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Dans le Dakota, le mouvement antipipeline violemment réprimé

S'intensifiant depuis plusieurs mois aux Etats-Unis, le combat contre la construction du Dakota Access sur des terres amérindiennes est devenu d'ampleur nationale.
par Aude Massiot
publié le 3 novembre 2016 à 18h10

Ils ne sont pas près d'abandonner leur combat. Les centaines de manifestants amérindiens et militants environnementaux réunis à Standing Rock comptent bien affronter l'hiver du Dakota du Nord si cela leur permet d'arrêter la construction du Dakota Access Pipeline (DAPL). Depuis quelques semaines, la répression policière se fait de plus en plus violente alors que la construction de l'ouvrage se poursuit. Mercredi, certains manifestants qui traversaient la rivière Cantapeta creek en canots ont été aspergés de gaz lacrymogène par les forces de police.

Les militants qui se revendiquent «protecteurs de l'eau» s'opposent au pipeline de l'entreprise Energy Transfer Partners, censé relier les grandes plaines de la région à l'Illinois et passer près de la réserve indienne sioux de Standing rock, à cheval entre le Dakota du Sud et du Nord. La construction de ce projet d'un montant de 3,8 milliards de dollars (3,4 milliards d'euros), abouti déjà à plus de 60%, aurait détruit plusieurs sites sacrés sioux et risquerait de polluer l'eau dont ils s'abreuvent, revendique la tribu autochtone. Le principal point de friction pour les militants est que le tuyau doit passer sous la rivière Missouri, accentuant ainsi les risques de fuites et de pollution majeure des eaux.

Il va aussi à l'encontre de la lutte contre le réchauffement climatique. Selon le site d'informations environnementales Ecowatch, un tel pipeline, dont le pétrole est destiné à l'exportation, produirait 101,4 millions de tonnes métriques de CO2 par an (réduction des prix de transport du pétrole, meilleur accès au marché, incitation à l'extraction, etc.).

«Actes de guerre»

Jeudi 27 octobre, 141 manifestants ont été arrêtés alors qu'ils occupaient un terrain privé. Des équipes antiémeutes avec des véhicules blindés ont été déployés pour encercler les manifestants et les expulser du terrain. «Il était vers 11 heures du matin quand les affrontements avec les protecteurs de l'eau ont débuté, raconte Jade Begay, militante du Indigenous Environmental Network. Ils ont utilisé des grenades à concussion et ont assommé des manifestants.» Selon la militante, plusieurs personnes auraient aussi été blessées par balles.

«Ces hommes m’ont tirée dessus à Standing Rock aujourd’hui. Je prie pour eux et pour nos protecteurs de l’eau pacifiques.»— Erin Schrode (@ErinSchrode) 3 novembre 2016

Après ces arrestations, plusieurs militants amérindiens ont affirmé avoir assisté à des «actes de guerre» de la part des forces de police. Certains ont aussi dénoncé leurs conditions de garde à vue, pendant lesquelles ils auraient été enfermés dans des cages. Un représentant des Nations unies du forum permanent sur les questions indigènes s'est rendu, cette semaine, sur place pour collecter des témoignages et étudier de possibles violations des droits de l'homme.

Violation de plusieurs traités fédéraux

Le 27 juillet, la tribu sioux de Standing Rock a déposé une plainte contre le corps d'ingénieurs de l'armée américaine qui a validé le projet, affirmant que l'autorisation de construction a été prise en violation de plusieurs traités fédéraux et contre le respect du «bien-être économique, environnemental et du patrimoine culturel de la tribu». Sous la pression populaire, le président Obama a décidé d'arrêter les travaux à proximité de la réserve sioux en attendant que soit vérifiée la validité des autorisations. Il a, dans la foulée, annoncé un mémorandum imposant aux agences fédérales de prendre en considération les traités signés avec les Amérindiens pour valider des projets concernant des ressources naturelles.

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Débuté en avril, le combat contre ce pipeline est, en quelques mois, devenu national. Plusieurs personnalités ont pris position pour les Amérindiens, comme l'acteur Mark Ruffalo, le chanteur Neil Young et l'actrice Shailene Woodley, qui s'est fait interpeller le 11 octobre pour avoir manifesté dans le campement. Cette semaine, c'est aussi sur Facebook que se joue la bataille des «protecteurs de l'eau». Expliquant que les forces de police tentaient d'identifier les manifestants par leur géolocalisation Facebook, les administrateurs de la page «Standing Rock Indian Reservation» ont demandé, lundi, à ce qu'il y ait un maximum de géolocalisation d'internautes pour brouiller les pistes. Jeudi après-midi, plus d'1,6 million de personnes s'étaient géolocalisées à Standing Rock.

«La justice est rendue différemment»

La veille, le président américain a affirmé qu'il y avait «un moyen pour nous de protéger les terres sacrées amérindiennes. Actuellement, les corps d'armée [chargés d'évaluer si les autorisations d'exploitation précédemment attribuées sont légales, ndlr] étudient une possible modification du trajet du pipeline». C'est la première fois qu'Obama prend explicitement position sur le sujet. Sauf que sa réponse n'est pas à la hauteur de l'engagement attendu par les militants, Obama ayant interdit le projet de pipeline Keystone XL en 2015. L'oléoduc DAPL, une fois en fonction, devrait transporter 570 000 barils de pétrole par jour.

Même si les travaux se poursuivent et que les recours légaux semblent mal engagés, les activistes du #NoDAPL comptent bien se battre (pacifiquement) jusqu'au bout pour préserver les eaux du Missouri. Dans une tribune publiée mercredi dans le New York Times, Dave Archambault II, le chef de la tribu sioux, a déclaré : «Nous continuerons à lutter contre le Dakota Access Pipeline. Nous continuerons à le faire pacifiquement et en priant. Nous continuerons à exercer nos droits légaux et civiques. Mais nous savons depuis toujours que la justice est rendue différemment dans les territoires indiens.»

Hillary Clinton, la candidate démocrate à l'élection présidentielle, s'est exprimée, pour la première fois sur le sujet dans un communiqué très neutre publié le 27 octobre. Donald Trump, lui, n'a pas évoqué la question mais il a, à plusieurs reprises, revendiqué son soutien au développement des pipelines dans le pays. Le 26 octobre, le Guardian a révélé que l'entreprise en charge du DAPL avait donné plus de 100 000 dollars à un comité de campagne de Trump.

«Le combat contre le Dakota Access Pipeline est devenu un symbole national de la lutte contre les énergies fossiles, affirme Jade Begay. Si nous gagnons et stoppons le projet, cela marquerait un précédent historique.»

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