Policiers et syndicats : histoire d'une rupture
Malgré l'entretien entre les syndicats des forces de l'ordre et François Hollande mercredi soir et les mesures annoncées, des marches nocturnes de policiers ont été organisées dans la nuit. Une mobilisation spontanée qui semble échapper aux représentants syndicaux. Plusieurs éléments expliquent ce décalage entre la base et les organisations professionnelles.
La colère des policiers vise aussi leurs représentants syndicaux. (Reuters)
"J'ai réalisé, comme beaucoup de mes collègues, que les principaux syndicats (Alliance, Unsa, Unité SGP) ne travaillent pas dans notre intérêt." Le constat d’un gardien de la paix en Seine-Saint-Denis, publié par Le Point , est symptomatique du décalage entre policiers et syndicats. "Ils sont surtout préoccupés par leur propre conflit, c'est-à-dire accuser tel ou tel syndicat d'avoir trahi un autre", ajoute le policier.
Dans l'un des premiers SMS appelant à la mobilisation , on pouvait déjà lire la défiance des policiers à l’égard des organisation professionnelles, décrites comme étant "des élites syndicales enlisées dans leurs conflits". Joint par le JDD, le secrétaire général adjoint du syndicat Unité SGP-police FO, Daniel Chomette, avait justifié le côté spontané du mouvement des forces de l'ordre par le fait que les syndicats ne pouvaient pas lancer un mouvement de grève : "Nous sommes des policiers républicains, en tant que syndicat nous avons une responsabilité, nous ne pouvons pas appeler au débrayage."
Mais Luc Poignant, membre de la même organisation, semble confirmer les tensions existant entre les représentants de la police : "L’unité n’existe pas." Interrogé par Public Sénat , il regrette que chaque syndicat ait lancé un appel au rassemblement ces derniers jours, sans union globale.
Syndicat contre syndicat
Si Alliance police et Unité SGP-police FO sont majoritaires chez les gardiens de la paix, il existe "une multiplicité de syndicats, qui défendent chacun leur catégorie" explique Jean-Marc Berlière, historien spécialiste de la police. Chaque corps de métier, chaque grade, a sa propre corporation ; une partition sur laquelle se superpose aussi une division géographique. "Les syndicats sont dans un rapport de force, les uns contre les autres", analyse le chercheur, contacté par le JDD.
La rupture date, pour l’historien, de la disparition du Syndicat général de la police (SGP) dans les années 1980, une corporation quasi-unique à l’époque. "Le SGP était toujours dirigé par le corps le plus nombreux, précise Jean-Marc Berlière, et les représentants ne pouvaient pas avoir un grade supérieur à celui de brigadier, un salaire maximum était fixé pour les dirigeants du syndicat."
"Entre 65 et 90% de syndiqués"
Ce sentiment de trahison transparaît dans les résultats des dernières élections professionnelles. "Pour les votes antérieurs, l’abstention était de 20%, note Jean-Louis Loubet del Bayle, sociologue, auteur d’une Sociologie de la police. En 2014, la participation était de 68%. Ce différentiel prend sens rétrospectivement."
Pourtant, "il y a entre 65% et 90% de syndiqués selon les corps de police", soutient Daniel Chomette (Unité SGP-police FO), ce qui selon lui discrédite l'hypothèse d'une rupture entre la base et les représentants syndicaux. C'est en effet un chiffre record en France, où la moyenne nationale avoisine les 7% . "Les syndicats aujourd'hui ne sont absolument pas discrédités" renchérit Jean-Claude Delage, secrétaire général d’Alliance police.
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Adhérer pour un poste, un salaire, une mutation
Mais ces chiffres sont biaisés. "Dans la police, l’avancement dans la carrière est géré par une organisation paritaire, composée de représentants des syndicats et de l’administration", explique Jean-Louis Loubet del Bayle. Salaires, titularisations, mutations, changements de grade : ce sont ces commissions qui décident. "L’adhésion syndicale d’un policier ne reflète donc pas une adhésion idéologique", soutient le chercheur.
Pour le policier interrogé par Le Point, "entrer dans un syndicat est un moyen, sinon le moyen, d'avancer dans sa carrière." Une "ambiguïté" pour le sociologue de la police, due à la proximité entre les organisations professionnelles et l’administration. "En suivant quelques carrières, on se rend compte que certains représentants syndicaux hauts placés, proches du pouvoir en place, ont ensuite accédé à des postes de directeur de la police générale", explique de son côté Jean-Marc Berlière.
Pour certains policiers, leurs représentants utilisent leur parcours syndical pour accéder à une carrière politique. L'ancien secrétaire général du syndicat Synergies-Officiers, Bruno Beschizza, est par exemple maire Les Républicains de la ville d'Aulnay-sous-Bois depuis 2014. Selon Jean-Marc Berlière, le mouvement de colère des policiers pourrait même aboutir à "une recomposition syndicale totale".
Source: leJDD.fr
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