Lettre à Pierre Larrouturrou
Cher Pierre,
Mon propos commence par comment faire la politique autrement et se termine par joindre les actes aux discours.
Depuis des décennies, les périodes électorales, nombreuses dans ce pays, se déroulent comme un même feuilleton : on prend les mêmes et on recomnence, pour ne citer que la primaire socialiste :
- B. Hamon, 49 ans, il a déjà cumulé 30 ans d'année-mandat;
- Arnaud Montebourg, 53 ans, qui n'est pas le pire, est à 30 ans d'années-mandat;
- Marie-Noelle Linnemann, 65 ans, dont 55 en tant qu'élue, toute une vie;
- Manuel Valls, éventuel recours, 54 ans, français depuis 36 ans, lui en cumule 30 ans d'année-mandat;
Et même l'inconnu François De Rugy, 42 ans dont presque 20 ans d'année-mandat.
Et je peux en citer d'autres tellement les cumulards et les cumulants sont nombreux ...
Pierre,
faire la politique autrement, c'est d'abord commencer par ne pas s'associer à ceux qui perpétuent les mandats, faisant de la politique un métier.
Ne pas le faire en se détachant c'est leur prêter caution.
Dans la primaire dite " citoyenne", les candidats les plus visibles sont cette fois Arnaud Montebourg – déjà candidat à la primaire de gauche de 2011 puis ministre du " Redressement productif " –, Benoît Hamon – lui aussi ministre de 2012 à 2014 – ou encore tres probablement François Hollande, Président de la République, qui lui est en politique depuis l'âge de six ans. En gros, les principaux candidats aux primaires monopolisent la sphère politique depuis plus de dix ans et ne voient aucun problème à tenter leur chance dès qu'ils le peuvent.
Le citoyen a le sentiment d'être enfermé dans une roue de hamster infinie où les visages de Sarkozy, Juppé et Montebourg tournent en boucle, sans cesse, jusqu'à se donner envie de se frapper la tête sur un radiateur en fonte.
Des visages dont la plupart de nos concitoyens vomissent les apparitions qui occupent nos postes de télévision depuis bien trop longtemps. Combien de fois avons nous entendu " on nous vend un processus de désignation plus ouvert et démocratique, mais on se tape les mêmes repris de justice et autres éléphants qu'il y a cinq ans. Le manque de renouvellement de la classe politique est déjà une raison de ne pas aller voter et ne donne pas envie de les suivre. ".
Faire la politique autrement et ne pas se détacher de cette absence manifeste de renouvellement, c'est cautionner celles et ceux qui lui résistent.
Se joindre à eux dans une opération de sauvetage politique c'est offrir une fenêtre de légitimation des caciques, dépourvus de légitimation citoyenne.
Faire la politique autrement donc sans intégrer le rejet total de la politique actuelle qui est en cause, en s'éloignant un maximum de ce qui le symbole, c'est ériger l'incohérence en doctrine pour un opportunisme électoral.
Car, pense un bon nombre d'entre-nous " dans la liste des engagements non tenus, à quoi bon clamer que "l'ennemi c'est la finance" si c'est pour être incapable de se dresser contre le système ? À quoi bon se dire "de gauche" si c'est pour se fendre d'une déchéance de nationalité, d'une Loi Travail passée au forceps, voir le nombre de SDF grimper en flèche, et laisser son Premier ministre déblatérer sur le burkini ? "
Je ne sais pas toi, mais moi, si on a les politiques qu'on mérite, les voir jeter de l'huile sur le feu sur des questions identitaires, ignorer les vrais problèmes, tout ça dans des perspectives d'électorat, c'est insupportable.
Faire la politique autrement c'est aussi les dénoncer sans contraintes ni s'enfermer dans leurs pièges organisationnels tels que la prétendue primaire citoyenne.
Pierre,
C'est toi même qui disait qu'Il y a une partie de la gauche qui court après le MEDEF, la dite partie suffisamment représentée dans ce council social-libéral de désignation, et tu veux rejoindre la primaire ? (1)
C'est toi même qui reprochait aux verts d'avoir soutenu la politique du gouvernement pendant deux ans et maintenant tu veux concourir avec les anciens membres du même gouvernement, plus impliqués parfois dans les choix politiques, alors qu'EELV essaye de sauver la face en se démarquant de cette mascarade ? Et d'ailleurs, Cécile Duflot n'a-t-elle pas payé un peu sa participation au gouvernement ?
C'est toi même qui disait "François Hollande, n'a aucune excuse", et qu'étant donné l'échec du quinquennat, en participant à la primaire socialiste tu seras obligé par honnêteté et "loyauté" de te conformer à la règle qui dit : " Je m’engage à soutenir publiquement le (la) candidat-e qui sera désigné-e à l’issue des élections primaires citoyennes et à m’engager dans sa campagne.".
Dans ce cas,Pierre, appelerais-tu à soutenir sans ambiguïté, au nom de Nouvelle Donne, à soutenir publiquement F. Hollande ou M. Valls s'ils remportent les primaires ?
Tu imagines le coup de massue que subiront les militants à te lire ou à t'entendre exprimer un tel soutien à celui que 96% de français voient comme mauvais Président ?
