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Libération
Reportage

Incrédule, New York assiste à la montée de Trump

Elections américaines de 2016dossier
Alors que les démocrates avaient entamé la soirée confiants, l'évolution inattendue des résultats a peu à peu plongé la ville dans une ambiance pesante.
par Baptiste Bouthier, envoyé spécial à New York
publié le 9 novembre 2016 à 6h04

C'était une soirée électorale qui avait commencé dans un climat bon enfant. Au Rockefeller Plaza, rebaptisé pour la soirée «Democracy Plaza», la foule était encore clairsemée entre les deux écrans géants retransmettant les antennes de NBC et MSNBC, dont le plateau est installé en plein air juste à côté. John et sa copine Jess («fais gaffe aux chattes qui griffent» inscrit sur son tee-shirt) se marrent en attendant les premières estimations. Ils sont déjà venus là en 2008 et 2012, deux bons souvenirs pour eux qui ont voté Clinton après avoir élu Obama deux fois. A New York, l'immense majorité de la population est démocrate, et lorsque l'Ohio est annoncé «too close to call» («trop serré pour être attribué à un candidat») à 19h30, quelques hourras s'élèvent, sans triomphalisme. A raison.

Une demi-heure plus tard, d'autres Etats tombent et Hillary Clinton fait la course en tête, mais à ce stade, c'est anecdotique. Dans un bar situé à deux pas du Rockefeller Center, les clients regardent tour à tour les écrans de télévision et ceux de leur téléphone, qui annoncent Clinton en tête en Floride. Un groupe de copines, âgées d'une trentaine d'années, est formel : tout le monde dans ce bar a voté Clinton, ça se voit. Mais voilà qu'un couple clairement pro-Trump, casquette sur la tête et panneau à la main, franchit le seuil. Tout le monde les dévisage : «Vous êtes sérieux ?» ose même un moustachu accoudé au bar.

En Floride, le républicain Marco Rubio est réélu au Sénat. Et pour la présidence ? Si Hillary Clinton emporte cet Etat, elle est à peu près sûre de gagner. Mais son avance s’étiole. Donald Trump est même en passe de lui passer devant. L’ambiance devient pesante.

De l’inquiétude à la sidération

Retour sur le Rockefeller Plaza. Il est bientôt 21 heures et la foule est désormais très nombreuse. Mais peu loquace. Les regards se font un peu plus circonspects, à mesure que les nouvelles tombent et qu’elles ne penchent pas du bon côté pour les New-Yorkais. La chute d’un badaud interviewé en direct sur NBC, au milieu de la foule, détend quelques secondes l’atmosphère. Mais de nouvelles estimations ramènent soudainement à la réalité. L’Etat de New York est attribué à Clinton ? Le Texas est pour Trump. La foule est calme, presque interdite. L’attente a cédé la place à l’inquiétude. Donald Trump peut-il vraiment gagner ?

21h15 : la chaîne prorépublicaine Fox News truste le gigantesque écran de Times Square. A côté, les installations d'ABC sont un peu plus modestes, mais elles annoncent la même chose : une pluie de bonnes nouvelles pour Trump. Un monde fou, réuni sur cette place emblématique de New York, les voit défiler sur les écrans. Le milliardaire est en passe de remporter la Floride, mais aussi l'Ohio et la Caroline du Nord, trois swing states essentiels sur la route de la Maison Blanche. Le silence des milliers de gens rassemblés ici est saisissant. Seules les sirènes crèvent ce murmure de sidération. «C'est fou», souffle Amy au téléphone à sa sœur qui vit en Oregon, de l'autre côté du pays. Les visages défaits, certains commencent à partir, résignés.

A Manhattan, il n'y a sans doute que deux endroits où l'on fait la fête ce mardi soir : la Trump Tower et l'hôtel Hilton où le candidat républicain organise sa soirée électorale. Dans le métro, à 23 heures, le nom du nouveau président des Etats-Unis n'est pas encore connu avec certitude, mais les drapeaux Hillary for President sont en berne. Ceux qui les portent à bout de bras sont enfoncés dans leur siège, le regard dans le vide, les traits tirés. La nuit s'annonce longue. Les quatre prochaines années aussi.

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