Contre le sexisme, des Tumblr où les femmes témoignent

Contre le sexisme, des Tumblr où les femmes témoignent

Sur « Paye ta robe », des avocates épinglent propos et gestes sexistes. Sur « Chair collaboratrice », des femmes montrent le « caractère généralisé » du sexisme en politique en publiant des témoignages.

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Prononcé à l’encontre d’une avocate, après une audience au tribunal :

« Elle a gagné parce qu’elle a séduit le juge. »

Entendu dans un cabinet d’avocats d’affaires, un client à une avocate :

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« C’est vrai que vous avez des gros seins ? ! C’est ce que m’a dit votre patron. »

Le nouveau Tumblr « Paye ta robe »

Les deux avocates, qui ont récemment lancé « Paye ta robe », un Tumblr qui récence le sexisme ordinaire dans la profession, croulent sous les témoignages de ce genre qu’elles publient au fur et à mesure sur le site.

A tel point qu’elles sont étonnées :

« Il y a une créativité dans le sexisme qui est incroyable. »
Capture d'cran du Tumblr
Capture d’écran du Tumblr « Paye ta robe »

L’idée de ce Tumblr a découlé d’un déjeuner pendant lequel Emmanuelle et Marie (un pseudo), avocates, ont échangé sur les propos sexistes qu’elles entendent au tribunal ou au cabinet.

En s’inspirant de « Paye ta shnek », un Tumblr de témoignages sur le harcèlement de rue, les deux collaboratrices ont décidé d’appeler leurs confrères à témoigner dans « Paye ta robe », lancé le 7 octobre.

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Marie :

« C’est un outil assez fort qui permet de montrer combien le sexisme est diffus. »

Pris séparément, ce dont des petites phrases sexistes, insidieuses, de petites humiliations. Ainsi regroupées, elles témoignent d’un phénomène « systémique ». Emmanuelle fait remarquer que si les femmes sont majoritaires au barreau français (54,4%), elles restent moins bien payées : « Les écarts ne se résorbent pas. »

Comparé aux hommes, les avocates sont aussi moins nombreuses à exercer en tant qu’associées dans les cabinets.

« Il s’agit de dénoncer, et de faire de la pédagogie », poursuit Emmanuelle.

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« Beaucoup de confrères et de clients ne se rendent pas compte. »

Marie explique que le Tumblr va aussi permettre

« d’outiller et d’armer les jeunes entrantes dans la profession. Un “ma charmante consœur” prononcé lors d’une plaidoirie peut couper les jambes. »

Le harcèlement en politique

A quelques jours d’intervalle, une autre plateforme participative contre le sexisme a vu le jour. Dans le monde politique, cette fois. Elle s’appelle « Chair collaboratrice »

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Le petit collectif d’une dizaine de collaboratrices parlementaires qui l’a lancée mi-octobre a publié une tribune dans Le Monde. « Le sexisme n’est pas une spécificité du monde politique, nous en avons pleinement conscience, mais c’est un monde où il se manifeste avec une force et parfois une violence particulières », écrivent-elles.

« Pourquoi  ? Parce que la politique est un milieu toujours très masculin et que la parité est encore une belle utopie, certains élus ou collaborateurs considèrent que ce terrain leur appartient. »

Les scènes et les propos rapportés sur « Chaire collaboratrice », parfois illustrés par la dessinatrice Emma, se déroulent dans les couloirs ou l’ascenseur de l’Assemblée, au Sénat ou dans des collectivités locales.

Les personnes visées sont de tous bords politiques : « De gauche ou de droite : sur ce sujet, ça ne veut rien dire. » Extraits.

« T’as pas baisé hier ou quoi »

Dans un conseil départemental :

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« En arrivant au bureau un matin, l’élu dont j’étais l’assistante (et qui me détaillait de la tête aux pieds tous les jours) me dit : “ T’as l’air énervée, t’as pas baisé hier ou quoi. ” »

A Paris, en réunion avec un député :

« – Tu sais, c’est marrant, je n’ai jamais couché avec une arabe ! – C’est marrant, moi je n’ai jamais giflé un député ! »

Ou à Paris encore, lors d’une réunion dans un ministère :

« Je suis la seule femme, l’un d’eux me dit : “Pendant que nous commençons le tour de table si vous alliez nous chercher un café ?” J’ai répondu : Excellente idée, pour moi ce sera un thé ! » »
Capture de
Capture de « Chair collaboratrice »

« Attention, je vais te Baupiner »

Pour « Chair collaboratrice », tout est parti de l’affaire Baupin.

Julie Rosenkranz, collaboratrice parlementaire et membre du collectif, explique qu’elle et ses collègues ont été « dégoutées » des réactions en interne après que le député ait été accusé d’agression et de harcèlement sexuel. L’ambiance a même empiré, à base de « Attention, je vais te “Baupiner” » ou de « Je peux toucher ton épaule ou c’est du harcèlement  ? ».

