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Les Kurdes de Syrie rebaptisent des villages arabisés


Dimanche 23 octobre 2016 à 10h07

Hassaké (Syria), 23 oct 2016 (AFP) — Sur une route poussiéreuse du nord-est de la Syrie, une femme et ses quatre enfants marquent un arrêt devant un nouveau panneau à l'entrée de Joldara, le nom kurde de leur village qui s'appelait jusqu'à présent Chajra.

Cette localité est l'une des centaines à qui les autorités de la région autonome kurde ont décidé de redonner leur nom original qu'elles avaient perdu pour une dénomination arabe il y a un demi-siècle.

"Joldara signifie en kurde 'plaine couverte d'arbres'. C'était son nom avant l'arabisation décidée en 1962 par le gouvernement de l'époque qui l'a appelé Chajra" (arbre en arabe), explique Abdel Rahmane Hawas, un septuagénaire interrogé dans son jardin.

Si l'arabisation s'est accélérée avec l'arrivée du parti Baas au pouvoir en 1963, elle avait commencé avec la République arabe unie, l'union entre l'Egypte de Gamal Abdel Nasser, chantre de l'arabisme, et la Syrie entre 1958 et 1961, selon l'historien kurde Zorhab Qado.

Dans les quelques rues de Joldara, un village situé sur des terres arides de la province de Hassaké, des panneaux signalent les localités voisines avec leur nouveau nom en kurde écrit en lettres arabes et latines.

Les Kurdes syriens, dont le nombre est estimé à trois millions, avaient vu leurs droits niés par le Baas, parti marqué par le panarabisme, une idéologie qui gomme les cultures spécifiques d'ethnies vivant au Moyen-Orient.

Il leur était interdit de parler et d'enseigner le kurde, ou de célébrer leurs fêtes, tandis que des dizaines de milliers de Kurdes étaient devenus apatrides après un recensement contesté effectué en 1962.

- Malgré Damas -

En avril 2011, le président Bachar al-Assad avait toutefois redonné la nationalité à ces Kurdes, afin de tenter de dissocier leurs revendications de celles du mouvement de révolte initié contre son autorité.

Puis en 2012, les forces du régime s'étaient retirées des régions à majorité kurde.

Profitant de cette occasion et forts du soutien militaire des États-Unis dans leur lutte contre le groupe jihadiste Etat Islamique (EI), les Kurdes ont progressivement instauré des institutions hors du contrôle du pouvoir central.

"Nous ne rebaptisons pas les localités, nous leur redonnons leurs noms d'origine", affirme Joseph Lahdo, coprésident de la commission chargée de l'administration des municipalités dans la province de Hassaké.

"Une fois le nom établi, l'administration autonome utilisera cette appellation dans ses dossiers et sa communication. Sur les panneaux figureront le nom kurde original et, entre parenthèses, celui arabisé", précise-t-il.

Cette initiative n'est pas reconnue par le gouvernement central à Damas qui continue à utiliser les noms arabes.

Selon le chercheur kurde Zohrab Qado, l'arabisation des noms des villages kurdes s'est étendue sur des décennies. Entre 1978 et 1998, elle a ainsi concerné plus de 500 villages dans la province de Jaziré (nom kurde pour Hassaké), tandis que dans la province d'Alep, la ville de Kobané devenait Ain al-Arab.

"Ce processus n'était pas innocent, l'arabisation était planifiée", affirme ce chercheur dans son bureau rempli de livres d'histoire en arabe et en kurde.

- 'Une victoire' -

Parallèlement, les noms des habitants ont été arabisés dans les années 1960 "par une circulaire du ministère de l'Intérieur", selon un employé à l'état-civil à Amouda, une ville proche de Joldara. "Le nom des nouveaux nés devait être soumis à l'approbation des services de sécurité", explique ce fonctionnaire qui ne veut pas être identifié.

L'arabisation des noms des localités a été menée de pair avec la distribution de terres à des agriculteurs arabes afin de modifier la composition démographique du nord de la Syrie, assure M. Qado.

C'est ainsi que la famille d'Ahmad al-Abduli a migré vers un village qui a pris récemment le nom kurde de Himo. "Il avait été nommé Hanadi lorsque nous sommes venus, dans les années 1970, de Raqa", une ville à l'ouest de Hassaké, confie-t-il à l'AFP.

Pour sa part, Cheikhmous Rasho est ravi que son village s'appelle de nouveau Girsor. "Il a plus de 200 ans. Son nom avait été arabisé pour nous éloigner de notre identité kurde et de notre langue", affirme cet agriculteur.

Les commerçants d'Amouda expriment également leur satisfaction depuis que la municipalité les a autorisés à afficher le nom de leur magasin en kurde.

Sur la devanture de celui d'Adnane Hoshi est ainsi écrit "Emise Hejar", qui signifie en kurde "magasin de noix". "C'est une victoire de pouvoir s'exprimer dans notre langue" se réjouit-il avec un large sourire.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.