Oliver Stone : "Si l'Amérique s'effondre, ce sera de notre faute"

Le réalisateur de Platoon nous avait confié son inquiétude quant à l'avenir de son pays mais ce n'était pas Trump qui l'effrayait le plus. Entretien musclé.

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Oliver Stone sur le tournage de Snowden avec l'acteur Joseph Gordon-Levitt
Oliver Stone sur le tournage de Snowden avec l'acteur Joseph Gordon-Levitt © Open Road Films

Temps de lecture : 7 min

Il y a eu un avant et un après Snowden. Le cataclysme planétaire que ses révélations de juin 2013 ont provoqué ne s'explique pas par la découverte que la NSA surveille tous les États de la planète : ça, on le savait – Snowden en a simplement apporté la preuve. Mais le siphonnage de toutes les données transitant chez les opérateurs de télécom, les mandats secrets d'une justice fédérale sous emprise, les dispositions inconnues de lois tentaculaires, le pouvoir démesuré des services de renseignements pour pénétrer dans l'intimité de chacun : tout ceci a été révélé par Edward Snowden.

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Son caractère effacé, presque insipide, sa vie a priori si ordinaire, rendent bien sûr follement romanesque son passage du côté des lanceurs d'alerte, ces pirates des temps modernes. Qu'un film lui soit consacré n'est donc pas surprenant. Et que ce film soit signé Oliver Stone encore moins : le cinéaste n'est jamais aussi bon que lorsqu'il s'abreuve à la source des désillusions patriotiques et des idéalismes forcenés. Il utilise Snowden pour dépeindre sa vision actuelle des États-Unis et fait de son combat contre l'oppression numérique le dernier avatar de la (re)conquête des libertés. Qu'on n'attende pas de sa part un point de vue nuancé. Oliver Stone est un militant.

Le Point Pop : Vous ne vouliez pas faire ce film au départ. Pourquoi avoir changé d'avis ?

Oliver Stone ©  Willy Sanjuan/AP/SIPA
Portraitiste. De « J. F. K. » à « W », Oliver Stone ­affectionne les études de personnalités. © Willy Sanjuan/AP/SIPA

Oliver Stone : Ce genre d'histoire est difficile à raconter cinématographiquement : les écrans d'ordinateur, la bureaucratie, c'est ennuyeux, il n'y a pas de course-poursuite, pas d'échange de tirs... Edward Snowden ne ressemble pas à James Bond et le script qui en découlait était forcément très cérébral. J'ai changé d'avis après l'avoir rencontré plusieurs fois. J'ai trouvé sa transformation intéressante : comment ce jeune conservateur qui croyait à la guerre en Irak en est-il arrivé à remettre en question le système ?

Certains disent que c'est parce que Snowden sert les intérêts de Poutine...

C'est d'autant plus faux qu'il a souvent critiqué la Russie. J'ai parlé à Poutine et il m'a dit qu'il n'approuvait pas les agissements de Snowden. Si les États-Unis avaient eu un accord d'extradition avec la Russie, Poutine l'aurait extradé. Ce n'est pas comme s'il avait beaucoup d'admiration pour les lanceurs d'alerte.

Vous, oui ! Dans la guerre entre sécurité et surveillance, vous avez choisi votre camp.

C'est une fausse équation. Le gouvernement dit : « Donnez-nous vos droits civiques et nous vous protégerons. » Mais il a démontré qu'il était incapable de nous protéger. Aujourd'hui, on a 17 ou 18 agences de renseignement et aucune n'a pu empêcher les bombes à Boston ou à Orlando... De plus, c'est un contrat kafkaïen. Retirer les droits civiques, c'est ce que les nazis ont fait en 1933. On a la même mentalité que les Allemands à l'époque. J'ai ma vie privée, j'ai mes secrets et j'ai le droit de les garder. Liberté, égalité, fraternité : ils veulent tout nous prendre. Voltaire se retournerait dans sa tombe.

Si la surveillance est inefficace, pourquoi s'acharne-t-on à la mettre en place ?

C'est une question de contrôle, de pouvoir socioéconomique. La présidente du Brésil tombe : qui sait si une surveillance des activités de Petrobras n'alimentait pas cette guerre politique ? L'Ukraine, la Turquie, avec la surveillance de masse – toutes ces situations sont exploitables par les États-Unis. Ils peuvent savoir ce qui se passe dans la poche de Merkel ou dans celle de Hollande. Mais un pays qui tente de gouverner le monde entier, ça ne peut pas marcher sur le long terme. Si l'Amérique s'effondre, ce sera de notre propre faute ! Quand on dépense des milliards de dollars dans les armes et la surveillance, il faut un ennemi : c'est 1984, avec la « Semaine de la haine », où les médias travaillent la population pour qu'elle déteste les nouveaux ennemis qu'on lui présente. Des ennemis comme Poutine, par exemple.

Snowden pensait que l'élection d'Obama changerait la donne. Avez-vous été aussi déçu que lui ?

Obama semble avoir subi un lavage de cerveau. Il est coincé par le système militaire, industriel, technologique, sécuritaire, financier et médiatique. Et il est probable que ce soit pareil pour le prochain président. Trump et Clinton parlent tous deux de rendre l'Amérique « plus puissante ». C'est comme s'il n'était plus possible d'être un candidat en faveur de la paix, de la modération.

Vous avez déclaré que Hillary Clinton était « plus dangereuse que Donald Trump ».