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Les collaboratrices sont rapidement tombées d’accord sur l’ouverture d’un lieu pour libérer la parole, et ce de manière anonyme.

Raconter les remarques, les gestes, le « banal », et arriver par l’accumulation à exposer l’ampleur du phénomène et le « caractère généralisé et permanent du sexisme en politique ».

Elles expliquent qu’il existe des spécificités au sexisme dans ce milieu (hiérarchie forte, sentiment d’impunité des élus, précarité des collaborateurs...) et que cela justifie la création de cet espace propre.

« Nous avons pris le parti de raconter pour montrer, démontrer puis vaincre. »

En moins d’une semaine, elles ont reçu une centaine de témoignages. Le Tumblr a été bien accueilli, explique Julie Rosenkranz. C’est drôle (et révélateur) : comme les personnes visées ne sont pas nommées, certains élus ont cru reconnaître un collègue... alors qu’il s’agissait d’un autre.

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Capture d'cran du Tumblr
Capture d’écran du Tumblr « Chair collaboratrice »

Outils de militantisme

Regrouper et susciter des témoignages, les diffuser (à l’aide des médias et des réseaux sociaux) pour exposer et donner une visibilité à un phénomène et agir dessus. « Paye ta robe », comme « Chaire collaboratrice », sont des petits outils de militantisme en ligne. Contre le sexisme, il en existe d’autres :

On le sait, les mouvements féministes se sont ainsi largement emparés d’Internet, en créant de nouvelles manières de se regrouper et d’agir.

« Les espaces féministes en ligne sont devenus un lieu-clé des processus d’échange et de transmission qui jouent un rôle majeur dans la culture féministe », écrit Anne-Charlotte Husson, chercheuse et blogueuse (« Les Crocodiles », éd. Le Lombard, 2014).

Sur ces Tumblr de témoignages, l’objectif est aussi de fédérer des « petits engagements individuels ». Pour Anaïs Bourdet, la graphiste de 31 ans qui a lancé « Paye ta shnek » en août 2012, l’outil permet d’établir un constat et ainsi d’être le point de départ d’une réflexion collective.

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« Après, on a besoin d’initiatives plus concrètes », ajoute-t-elle.

Comme les collaboratrices parlementaires, les avocates de « Paye ta robe » sont conscientes qu’un Tumblr n’est pas suffisant pour faire avancer les choses. Marie, qui fait partie de plusieurs collectifs militant pour l’égalité, dit qu’elle ne se privera pas de citer et de s’appuyer sur ces « remontées de terrain » quand l’occasion se présentera.

A l’approche des élections au bâtonnat du barreau de Paris, « Paye ta robe » pourrait peut-être permettre de mettre le sujet de l’égalité sur la table, avance Emmanuelle.

« Un trop plein qui s’est déversé dans mon mail »

Quand Anaïs Bourdet a lancé « Paye ta shnek » il y a quatre ans, elle ne militait pas dans des assos ou des collectifs et « n’était pas particulièrement engagée ». Elle ne se considérait à l’époque pas comme une féministe : « Paye ta shneck m’a réconciliée avec le mot. »

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Sur le site, pas de longues explications : simplement des mots-clé et des témoignages brut sur le harcèlement de rue.

Capture : extrait de
Capture : extrait de « Paye ta shnek »

Son Tumblr, ultra-médiatisé, a sans doute eu plus d’écho qu’aurait pu en avoir une campagne contre le sexisme.

« Ça a ouvert la vanne d’un trop plein, qui s’est déversé dans mon e-mail. »

Au début, elle pouvait recevoir jusqu’à 150 témoignages par jour. Depuis quatre ans, elle n’a de fait pas cessé d’en recevoir.

« Internet permet de mobiliser des personnes qui ne sont pas forcément militantes et engagées. C’est un mode de communication militant tellement “smooth” [en douceur, ndlr], qu’il permet de rallier du monde. »

Elle se considère aujourd’hui comme une « militante en ligne », non affiliée à un collectif. Et rêverait de voir les plateformes de témoignages se multiplier. Julie Rosenkranz fait remarquer que « Chaire collaboratrice » a reçu plusieurs témoignages de femmes ingénieures :

« Peut-être qu’elles seront les prochaines ? »

Le 20 septembre, Anaïs Bourdet, la créatrice de Paye ta shnek, a lancé un nouveau Tumblr, Paye ton taf, compilant des témoignages de sexisme au travail, que ce soit dans les domaines de la santé, du marketing, dans la banque ou dans l’administration...

Capture de
Capture de « Paye ton taf »
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