Peut-on vraiment tout ubériser ?

L’ubérisation révolutionne l’économie et la société. Mais elle ne pourra pas se propager à tous les secteurs.

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Peut-on vraiment tout ubériser ?

Publié le 29 octobre 2016
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Par Cyril Masson.

By: Alper ÇuğunCC BY 2.0

Uber et sa mise en relation de clients et de chauffeurs VTC a tellement marqué les esprits dans le  monde récent des affaires que le mot « ubériser » est quasiment entré dans le dictionnaire de nombreux pays, inspirant une nouvelle forme de modèle économique. Nombreux sont ceux qui, que ce soit pour valider le modèle ou le dénoncer, prévoient que l’économie toute entière va se faire ubériser. C’est-à-dire finalement que tout secteur de service pourrait, grâce au développement d’une application bien pensée, se retrouver menacé par un nouvel entrant qui aurait pour fonction principale de jouer l’intermédiaire de livraison entre le producteur du bien ou du service, et le client final.

Les secteurs déjà ubérisés ou en cours d’ubérisation

L’exemple le plus criant qui ait suivi est évidemment celui de la livraison de restauration à domicile avec les acteurs (dont fait partie Uber avec UberEats) tels que Foodora, Deliveroo ou encore Take it Easy qui a récemment cessé ses activités. Mais ce dernier n’est pas le seul à faire les frais d’un modèle qu’il est intéressant de questionner. Un peu plus tôt, TokTokTok, pourtant parmi les premiers sur le créneau de la livraison à domicile, avec à sa tête des dirigeants brillants et une technologie qui ne l’était pas moins, et qui a été revendue lors de l’arrêt de l’activité, ont aussi buté sur le modèle.

Autre secteur à faire les frais du même modèle : celui du pressing à domicile aux États-Unis. La cessation d’activité de la société Washio, qui avait pourtant levé près de 17 millions de dollars pour créer un service de livraison de services de pressing à domicile dans plusieurs grandes villes américaines, à l’instar de jeunes sociétés qui débarquent en France sur le même modèle (Cleanio, ZipJet, …) et consistant à faire sous-traiter le service de pressing à des acteurs spécialisés et les faire retirer et  livrer à domicile grâce à une application très bien faite.

N’oublions pas qu’Uber lui-même perd encore plusieurs milliards de dollars par an sur le marché mondial et doit probablement une bonne partie de sa valorisation actuelle principalement à sa croissance, sa taille de marché et l’espoir qu’un jour (peut-être grâce à la voiture autonome sans chauffeurs) les courbes de CA et de charges de développement vont se croiser.

Et c’est là tout le modèle lui-même qu’il faut questionner : il repose sur plusieurs hypothèses qui peuvent être mises à mal si on les juxtapose.

Un modèle économique encore incertain

Uber mise sur sa capacité à donner du travail à une population qui en est exclue, ce qui est très positif, mais qui lui permet aussi de contracter ses prix de manière unilatérale pour satisfaire toujours plus de clients, au risque de restreindre jusqu’aux limites du possible les revenus des chauffeurs/livreurs eux-mêmes. Les acteurs tels que Foodora ou Deliveroo font finalement de même avec les livreurs en vélo. C’est évidemment possible car il y aura malheureusement toujours une population exclue de l’emploi et dont la seule alternative sera d’accepter des conditions de travail difficiles plutôt que de n’avoir aucun revenu.

Mais du point de vue d’Uber, on peut quand même arguer que la plateforme est le seul intermédiaire entre le client et le service. Lorsqu’il s’agit en plus d’en ajouter un autre, comme la restauration ou le pressing, ou encore tout autre bien à livrer, il faut compresser non pas 1 mais 2 éléments de la chaîne, à savoir d’un côté le producteur (le restaurant, le pressing, …) et de l’autre côté le livreur, tout en maintenant une tarification qui ne soit pas trop dissuasive pour le client final afin de maintenir l’espoir d’un marché de masse. Or, du côté du livreur, tout professionnel vous dira qu’il est difficile de faire tomber les coûts de livraison unitaires d’un produit un peu volumineux (comme un sac de nourriture ou un costume) sous les 6 ou 7 euros HT. Ce qui signifie que de l’autre côté de la chaîne, la marge dégagée doit être suffisante pour, non seulement absorber ce coût de livraison (2 fois dans le cas d’un pressing qui récupère et livre), mais aussi l’ensemble des coûts d’acquisition (marketing), de développement (l’application), et de gestion (ceux qui font tourner la société et les frais associés tels que bureaux, comptabilité, etc…).

