certes, mais en plus, il y a une recrudescence des attaques de pipeline par des miliciens du Delta du Niger, nommés les Niger Delta Avengers et les revenus du pétrole touchent le fond.

En suivant ce lien, vous pourrez voir une interview d'un de ces miliciens interrogé par la BBC.

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Comme pour l'Arabie Saoudite, le pétrole est la principale source de revenus et de devises du Nigeria. Hier l'Arabie Saoudite a finalement emprunté, je vous donne l'info au passage, 17 milliards de dollars sur les marchés financiers, c'est le plus gros emprunt d'Etat de l'année. Le Nigeria, lui, a d'autres méthodes. Son président Muhammadu Buhari a décidé de s'attaquer aux compagnies pétrolières étrangères qui opèrent sur son sol.

Parmi elles, on trouve le Français Total, l'italien ENI, l'américain CHEVRON, le brésilien PETROBAS et aujourd'hui, c'est l' anglo-hollandais Shell qui est entendu pour une audience à Lagos, la plus grande ville du pays.

17 milliards d'exportations non déclarées

Ces compagnies sont accusées d'avoir exporté illégalement pour plus de 17 milliards de dollars de pétrole nigérian, ce qui leur a permis de réduire les taxes qu'elles doivent à l'Etat. Le contentieux s'élève à 12.7 milliards de dollars, qui seraient bienvenus dans un budget dont le déficit est estimé à 17% du PIB selon Standard and Poors.

Les compagnies pétrolières étrangères sont implantées dans ce pays depuis plus de 60 ans. C'est elles qui assurent la quasi totalité de la production.

Pour avoir le droit d'extraire et de vendre, elles ont un partenariat, une joint venture en bon français, avec la compagnie nationale pétrolière nigériane, la NNPC, et elles payent 85% d’impôt sur les revenus que leurs rapporte le pétrole exporté. Dans ce système on comprend qu'il y a un intérêt pour ces compagnies à ne pas déclarer la totalité de ce qu'elles exportent pour minimiser leurs impôts.

Ce n'est pas la première fois que des compagnies pétrolières sont accusés d'avoir sous déclaré leurs exportations. Le journal Jeune Afrique rapporte qu'en 2014, Total a négocié avec le GABON pour ne pas avoir à payer les 805 millions de dollars d’ajustement fiscal qui était réclamé au groupe français. Autre litige, sur un autre sujet, mais tellement emblématique, le cas des fuites de pétrole non réparées par ces compagnies. Vous trouverez ici un très long article (en anglais), très bien documenté sur Shell.

Opération main propre dans le pétrole

Les compagnies pétrolières étrangères accusées refusent de commenter la procédure judiciaire en cours avec le Nigeria. Ce qui est sûr, c'est que si elles ont fraudé, elles ont bénéficié de complicité au sein de la compagnie pétrolière publique nigériane, la NNPC et la précédente administration.

Le président Buhari mène depuis son élection il y a 18 mois une opération main propre dans le secteur pétrolier et au delà. J'en avais parlé lors d'un précédent billet : Nigeria vs Grande-Bretagne, qui est le plus corrompu?

Muhammadu Buhari a été élu en 2015 en promettant de lutter contre la corruption. Ici à NY en septembre 2016
Muhammadu Buhari a été élu en 2015 en promettant de lutter contre la corruption. Ici à NY en septembre 2016
© Maxppp - Drew Angerer

Coup d'éclat, il y a un an, le président Buhari a fait arrêter l'ex ministre du pétrole à Londres, Alison Madueke. Il a nommé un nouveau directeur à la tête de la NNPC, et fait réaliser un audit des comptes... comptes qui n'avaient jamais été publiés jusque là. Diverses sommes circulent sur les détournements qui auraient été opérés via la NNPC, l'une d'elle va jusqu'à 150 milliards de dollars détournés en 10 ans.

Clairement le président Buhari ne plaisante pas. En juillet il n'a pas hésité à bloquer 113 bateaux pétroliers au large de ses côtes en les accusant de transporter du pétrole non déclaré.

Cette sous déclaration n'est pas une vue de l'esprit, c'est un phénomène connu, documenté même. Chaque année la CNUCED publie un rapport sur le développement et le commerce, et dans le rapport qu'elle a publié l'été dernier, le cas du pétrole nigérian est cité comme un cas d'école.

Selon l'organisme onusien, entre 1996 et 2014, il y a un décalage de 70 milliards de dollars entre les données d'exportation de pétrole nigérian, et les importations américaines. Autant d'argent qui ne vient pas alimenter les caisses de l'Etat fédéral alors que les deux tiers des 180 millions de Nigérians vivent avec moins d'un dollar par jours. La famine sur un terrain d'abondance...

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