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iTélé : la plus longue grève de l’audiovisuel privé en cinq questions

Le conflit est entré dans sa quatrième semaine. Retour sur les points de blocage, les forces en présence et les possibles conséquences de cette grève hors norme.

Par Nicolas Madelaine, Nicolas Richaud, Marina Alcaraz

Publié le 8 nov. 2016 à 19:36

D’où vient le blocage ?

La grève à iTélé est entrée dans sa quatrième semaine : c’est la plus longue jamais menée dans l’audiovisuel privé. Les salariés ont posé leurs caméras et leurs stylos depuis le 17 octobre, date de l’arrivée de l’animateur très contesté Jean-Marc Morandini . Mais, dans ce conflit hors norme, le malaise est plus profond. Dès juin, les journalistes avaient voté en masse une motion de défiance envers leur direction, pour protester contre le non renouvellement d’une cinquantaine de CDD, soit un quart de la rédaction, et contre le projet de mise en place de publi-reportages.

Aujourd’hui, direction et journalistes semblent dans un dialogue de sourds. Le groupe Vivendi auquel appartient iTélé pensait que la promesse d’un encadrement de l’émission de Jean-Marc Morandini par la rédaction en chef de la chaîne et surtout l’amélioration des conditions financières pour les candidats au départ arrondiraient les angles. Mais les journalistes se sont sentis offensés par cette dernière proposition formulée lundi. Ce que la rédaction veut avant tout, disent certains de ses membres, c’est la séparation du rôle de directeur de la rédaction et de DG de la chaîne, deux positions actuellement occupées par Serge Nedjar, un fidèle du patron de Vivendi Vincent Bolloré.

Où en est-on aujourd’hui ?

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Vivendi devait formuler des propositions mardi soir. Mais après le vote d'un 23ème jour de grève en matinée, un certain pessimisme restait de mise sur l’issue du conflit. D’autant que les journalistes ne seraient pas sûrs de la légalité de la clause de conscience et donc d’être payés s’ils choisissaient de partir en l’exerçant. Le fait de ne pas toucher de salaires pendant le conflit pourrait cependant faire céder les grévistes.

Que cherche Vincent Bolloré ?

La position dans ce conflit de Vincent Bolloré laisse beaucoup d’observateurs dubitatifs, même s’ils comprennent qu’il veuille redresser les comptes lourdement déficitaires (20 à 30 millions d'euros de perte annuelle) de sa chaîne. Au sein de Vivendi commenceraient même à apparaître des dissensions. Il est possible que l’homme d’affaires breton veuille faire partir une grande partie d’une rédaction qu’il n'a jamais tenue dans son cœur, estiment certains. De fait, il se murmure que dans le sillage du départ d’Alexandre Ifi, directeur adjoint de la rédaction, annoncée en octobre, toute la rédaction en chef pourrait à terme être démissionnaire. « Mais il y a d’autres moyens créant moins de dégâts collatéraux, » dit un observateur.

D’autres pensent que Jean-Marc Morandini correspond au positionnement un peu plus entertainment et plus populaire que le groupe veut donner à iTélé pour qu’elle retourne à l’équilibre. Mais « cet animateur est-il encore crédible pour parler de médias, le sujet de son émission, vu ses démêlés avec la justice ? L’imposer au prix de braquer la rédaction a-t-il un sens ? », se demande un dirigeant. Dans le passé, Vincent Bolloré a montré qu’il n’avait pas peur de faire des vagues pour imposer sa vision . Mais cette fois-ci, il est possible, jugent certains, que le conflit ait échappé à son contrôle et qu’il s’agisse seulement de ne pas perdre la face.

Où va la chaîne ?

Depuis la grève, l’audience a fondu. Malgré un pic au moment du débat de la primaire de droite, depuis le 17 octobre, iTélé affiche une part d’audience de 0,4%, contre 0,8 % en septembre. Cette perte de vitesse a profité aux concurrents et en particulier à BFMTV, le leader des chaînes d’info avec une audience de 2,5% depuis mi-octobre (contre 2,1% en septembre). LCI est à 0,5% (0,4% en septembre).

Ce recul aura des conséquences directes sur la publicité, puisqu’il faudra apporter des compensations aux annonceurs dont les publicités passent en cette période particulière, où défilent des reportages et documentaires rediffusés. « Pour l’heure, sur les deux premières semaines de grève, le volume de publicité n’a que peu baissé, dans la mesure où les annonceurs achètent des packs d’audience à l’avance, mais il y aura forcément des compensations, » explique Philippe Nouchi, expert médias chez Publicis Média. Selon Canal +, la chaîne engrange chaque jour, en temps normal, environ 100 à 120.000 euros de publicité, qui seront amputés des remboursements.

En outre, cette rentrée est à part, avec l’arrivée de franceinfo, la nouvelle chaîne du service public, et la relance de LCI. Dans un tel contexte, chaque point d’audience perdu sera d’autant plus difficile à reconquérir. « Même si le conflit s’arrête vite, iTélé a perdu trop de téléspectateurs pour rebondir dans le court-moyen terme. Son avenir est compliqué », prédit Philippe Nouchi.

Difficile dans ces conditions d’envisager de céder iTélé. « Si Vincent Bolloré voulait indiquer qu’il n’est pas vendeur d’iTélé, il ne s’y prendrait pas autrement, on ne peut pas dire qu’il embellisse la mariée, » dit un dirigeant.

Que peut faire le CSA ?

Pour l’heure, le conseil a prononcé deux mises en demeure. L’une sur les « manquements aux exigences d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information dans l’émission Morandini live ». L’autre sur « l’absence de fonctionnement effectif depuis septembre 2015 du comité d’éthique prévu dans la convention de la chaîne ». « C’est un carton jaune », fait valoir Sylvie Pierre-Brossolette, membre du CSA. Si les mêmes manquements sont constatés dans les prochaines semaines, un rapporteur indépendant devra examiner s’il faut classer l’affaire ou s’il y a matière à griefs. Ce qui peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Celui-ci transmettra ensuite ses conclusions au CSA.

L’institution pourra alors prononcer des sanctions à l’égard de la chaîne. Parmi elles, des pénalités financières qui ne peuvent « excéder 3 % du chiffre d’affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation », précise le CSA. Autres armes à sa main : la lecture d’un texte à l’antenne d’iTélé, ou la coupure provisoire, voire définitive, de l’antenne. « Il s’agit là d’un arsenal théorique », tempère Sylvie Pierre-Brossolette. Mais un carton rouge est bel est bien possible. Certains appellent le CSA, et même l’Autorité des marchés financiers (AMF), à se montrer plus fermes. « Je suis un libéral, mais Vincent Bolloré ne peut pas faire ce qu’il veut avec seulement 20 % du capital de Vivendi », dit un dirigeant de médias.

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