13 novembre : "La laïcité va être au cœur des débats présidentiels" 3 questions à Caroline Fourest

Caroline Fourest
L’essayiste Caroline Fourest, publie “Génie de la laïcité” (Grasset), un plaidoyer pour notre modèle laïque trop souvent attaqué. Et contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les attentats du 13 novembre ne l’ont pas renforcé. Explications.

Catherine Durand :

Après le 13  novembre, notre modèle laïque est-il en danger ?


Caroline Fourest: Je pense qu’il en sortira finalement renforcé mais à condition de remettre quelques pendules à l’heure. Après les attentats du 7 janvier et du 13 novembre, on aurait pu penser que ceux qui avaient intimidé les lanceurs d’alerte allaient se faire discrets. C’est le contraire qui s’est produit notamment au sein de l’université où un courant très affirmé nous explique depuis 30 ans que le danger, c’est le fondamentalisme laïque ou l’intégrisme républicain, et que le radicalisme religieux, lui, va réenchanter le monde.

Certains universitaires qui avaient même affirmé qu’aucun djihadiste ne reviendrait de Syrie pour frapper la France, continuent d’être virulents sur les plateaux de télévision.



Pourquoi notre modèle dérange ?


Il demande une capacité à l’abstraction à l’opposé du recul identitaire qui frappe le monde. Par peur de la globalisation, beaucoup se replient sur des identités culturelles, religieuses. Notre modèle profondément universaliste repose sur une philosophie élaborée. Si on n’en a pas les codes, on peut très vite être perdu, et croire, par exemple, que le modèle laïque français demande à tout le monde d’être pareil, ou comme le pensent les Américains, nous rend intolérants envers les religions.

Et puis, ce n’est pas parce que le terrorisme frappe très fort, que la bataille culturelle s’est arrêtée. Au contraire, les Etats-Unis jouent un rôle certain, notamment son ambassade et son département d’Etat qui font un gros lobbying, pour être perçus comme le pays le plus tolérant, celui que les djihadistes auraient le moins de raison de frapper.

Vidéo du jour

Et cela passe un peu par s’essuyer les pieds sur la France en soutenant tout un réseau d’associations victimaires et pro-islamistes qui luttent contre la loi sur les signes religieux à l’école publique, et la laïcité française. Je comprends que l’Amérique n’ait pas la même laïcité, c’est logique au regard de leur histoire. Nous sommes deux républiques, mais au lendemain de nos révolutions, nous avons évolué en sens inverse : la religion protestante a accompagné leur liberté, en France, on a arraché notre liberté à l’église, nous sommes donc à l’opposé en terme de perception quand le totalitarisme se revendique de Dieu.

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La laïcité va être au cœur des débats de nos élections présidentielles…


Le but de cette année politique dont tout le monde pressent qu’elle va être très douloureuse, est de faire de la défense de ce modèle laïque un point de consensus et non de déchirure pour sauver cet équilibre qui a mis plus de cent ans à s’élaborer. Il faut souhaiter que le cœur du débat soit la laïcité et non l’identité, sinon cela va très vite mal tourner. Et être vigilant parce que beaucoup vont lui faire dire n’importe quoi.

On assiste à des OPA politiques inouïes que ce soit la droite la plus cléricale, celle qui soutient la manif pour tous et qui se revendique aujourd’hui de la laïcité, et à l’inverse, une gauche qui l’a toujours portée et qui parfois, par peur du racisme, oublie de l’incarner. Il faut la rappeler à ses devoirs car la laïcité ne peut pas marcher sans être portée par une vision fraternelle.

Ce que je résume en disant qu’elle est un bouclier et pas un glaive. C’est une valeur qui nous protège si on en fait justement ce bel objet non pas de compromission mais de compromis. La ligne que je propose avec d’autres est d’être équilibré dans le compromis législatif, pas de surenchère, on ne va pas interdire le voile à chaque coin de rue comme solution à tous nos problèmes.

En revanche, ‘’ ni persécution ni capitulation’’, on n’interdit pas tout ce qui nous déplait mais ce n’est pas une raison pour être aveugle ou naïf, ou cesser d’être féministe. On peut ne pas vouloir interdire le burkini, et dire qu’il est le symptôme d’une immense régression.

[Dossier] 13 novembre 2015 : un an après - 7 articles à consulter

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