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Chronique

Pourquoi nos pépites de l'e-santé partent à l'étranger

Fondé sur un système de soins à la réputation mondiale, notre secteur de la santé fourmille d'entreprises innovantes... qui finissent par s'exiler faute de capitaux et étouffées par une réglementation trop envahissante.

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Par Sabine Delanglade

Publié le 26 oct. 2016 à 01:01

J e ne peux pas rivaliser éternellement avec mon Opinel ! » En juillet dernier, Bertin Nahum s'est résolu à céder Medtech à l'américain Zimmer. En 2002, l'ingénieur avait vendu sa voiture pour fonder son entreprise. En était sorti Rosa, un robot neurochirurgien. Apportant une précision deux fois supérieure à celle d'une opération manuelle, il s'est, à 500.000 euros pièce, exporté comme des petits pains. Un magazine canadien avait classé Nahum, quarante-six ans, quatrième entrepreneur le plus révolutionnaire de la tech mondiale. Mais le soutien du capital tricolore lui a manqué... Dommage. En avril, Nokia s'offrait le français Withings pour 170 millions. Créé en 2008, celui-ci s'était imposé dans le marché de la santé connectée. Pour en devenir le champion mondial, il avait besoin de soutien. Ses bracelets sont intelligents, le système français lui a mis des menottes. Début septembre, c'était une autre pépite, eDevice, qui passait sous pavillon chinois. Le bordelais avait fait sa fortune en fournissant au numéro un mondial du pacemaker le système pour faire basculer son parc mondial du téléphone classique au sans-fil. De son aventure, son fondateur Marc Berrebi, conclut : « La France sait faire éclore des pépites technologiques mais échoue pour les faire grandir. » C'est grave docteur ?

La France est pourtant, en théorie, bien placée, sa réputation en mathématique n'est plus à faire, celle de ses médecins non plus. Treize Nobel de médecine depuis 1907, trois depuis 2008. Certains services comme l'Institut Gustave-Roussy pour le traitement contre le cancer sont auréolés d'une renommée mondiale. Notre système de soins est réputé comme l'un des « plus enviés au monde ». Il serait dommage que ce grand pays de médecine ne soit pas aussi celui de l'e-médecine. Hélas, le démarrage est poussif. Une étude de Bercy (1) portant sur le déploiement de la santé 2.0 dans dix pays la relègue à l'avant-dernier rang, ex aequo avec l'Allemagne. Royaume-Uni, Espagne, Etats-Unis, Japon, Corée sont dans le peloton de tête, celui des « pays très avancés ». Les explications de ce retard à l'allumage sont légion. Côté capital, les investisseurs tricolores, déjà frileux, sont d'autant moins prêts à se jeter à l'eau que le secteur est ultra-régulé et qu'il est fort probable de se retrouver avec l'assurance-maladie pour seule cliente. Il y a les freins capitalistiques, il y a aussi ceux des mentalités. L'e-santé, pour être efficace, suppose la circulation et le partage des données médicales, l'évolution ne va pas de soi pour des professions médicales très individualistes. Il faut accepter que le système bascule du paiement à l'acte vers le traitement global du patient, tous ne l'admettent pas.

L'intelligence artificielle va-t-elle vraiment guérir le cancer, les écrouelles et prolonger de 1.000 ans la vie humaine ? Nimbus va peut-être un peu vite, mais, c'est sûr, les nouvelles technologies et le brassage des données qu'elles permettent sont en train de révolutionner la santé. La médecine prédictive a de beaux jours devant elle. Mais où vont aller et comment vont être utilisées ces milliards de données recueillies ? C'est le fond du problème. Une start-up, Cardiologs, créée par deux polytechniciens, travaille sur la lecture d'un électrocardiogramme par intelligence artificielle, l'aixois @Health a breveté un capteur intégré dans un vêtement qui enregistre toutes les dix secondes un ECG et le transmet via un smartphone. On est loin du colloque singulier derrière des portes capitonnées de cuir. Antoine Zins, ex-General Electric Healthcare, aujourd'hui chez l'investisseur The Family, travaille sur un projet de plate-forme destinée à prévenir la perte d'autonomie des personnes âgées. Il regrette que la capacité de la France à « réguler et légiférer sur la protection des données de santé » ait « souvent, au moins, une décennie de retard ». On parle du dossier médical personnel depuis 2004. Douze ans et 500 millions d'euros plus tard, toujours rien ou si peu. La législation étouffe à force d'encadrer. Médecin généraliste, Lavinia Ionita a exercé à Paris une dizaine d'années. Elle est passionnée par la prévention. Pour mettre au point la plate-forme diagnostique de ses rêves, propre à détecter l'éventualité de la maladie avant qu'elle ne se déclare, elle a créé sa société, Omixy, et préféré l'installer à Londres : « En Angleterre, tout est plus simple. »

Dynseo a réussi à trouver un équilibre. Fondée par Justine Sauquet, et sa mère, Dominique, vingt ans d'informatique médicale à l'AP-HP derrière elle, la jeune start-up est parvenue à numériser les tests cognitifs de repérage de la maladie d'Alzheimer. Cela les rend plus efficaces (possibilité de comparaison, mesure de l'évolution), mais en attendant la validation clinique, toujours longue, l'entreprise doit vivre. Dynseo a donc développé une série de jeux pour l'entraînement cérébral des seniors qui, connectés à une plate-forme, permettent de détecter les premiers signes de fragilité. Ils sont déjà installés dans plus de 200 maisons de retraite.

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On trouve un peu de tout dans l'e-santé, du robot de Nahum à la fourchette qui fait maigrir de Jacques Lépine - elle vibre quand on mange trop vite -, ou le pilulier de Medissimo, qui vous dit de prendre vos médicaments. Le docteur Franck Baudino, lui, a inventé la cabine intelligente, il a déposé les brevets de la première cabine de téléconsultation du monde. Le malade entre dans la cabine, un médecin apparaît sur l'écran, ils conversent, le médecin guide le patient, qui a tout ce qu'il faut pour sa tension, un examen dermato, un ECG, etc. Pour les régions isolées, les secteurs manquant de médecins, c'est génial. La société H4D en a vendu une vingtaine, une soixantaine sont en commande, l'accélération est nette, l'étranger démarre, tant mieux, car les délais y sont beaucoup plus courts ! Il reste des pépites françaises. Pour le moment.

Sabine Delanglade

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