Je ne l'ai pas dit dans ce sens-là. Simplement, Trump n'a aucune chance d'être élu parce que la vaste majorité des médias est contre lui [l'entretien a eu lieu quelques semaines avant l'élection de Trump, NDLR]. Et il est très inconstant. Mais Clinton... Elle a dit des choses très dures sur Israël, a insulté les Russes et ne semble pas avoir appris des expériences syrienne, libyenne, irakienne. Elle a participé au bombardement de la Yougoslavie, a plus ou moins soutenu le coup d'État au Honduras... Elle a toujours été du mauvais côté de l'histoire et a contribué à mener les États-Unis vers ces désastres. Je serai très inquiet si elle est élue.

On a le sentiment que vous ne croyez plus beaucoup en votre pays...

J'ai l'impression que l'histoire américaine est devenue un conte de Disney. Mon cauchemar serait qu'on m'enferme à Disneyland pour le reste de ma vie.

ITALY-FILM-FESTIVAL-SOUTH OF BORDER © FILIPPO MONTEFORTE
Hugo Chavez (à gauche) et Oliver Stone lors du festival de Venice, le 7 septembre 2009. © FILIPPO MONTEFORTE


Il y a pire, non ? Vous souteniez Chávez : regardez où en est le Venezuela aujourd'hui !

Chávez parvenait à équilibrer toutes les forces en jeu et bien que les États-Unis aient tenté par tous les moyens de le renverser, y compris à travers un coup d'État, il est parvenu à se maintenir. Certains s'interrogent d'ailleurs sur les causes de sa mort parce que c'était un homme vigoureux… Quoi qu'il en soit, je pense que la politique de Chávez a complètement changé le Venezuela. Il a donné le pouvoir et l'éducation au peuple. Avant Chávez, le pays était misérable.

Il ne va pas mieux…

Bien sûr que si ! Ils ont une éducation…

Mais pas de quoi se nourrir !

Si, c'est simplement que la nourriture n'est pas distribuée correctement. Il y a beaucoup de problèmes de marchés noirs et la politique monétaire a été mauvaise. Écoutez, c'est dur de gouverner un pays comme celui-ci, mais les gens vivent dans des logements bien meilleurs qu'auparavant. Oui, il y a des difficultés, mais le progrès est là.

Votre cinéma est toujours très engagé politiquement. Un blockbuster façon Jason Bourne, ça ne vous tenterait pas ?

Je ne fais pas du cinéma politique ! J'ai fait des films sur des criminels, du football, de l'économie, de l'histoire... Jason Bourne est très bien fait. Mais si je rencontre un Snowden et que j'apprends ce que j'apprends, comment pourrais-je lui préférer un Bourne ?

Notre avis

Plus encore qu'une plaidoirie ou qu'un pamphlet, Snowden est un portrait, une étude de personnalité comme les affectionne Oliver Stone, celle d'un jeune homme idéaliste qui finit par remettre en question l'autorité et le système. Si son parcours et ses dialogues évoquent irrésistiblement les héros de J.F.K. et Né un 4 juillet, Edward Snowden, lui, n'a rien de flamboyant. Loin de l'exubérance d'Alexandre ou la véhémence de W, son film consacré à George W. Bush, Stone est ici contraint à la placidité. En fait de guerre et de sexe, du code et des algorithmes. En fait de passion, de la réflexion. Et ce n'est pas plus mal. Certes, le spectateur est clairement amené à prendre le parti du lanceur d'alerte. Mais au moins le fait-il au terme d'un raisonnement qui ne sera pas inutile au débat.

Snowden, d'Oliver Stone. En salle le 1er novembre.

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Commentaires (4)

  • MIRA.B

    En voilà un qui connait parfaitement la musique, qui sait parfaitement jusqu'où il peut aller dans ses films qui égratignent toujours un peu le politiquement-correct, sans dépasser les limites qui lui fermeraient les portes de Hollywood.

    Il tient peut-être de sa mère française son esprit critique et frondeur...

    On peut se permettre de penser que la nomination de Trump lui donnera l'opportunité d'augmenter l'étendue de sa liberté d'expression à travers ses oeuvres.
    Car le monsieur est doué !

  • AllonsBon

    Ah ! Ils ont les mêmes que nous aux USA : "le progrès, il est là ! " Ca vous dit qq chose ? Eh bien il paraît qu il est aussi au Venezuela d après ce Monsieur. On se pince. Allez voir sur internet les photos des supermarchés vides, des centres villes misérables... C est très impressionnant. Dire que "le problème, c est le marché noir" est tout simplement honteux. Il y a marché noir quand il y a misère, tout le monde le sait. Pas l inverse (même si à force ce marché noir renforce la misère bien sur). Nous même en France avons connu cela durant la guerre. Et ce n est pas le marché noir qui a causé la guerre que je sache ! Idem pour le marché noir des pays de l est (qui se présente souvent sous la forme de "vrais" marchés assez folklos : on y trouve des bouteilles de shampoing entamées, des plagiats de cosmétiques français faits en Chine, des uniformes inavouables, des journaux de propagande très intéressants historiquement... ). L effondrement du communisme sans politique d accompagnement des populations a créé une société a deux vitesses ; tout le monde le sait mais personne n en parle car ce serait mauvais pour l image de l Europe. Mais si je dis cela, vais je être considérée comme lanceuse d alerte par ce Monsieur ? Mmmh j en doute.

  • bonsens9

    Il y a des mea culpa à attendre de tous ces bobos américains du cinéma des arts etc. , quel manque de clairvoyance, En France aussi...