Après celle de Michel Rocard, la mort d’Henry Hermand, à 92 ans, dans la nuit du 5 au 6 novembre, sonne comme le signe supplémentaire de la fin d’une génération. Celle qui a connu la seconde guerre mondiale, ses tueries massives et ses choix difficiles, entre l’accommodement au totalitarisme et la Résistance.
Celle aussi qui a participé à la construction de l’Europe et à la consolidation de la démocratie à travers la presse et la politique. Celle enfin qui, pourtant retirée des affaires, n’a jamais vraiment dételé, puisque le dernier engagement d’Henry Hermand aura été de passer le témoin de son combat pour un réformisme de gauche à Emmanuel Macron, ce « jeune fils spirituel » comme le nonagénaire l’appelait avec affection, qu’il espérait voir porter les espoirs de la social-democratie.
Lorsqu’on allait voir ce beau et élégant vieil homme, dans ses bureaux près des Champs- Elysées, on était frappé de le voir encore si actif dans la vie politique et intellectuelle du pays.
Riche d’une fortune bâtie dans la grande distribution, il continuait à financer plusieurs think tanks de la gauche. La République des idées, présidée par Pierre Rosanvallon, puis Terra Nova, cette boîte à idées du Parti socialiste (PS), bénéficiaient de ses dons. Il était aussi l’actionnaire de référence du 1, l’hebdomadaire fondé par l’ancien directeur du Monde Eric Fottorino.
Il avait enfin aidé Emmanuel Macron, personnellement d’abord par un prêt de 550 000 euros afin que le jeune inspecteur des finances acquière son premier appartement parisien, puis politiquement en abritant récemment dans ses bureaux les premiers militants d’En marche, l’association qui œuvre aujourd’hui à la candidature de l’ancien ministre de l’économie.
Un réformisme à la Pierre Mendès France
L’engagement d’Henry Hermand remonte au sortir de la seconde guerre mondiale. Né le 11 juillet 1924, il a participé à l’âge de 20 ans à un petit groupe de résistants lycéens, alors qu’il est en classe préparatoire au lycée Janson-de-Sailly, dans le 16e arrondissement de Paris.
Son action est à la fois mineure et risquée, mais l’attentisme de son père, un gros commerçant de Clermont, la vie étriquée dans ce bourg situé à 85 kilomètres de Paris, lui paraissent insupportables.
Au sortir de la guerre, alors qu’il a raté le concours de Polytechnique, le voici qui entre comme ingénieur physicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Ce n’est pas un scientifique dans l’âme, mais, après les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki, le CEA est aux premières loges de tous les débats sur le partage de l’Europe entre Est et Ouest et les espoirs d’un continent plongé dans la guerre froide.
Dès les années 1950, Henry Hermand rejoint les milieux intellectuels progressistes et intègre notamment la revue Esprit. C’est là qu’il rencontre le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry, mais aussi Gilles Martinet, qui lancera bientôt France Observateur et Emmanuel d’Astier de La Vigerie, ancien résistant et gaulliste de gauche.
Comme eux, il est anticolonialiste, humaniste et chrétien. Lors d’un voyage en Pologne, il a découvert la réalité des pays satellites de l’Union soviétique (URSS) et en est revenu farouchement anticommuniste. Son réformisme sera désormais celui de Pierre Mendès France. C’est trop pour le CEA, qui tient à sa neutralité et pousse M. Hermand à démissionner.
Sans rien abandonner de son engagement – il s’engage notamment au Parti socialiste unifié (PSU) avec Michel Rocard –, Hermand s’oriente dans une nouvelle carrière professionnelle. Ce sera la grande distribution, en plein essor dans cette nouvelle société de consommation qui s’annonce.
PDG de la société des supermarchés, il multiplie les grandes surfaces en région parisienne et bientôt dans toute la France, en Afrique noire et au Maghreb. Seule Marseille résiste. A la veille du Congrès du PS à Metz qui va voir, en 1979, la ligne de François Mitterrand triompher de celle portée par son rival Michel Rocard, le maire de Marseille, Gaston Defferre, a fait barrage à l’opération industrielle du rocardien Hermand.
Il prend Emmanuel Macron sous son aile
Désormais riche, cet amateur d’art moderne utilise sa fortune pour soutenir la presse progressiste et les candidats de la deuxième gauche, au sein du PS. Michel Rocard lui doit une partie de son financement, comme bon nombre de revues sociales-démocrates, ainsi que Le Matin de Paris, dont il prend la vice-présidence, lors de son rachat par Max Théret à Claude Perdriel.
Dix ans plus tard, il repère un jeune khâgneux, diplômé de Sciences Po et de l’Ecole nationale d’administration (ENA), Emmanuel Macron, alors que ce dernier effectue son stage d’élève haut fonctionnaire à la préfecture de l’Oise.
Il le prend bientôt sous son aile, l’invite en vacances à Tanger (Maroc), est son témoin à son mariage avec Brigitte Trogneux, en 2007. « Emmanuel n’a jamais pris une décision importante sans m’en parler », avait-il confié au Monde, il y a un an.
Inquiet devant l’impopularité du président François Hollande, il était de ceux qui espéraient voir l’ancien ministre de l’économie assumer la relève. Et offrait volontiers à ses visiteurs ses Mémoires, préfacés par Michel Rocard, six ans plus tôt. Il leur avait donné un titre qui disait tout de son optimisme, malgré la mort qui approchait : L’ambition n’est pas un rêve.
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