Ce n'est pas toi qui disait, "Les vieux partis, qui se succèdent au pouvoir, font sans cesse les mêmes politiques. Einstein disait que reproduire la même chose en espérant un résultat différent, c’est la définition de la folie. Parmi les partis créés récemment, aucun ne nous semble crédible. Comme citoyens, nous pensons qu’il existe un besoin de radicalité, d’une nouvelle manière de faire de la politique." ?
Alors qui a-t-il de véritablement changé pour s'y associr dans une supposée "Alliance Populaire" dont la beauté est hypothèquée par le passif du quinquennat ?
Et puis, toi qui te déclarais élève de René Dumont, disciple de Jaurès, ou promoteur des idées de Jean Jouzel, l’un des meilleurs climatologues français, soutien de première heure de Nouvelle Donne, tout comme Marie-Monique Robin, lui qui a martelé la nécessité de " changer le credo économique dominant pour passer "d'une croissance purement capitaliste, où seul l'argent compte, à une croissance plus écologique et plus respectueuse de l'environnement", thèse en opposition avec la vision économique dominante chez les candidats à cette primaire Imaginerais-tu un seul instant ces femmes et hommes apporter une quelconque caution à une primaire de l'échec ?
Et puis, parlons de la visibilité et des idées !
Nouvelle Donne est peu ou pas visible. C'est un fait indéniable. Cela est dû, et tu le sais très bien, à plusieurs facteurs (jeunesse du mouvement, propositions souvent portées par d'autres plus médiatisés, absence de personnalités charismatiques depuis la disparition de Stéphane Hessel.. etc)
Alors, au lieu de se hasarder dans une primaire dont on connait le méthodes détestables (et tu les as bien connues ) et le résultat couru d'avance, pourquoi ne pas se demander comment se constitue, s'entretient et se développe ce " crédit " ?Quelles dispositions permettent d'attirer l'attention des médias et surtout de la conserver ? Ne faut-il pas certaines compétences spécifiques pour tirer profit durablement de ces jeux sur les apparences ? Et pourquoi tes interventions nombreuses autour de tes publications n'ont pas été mises à profit de la communication de Nouvelle Donne ?
Et quid du programme ?
Pierre, Tu parles, souvent à juste titre et ND partage tes convictions, de l'augmentation des inégalités, de la soif de justice sociale, de l'humain d'abord, de la réduction du temps de travail, de la taxe Tobin ou des déréglements climatique, ou du respect des citoyens entre autre.
Ne te viendrais pas à l'idée que, au delà de la visibilité escomptée, sachant que tu n'as aucune chance de gagner cette primaire, ni même faire un score, que tu vas directement vers le soutien de celui qui a fait le contraire de ce que tu prônes ?
Tu n'es pas sans savoir qu'en France, le sentiment d’injustice se renforce . Le sondage de l’institut CSA pour La Croix révèle une France inquiète des injustices, notamment celles qui sont liées au chômage et aux inégalités salariales;
Comme tu sais que les échecs de ce quinquennat touchent la régression des des droits sociaux, que la loi travail imposée sans dialogue social et subordonnant le pouvoir législatif au pouvoir exécutif. Une des manifestations des plus archaïques du régime présidentiel de la V ème République !
Et tu n'es pas sans savoir que la COP21 et son accord de Paris, mit à l'actif de celui que tu risques de soutenir à l'issue de ce tour de passe passe, n'est dans les actes qu'un trompe l'oeil tellement les égoïsmes nationaux, notamment des pays les plus grands émetteurs des gaz à effet de serre, sont très forts. Encre un échec qui devait faire réfléchir avant de s'engager dans une primaire à des années lumières de ce qu'est "faire la politique autrement".
Sans oublier les déconsidérations répétitives dans la parole publique observées et relevées de ceux là mêmes qui disent le contraire.
Le dernier livre des confidences du Président sur les "sans-dents", sur les juges ou précédemment sur les français de souche, de même que les sorties des soutiens de M. Valls sur la racaille des quartiers devraient repousser plus d'un.
Cher Pierre,
Tous ces rappels portent sur tes engagements, qui sont devenus de fait, des engagements de Nouvelle Donne. Tu as fait un choix de devenir le porte parole de Nouvelle Donne. La raison, la sagesse et la vision à long terme devraient t'amener à renoncer à cette primaire. Une telle décision - la non participation - participera sans aucun doute au redressement de notre organisation. Car comment allons nous justifier une participation pour choisir parmi ceux qui ont crée les problèmes pour les résoudre ?
Alors joins les actes aux discours.
C'est tout ce que retiendra l'histoire ! Renonces à la participation à la primaire du Parti Socialiste.
Pierre,
Ceux que tu vas cautionner par ta participation, sont ceux que Stephane Hessel, une voix et une voie pour Nouvelle Donne, a dénoncé dane Indignez-vous laissé faire. Rappelles-toi :
"Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner, si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance".
Francois Hollande n'avait aucune excuse, mais il a failli !
Mon amitié
Mohamed Bentahar
Comite Local 72
(1) http://www.regards.fr/web/pierre-larrouturou-on-peut-changer,7747