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Police-Justice

24% des détenus ne peuvent être présentés au juge, faute de moyens humains

Depuis 2010, le personnel pénitentiaire a pris le relais de la police et de la gendarmerie pour assurer l'extraction des détenus.

Depuis 2010, le personnel pénitentiaire a pris le relais de la police et de la gendarmerie pour assurer l'extraction des détenus. - Pascal Guyot - AFP

Selon un rapport de l'Inspection générale des Services judiciaires, de l'IGPN et de l'IGGN, près d'un détenu sur quatre ne peut être présenté à un juge à cause du manque d'agents pénitentiaires pour assurer son transfert de la prison au tribunal.

Cinq ans après son entrée en vigueur, la réforme sur le transfèrement des détenus montre aujourd'hui ses limites. Selon un rapport de l'Inspection générale des services judiciaires et des Inspections générales de la police et de la gendarmerie, que s'est procuré Europe 1, près d'un détenu sur quatre ne peut être présenté à un juge à cause du manque de personnel pénitentiaire, désormais en charge de l'extraction des prisonniers de leur cellule jusqu'au tribunal. Ce rapport avait été réclamé par le garde des Sceaux, conscient du "sujet béant" que constituent les difficultés d'extraction.

En 2010, Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux, respectivement ministres de la Justice et de l'Intérieur, décident de l'expérimentation du transfert des extractions judiciaires des services de police ou de gendarmerie vers l'administration pénitentiaire. Un transfert, de ce qui était considéré comme une tâche indue par les forces de l'ordre, qui se fait progressivement dans les départements et qui devrait s'achever en 2019.

Désorganisation de la justice

Selon l'enquête des hauts fonctionnaires, la situation s'est nettement dégradée en l'espace de trois ans. De plus en plus de juges sont confrontés à des "impossibilités de faire", c'est-à-dire un refus de l'administration pénitentiaire d'extraire un détenu, faute de moyens. En 2014, on en comptait 4%, en 2015 11% et 24% pour la seule période janvier-juin 2016. En Bretagne, où la réforme est appliquée depuis mai dernier, on recense même 50% d'impossibilités de faire, précise Europe 1.

Des détenus pas présentés aux juges, des procès renvoyés à cause de l'absence des prévenus: ce manque d'agents pénitentiaires a pour conséquence de désorganiser la justice, de l'instruction pour les juges de la liberté et de la détention au procès pour les juges et procureurs. "Malheureusement, nous n'avons pas donné les moyens à cette réforme d'être réalisée", dénonce auprès de BFMTV.com Benjamin Blanchet, chargé de mission à l'Union syndicale des magistrats (USM).

Libération "intempestive" de détenus

Pour simple exemple, au tribunal de Brest, 27% des audiences sont renvoyées faute de personnel pénitentiaire pour extraire les prévenus. "Les tribunaux sont déjà engorgés, ça devient très compliqué de réaudiencer un procès", poursuit le chargé de mission. Certains juges des libertés et de la détention avaient bien tenté de parer à cette situation en invoquant que l'impossibilité de faire constituait une circonstance imprévisible et insurmontable pour tenter d'obtenir plus de délai. Une version retoquée au début du mois d'octobre par le Conseil constitutionnel.

Aujourd'hui, un tribunal sur six a dû remettre en liberté un détenu non jugé en respect des textes de loi. En juin dernier, c'est le procureur de Brest qui est sorti de sa réserve pour dénoncer la libération "intempestive" d'un prévenu faute de pouvoir le faire venir à son procès. Dans ce cas, comme dans de nombreux autres, le tribunal de Brest avait dû relâcher un suspect dans une affaire de stupéfiant car la durée maximale de sa détention provisoire avait été atteinte après trois reports de procès, dont une fois car son extraction n'avait pu être réalisée.

"La sanction de ces impossibilités de faire, c'est la libération de personnes dont le risque de récidive existe", détaille Benjamin Blanchet qui parle de "difficultés déontologiques" quand les magistrats sont tenus de respecter la loi tout en sachant que ces libérations "ne sont pas souhaitables".

"Bricolage"

Pour les personnes placées sous mandat de dépôt, le délai pour rééxaminer ce statut est de 4 mois dans les affaires correctionnelles, six dans les affaires criminelles. Des échéances difficiles à respecter quand il est impossible de transférer le détenu, quand celui-ci refuse le système de visio-conférence (ou si la prison n'en est pas dotée) ou quand les services de police ou de gendarmerie, sollicités, refusent de répondre à la demande. Le prisonnier est alors libéré.

En 2015, 4.000 patrouilles de gendarmerie ont été annulées pour répondre à la demande des magistrats et aider l'administration pénitentiaire. Mais à ce problème d'effectif s'ajoute celui de l'organisation territoriale. Les pôles de rattachement d'extractions judiciaires, qui exécutent les demandes d'extraction, ne sont pas tous situés à proximité d'une maison d'arrêt. "Parfois, des collègues vont de Caen pour emmener des détenus à Brest", détaille, à Europe 1, Emmanuel Baudin, délégué syndical SNP FO pour le Grand-Ouest. "Tout cela repose sur du bricolage", regrette alors le chargé de mission à l'USM.

Justine Chevalier