Prenons le cas d’une marge de 40% sur le service produit (c’est déjà beaucoup, un service qui accepte de laisser 40% de marge), et au mieux un coût de 6 euros HT de livraison, cela signifie que le panier moyen d’équilibre est au minimum de 15 euros HT avant de commencer à espérer générer des marges pour absorber le reste de la structure et sauf à faire payer au client final les coûts de livraison bien entendu. C’est dire si le volume de livraisons à effectuer doit être important pour atteindre la rentabilité, et donc les frais de marketing pour générer ce volume et acquérir les clients.

Alors évidemment restent d’une part le volume, car ces services peuvent miser sur la mondialisation une fois qu’ils prouvent leur bien fondé sur un marché, et le traitement marketing des données collectées auprès des clients qui, bien exploitées peuvent représenter de la valeur.

Mais il est également probable que pour espérer durer sur les métiers où la livraison est un enjeu majeur, la maîtrise de la production semble également un levier à exploiter pour éviter de n’avoir à reposer que sur la contraction des marges sur l’ensemble de la chaîne et faire reposer le succès sur l’unique espoir de voir les courbes de CA et de charges se croiser un jour.

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  • Il faut surtout parvenir a UBERISER la Politique.

  • Je pense que vous avez tord: tout peut s’Uberiser en France, à cause des taxes et des charges sociales. L’avenir de l’Uberisation, c’est pour les petits joueurs, pour le complément de revenus des salariés ou des retraités à qui on impose un régime social obligatoire.

    Imaginons qu’un effort vaille 100€ et que vouliez acheter la même somme en marchandises.

    Si vous êtes salarié, ce même effort se traduira par 50€ après charge sociales, puis moins de 30€ après impôts, taxes et TVA.

    Si vous vous entendez avec des amis à créer une entreprise en régime fiscal SAS, que vous ne vous vous payez pas de revenus ni de dividendes. Votre entreprise a tout de même besoin de téléphones, ordinateurs, Internet, cafetières, logement, … etc, vous pouvez vous faire payer des frais professionnels, costumes, essence, etc… Après les 14% d’Impôts, si vous n’avez pas de dettes, le même effort se traduit par 86€ et pouvez acheter la marchandise hors taxe.

    => Donc, grosso-modo le même effort se traduit par 3 fois plus de capacité d’achat, sans chercher à faire du black, ni montage compliqué avec relocalisation d’entreprise au UK.

    L’avenir de l’Uberisation viendra quand les gens comprendront ce facteur 3.

  • En fait dans l’Uberisation, c’est pas « Uber » qu’il faut regarder, ni le marché de cette société ou des sociétés qui travaillent dans des domaines similaires ou connexes.

    Que Uber ou des plateformes déposent le bilan ou périssent ne change rien au principe d' »Uberisation ».

    L’Uberisation signifie la fin du salariat et le remplacement dans un monde ou la facturation « personnae’ de son travail a remplacé le principe actuel de patron-salarié. C’est une rupture sociétale

    Oui ou non, tout le monde pourrait travailler en facturant son travail, et les entreprises fonctionner qu’avec des personnes « facturées » au lieu d’être « employées?

  • Take it Easy, TokTokTok et autres n’ont pas montré les limites du modèle, mais ont échoué face à la concurrence. Cela arrive, et cela n’a rien à voir avec l' »uberisation ». D’ailleurs, cela n’est pas même pas de l’uberisation, mais simplement de la vente en ligne.

  • Les commentaires sont fermés.

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