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IRAN

Iran : les émoticônes "islamo-sexy" des "bons petits chiites"

Deux stickers, postés par des utilisateurs iraniens sur Telegram.
Deux stickers, postés par des utilisateurs iraniens sur Telegram.
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On peut être un musulman pratiquant et croyant et avoir envie de s’amuser sur les réseaux sociaux. En Iran, de plus en plus de jeunes conservateurs mêlent ainsi religion et culture internet : récemment, sur les réseaux sociaux Instagram et Telegram sont apparus des émoticônes et des stickers faisant référence à des préceptes de l’islam tout en mettant en scène des couples ayant un contact physique. Ce qui est formellement interdit en Iran, et que les responsables religieux n’apprécient guère.

Des stickers Telegram représentant un homme et une femme ayant un contact physique – ce qui par exemple n’a jamais été montré à la télé iranienne.

Facebook et Twitter sont officiellement interdits en Iran. Les Iraniens s’y connectent néanmoins grâce à des VPN et les deux réseaux sont très populaires : Facebook compterait 17 millions d’utilisateurs. C’est ceci dit moins que deux autres fleurons du web 2.0 qui sont eux autorisés et cartonnent : Instagram, avec 33 millions d’utilisateurs et Telegram, un service de messagerie en ligne sécurisé, qui compterait 20 millions d’utilisateurs au sein de la République islamique.

Si la plupart des utilisateurs semblent être des Iraniens aux positions modérées ou progressistes, de plus en plus de comptes arborent des symboles religieux ou des références au régime de la République islamique – mais à la sauce 2.0 : des portraits du Guide suprême Ali Khamenei ornés de cœurs, des conseils pour être un "bon petit chiite" avec des dessins évoquant Walt Disney ou les mangas japonais. Jusqu’à jouer avec les limites de la morale, comme en témoigne le récent exemple des émoticônes et stickers montrant des hommes et des femmes ayant un contact physique.

"On dépasse largement ce qui d'habitude fait office de ligne rouge en matière de morale"

Shima est doctorante en sociologie. Ses recherches portent sur les réseaux sociaux en Iran. Selon elle, les leaders religieux ont longtemps regardé les réseaux sociaux comme "immoraux". Avant de les considérer come une menace politique, après le mouvement de protestation qui a suivi les élections de 2009.

Après les manifestations de 2009, les réseaux sociaux sont devenus un sujet politique, les autorités y ont été de plus en plus hostiles comprenant qu’ils permettaient aux Iraniens de s’organiser entre eux et d’organiser des manifestations. Les autorités et leurs soutiens ont alors violemment critiqué Facebook et Twitter. Mais l’Iran est un pays de contradictions. Certains de ceux qui formulaient ces citriques utilisaient en même temps d’autres réseaux sociaux comme FriendFeed puis Google+, par exemple le Hezbollah iranien [un groupe d’activistes conservateurs, indépendant du Hezbollah libanais] ou le Basij [un groupe paramilitaire contrôlé par les Gardiens de la Révolution]. Je me rappelle d’un membre du Hezbollah qui, en 2009, avait posté sur FriendFeed, avant une manifestation du mouvement vert contre le résultat des élections : "allons faire saigner quelques manifestants".

La jeune génération de conservateurs voulait exploiter et maîtriser les réseaux sociaux, mais a dû se résigner à critiquer vertement Facebook et Twitter dans le sillon des dirigeants iraniens.

Des images Instagram publiées par un utilisateur iranien. Sur la gauche, on peut lire : “un bon petit chiite peut adapter la Saint-Valentin pour qu’elle soit conforme à ses convictions. Elle devrait être célébrée le jour du mariage de Zahra, la fille du prophète ". Sur la droite, la photo d’une tradition chiite avec un texte de prière.

 

Telegram et Instagram sont devenus populaires après l’élection en 2013 de Hasan Rohani, un centriste, à la présidence de la République. Son gouvernement a mis fin aux blocages de ces nouvaux moyens de communication. Et petit à petit, les figures conservatrices et religieuses, et même les médias ultraconservateurs, se sont eux aussi créé des comptes Instagram et Telegram.[par ailleurs, même si Facebook et Twitter sont interdits en Iran, de nombreux très hauts responsables, à commencer par le président Hasna Rohani, ont des comptes officiels sur ces réseaux]

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Pour naviguer sur internet, les proches du pouvoir iranien enfreignent leurs propres lois

Des stickers Telegram montrant le Guide suprême iranien, Ali Khamenei…. avec des cœurs

En fait, ces conservateurs ont tout simplement compris la puissance des réseaux sociaux. Et beaucoup de jeunes conservateurs veulent désormais changer l’image rigoureuse des Iraniens avec quelque chose de plus cool, de plus drôle.

Ils ont donc fait ce qu’ils pouvaient pour rendre des posts à la fois islamiques et dans l’air du temps. Je parle là des gens qui veulent à la fois être de "bons petits chiites" et faire comme les jeunes de leur âge en étant actif sur les réseaux sociaux.

"Il y a un écart immense entre une partie de la jeunesse conservatrice et les leaders religieux iraniens"

Des comptes ont même été au-delà du "cool" pour faire dans le "sexy", du moins de ce qui peut être considéré comme tel du point de vue d’un conservateur iranien. On peut donc ainsi désormais trouver des émoticônes et des stickers représentant des hommes et des femmes ayant un contact physique. Bien évidemment, dans l’esprit de ceux qui font ces dessins, il est clair que l’homme et la femme sont mariés. Mais le simple fait de montrer un contact physique entre un homme et une femme, venant de la sphère conservatrice, dépasse largement ce qui d’habitude fait office de ligne rouge en matière de morale dans le discours officiel. Montrer tout contact physique, même un câlin ou un baiser entre personnes mariées, est interdit en Iran. Ces stickers et émoticônes suggèrent qu’il y a un écart immense entre une partie de la jeunesse conservatrice et les leaders religieux iraniens.

Un autre sujet les divise d’ailleurs : les relations entre un homme et une femme en ligne, qui pourraient conduire à des changements graduels dans l’environnement conservateur en Iran. Il y a dix ans, dans les foyers religieux, il était impossible pour qui que ce soit d’avoir une quelconque relation avec une personne d’un autre sexe avant le mariage, sinon les membres de leur famille proche. Les choses ont changé avec les réseaux sociaux et quelques clics suffisent pour être en contact avec une personne de l’autre sexe. De nombreux ayatollahs ont critiqué cela. Ils ne se soucient pas des Iraniens non conservateurs, qui de toute façon, ne les écoutent pas. Mais ils craignent de se faire dépasser par ce qui se passe sur les réseaux sociaux – et ils ont bien raison de le craindre.

Des stickers Telegram montrant différent designs du slogan “A bas les Etats-Unis”

En août 2015, l’ayatollah Nasir Makarim Shirazi, un membre influent du clergé chiite iranien, avait critiqué Telegram, estimant qu’’il ne fallait "pas en être esclaves". "C’est un plan de nos ennemis pour pervertir nos jeunes. Il y a beaucoup de contenus anit-islamiques et anti-chiites sur Telegram. Les dirigeants devraient mettre fin à cela "avait-il déclaré.

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